Dès que leur série préférée est sortie, ils sont au rendez-vous. Ce sont eux qui, à midi, ont déjà vu la dernière nouveauté sortie le matin même. Encore eux qui arrivent en retard à tous les rendez-vous parce que «tu comprends, je devais terminer un épisode». Toujours eux qui se couchent à des heures indues parce qu’ils n’ont pas réussi à s’arrêter. Eux? Les binge-watchers bien sûr. Depuis 2013 et la sortie, sur Netflix, de «House of cards», première série à être disponible en intégralité au lieu d’un ou deux épisodes par semaine, ils se sont multipliés. Et vous en faites sûrement partie puisque d’après la plateforme américaine, le binge-watching commence à partir de deux épisodes engloutis coup sur coup…
Mais beaucoup se posent la question des effets sur la santé d’une consommation frénétique de streaming. Physiquement, la réponse est claire. Aucun professionnel n’a jamais conseillé à qui que ce soit de poser ses fesses sur son canapé pour ne plus en bouger, absorbé par les tourments du dernier tueur en série à faire l’objet d’un «true crime». La sédentarité entraîne, pêle-mêle, des risques supplémentaires de surpoids, de maladies cardiovasculaires ou de diabète. Mais, psychologiquement, les conséquences sont moins connues. Et font l’objet de nombreuses questions de la part des scientifiques.
Les binge-watchers sont plus stressés et déprimés
Dès le milieu des années 2010, la question alimente des études. Et si le binge-watching était synonyme de dépression, de stress ou de troubles anxieux? En 2016, deux doctorantes de l’université de Toledo, dans l’Ohio, suivent une cohorte de 416 personnes. Celles qui s’identifient comme des binge-watchers sont aussi celles qui se disent les plus stressées, anxieuses et déprimées.
Mais reste à savoir si le binge-watching est à l’origine de ces sentiments. Et là… les deux chercheuses ne peuvent rien affirmer. «On ne sait pas si la dépression, le stress et l’anxiété sont causées par [cette activité] ou si c’est l’inverse. En d’autres termes, les gens peuvent aussi binge-watcher pour atténuer temporairement des sentiments de stress et d’anxiété pré-existants», expliquent les doctorantes.
Le binge-watching aussi efficace que la drogue?
Car selon la neuropsychologue Renee Carr, qui a étudié le sujet, s’investir dans une série pendant un long moment est un très bon moyen de se sentir bien. «Quand on se livre à une activité aussi agréable que le binge-watching, le cerveau produit de la dopamine», explique-t-elle à NBC News. «Cette molécule apporte au corps un signal naturel de plaisir, qui renforce l’engagement dans la même activité. C’est le cerveau qui dit au corps ‘Ça fait du bien, tu devrais continuer!’»
Or, devinez ce qui peut aussi activer la production de dopamine? Le sport, certes, mais aussi les drogues. La cocaïne, l’héroïne ou la morphine agissent de cette façon. Autrement dit, «quand vous binge-watchez votre série préférée, votre corps expérimente une sorte de défonce, comme sous drogue. Vous ressentez une pseudo-addiction à la série parce que vous développez une envie de dopamine», détaille Renee Carr.
Cela dépend aussi de ce qu’on regarde…
Et que se passe-t-il donc à la «descente», une fois que le binge-watching s’arrête? En 2019, quatre chercheurs européens ont voulu entrer dans les détails en suivant précisément des amateurs et amatrices de streaming jusque dans leur chambre ou leur salon. Les onze millenials (nés entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990) portugais qui ont participé pendant dix jours ont dû répondre à des questionnaires. Les datas des ordinateurs sur lesquels ils ont regardé des vidéos ont aussi été analysées.
Il apparaît que les sériephiles ne sont ni plus ni moins relaxés après avoir regardé Netflix. En revanche… ils sont moins heureux. «Pour certains, c’est lié au fait de retourner à la réalité après avoir été plongé dans une histoire», souligne l’étude. Et cela dépend aussi de ce qu’on regarde! Les émotions positives ont tendance à augmenter après avoir bingé une comédie ou de la science-fiction. Les émotions négatives, elles, baissent après avoir regardé une comédie mais augmentent légèrement après un drame.
Ces émotions positives ou négatives ont également été mesurées en 2020 par deux doctorants de l’université de Baylor, au Texas. Sur 66 étudiants interrogés après avoir passé plusieurs heures devant leur écran, les chercheurs ont observé «un lien significatif entre la fréquence» à laquelle on regarde des séries et «la perte de contrôle, la dépendance ainsi que les émotions positives». Le binge-watching est fortement corrélé avec une perte de contrôle. Viennent en deuxième position les émotions positives, puis seulement la dépendance.
Des émotions positives plus présentes qu’on le croit
Contrairement aux idées reçues, avaler des heures de séries ne serait donc pas la voie la plus sûre pour finir roulé en boule sur son canapé à broyer du noir. Hanna Troles, du département de psychologie de l’université de Twente, aux Pays-Bas, a elle aussi mené une expérience. Résultat: «on trouve une forte corrélation entre le fait de regarder du streaming et de se sentir plus heureux et plus apaisé après».
À l’inverse, la chercheuse n’a trouvé dans son étude, également menée auprès d’étudiants, «aucun lien significatif entre des conséquences psychologiques négatives et le visionnage de streaming». Elle avait notamment essayé de mesurer le sentiment de honte de celles et ceux qui binge-watchent… en vain.
Devant des résultats aussi peu tranchés, on ne peut qu’en appeler au bon sens et à la mesure. Tant que vous n’êtes pas enfermé depuis quatre jours sans boire ni manger pour regarder tout «Grey’s Anatomy», ça devrait aller. Vous pouvez tranquillement vous projeter dans votre prochaine séance de binge-watching, par exemple en rattrapant la première saison de «The Afterparty», avant la sortie de la deuxième le 12 juillet sur AppleTV+. Ou en lisant tous les mangas «One Piece» avant l’arrivée de l’adaptation en série sur Netflix à la fin du mois d’août. Tant que vous n’éprouvez aucune honte et que vous maîtrisez la descente, bien sûr.