«La meilleure forme de votre vie, en seulement 28 jours.» Avouez que c’est tentant… La première fois que j’ai découvert cette folle promesse sur Instagram, c’était en juillet 2023. Depuis, elle n’a cessé de réapparaître, estampillée sur la même vidéo de «Wall Pilates» dans laquelle une femme musclée - et très heureuse - s’adonne à des exercices gracieusement faciles, les pieds ou le dos appuyés contre un mur.
Impossible de ne pas être intriguée, surtout après avoir vu la même vidéo (sponsorisée) des centaines de fois. J’adore le pilates «normal», l’une des seules disciplines capables de me faire prendre conscience de muscles dont j’ignorais l’existence. Mais le «pilates au mur» m’évoquait une petite révolution sportive, avec ses 14 millions d’occurrences sur TikTok. Spoiler: je suis un peu naïve… en réalité, il existe depuis des décennies!
«Le wall pilates fait partie du système créé dans les années 20 par l’entraîneur sportif allemand Joseph Pilates, m’explique Zoé Rothwell, directrice du studio Azwell, à Lutry (VD). Celle-ci comprend le “mat”, le “pré-mat”, le “post-mat” et le “wall pilates”. Aujourd’hui, la pratique s’est diluée, ces quatre parties se sont mélangées et n’apparaissent plus de manière aussi ciblée dans les formations des enseignants.»
Une pratique efficace et accessible
TikTok ou les applications sportives se seraient donc éprises d’un concept remontant aux origines du pilates: «Dans sa conception d’origine, le wall pilates implique une vingtaine d’exercices dont quelques-uns peuvent être utilisés lors des 5 dernières minutes d’un cours privé, en utilisant le mur pour favoriser l’alignement et boucler tranquillement la session. Récemment, cette pratique a explosé sur les réseaux sociaux, ce qui a flouté la frontière entre les différents types d’exercices: très peu viennent réellement de la pratique de base créée par Joseph Pilates.»
Le concept possède toutefois plusieurs bienfaits enviables, pouvant expliquer sa folle popularité sur les réseaux sociaux: «Le support d’un mur permet de développer la proprioception, soit le ressenti du corps dans l’espace, poursuit Zoé Rothwell. Il nous aide à mieux évaluer notre posture, à savoir comment on se tient, si on est plus à droite, plus à gauche, si on s’étire bien…»
Pour rappel, l’objectif du pilates est de travailler à partir des muscles profonds des abdominaux («le centre», précise notre intervenante), la respiration et la concentration. Le «pilates au mur» permet effectivement de renforcer les muscles profonds du squelette, autour du dos des omoplates et du bassin, de comprendre sa posture et, ainsi que le souligne Zoé Rothwell, de rendre certains exercices plus accessibles: «Les pompes par exemple, très difficiles au sol, deviennent plus aisées contre le mur!»
Spoiler: c’est complètement vrai. Face au mur, mon level de rougissement est dix fois inférieur à celui que j’atteins quand je tente des pompes, aplatie sur mon tapis.
Mon expérience avec une app
Enthousiaste, j’ai donc téléchargé Better Me, l’une des applications de wall pilates les plus populaires, suivie par 3 millions de personnes sur Instagram. En lui fournissant quelques infos sur mon niveau sportif et mes objectifs, j’avais l’impression d’intégrer un club prestigieux. Quelle ne fut pas ma déception quand, après quelques clics, la plateforme m’annonce que je dois prendre 4 kilos de muscles pour être en bonne santé. Mes épaules se crispent un peu. Ça commence mal, puisqu’en pilates, elles doivent rester détendues!
Je tente quand même plusieurs vidéos, dont un workout adapté aux appartements, une séance prévue pour «enflammer les abdos» et une session dédiée à «toucher chaque muscle du corps». Verdict: l’outil est agréable et facile à utiliser, mais la voix robotique de l’app m’horripile… Au niveau des exercices, je suis déçue: c’est surtout du stretching, ce qui me laisse un brin frustrée. Assise contre le mur, je bâille un peu en relevant mes genoux et en étirant mes bras, un peu comme si je voulais faire atterrir un avion.
Lorsque je lui montre l’application, le créateur du studio Alex Pilates, à Lausanne, s'avoue perplexe: «Les exercices proposés ressemblent plutôt à du fitness. Je ne reconnais pas les réflexes de base de la pratique, dont l’attention au bassin et à la respiration. La position neutre du bassin, qui est essentielle, n’est pas expliquée, l’ordre des exercices me semble incohérent, les mouvements vont trop loin… On risque de se faire mal au dos, en les pratiquant de manière trop intense.»
Mon expérience avec un prof
À premier abord, ce n’est donc pas un succès… Or, quand j’évoque la promesse de voir des résultats en 28 jours, Alex se montre plus encourageant: «Cette promesse n’est pas mensongère! En dix sessions de pilates, on remarque déjà du changement, au niveau des muscles profonds et de la forme.» Je repense à la dame souriante aux bras galbés de la vidéo… disait-elle vrai?
Notre expert souligne en revanche que tout dépend de la pratique, de notre posture et des mouvements réalisés: «Avec des exercices de type fitness, les résultats seront certes rapides, mais plus superficiels! Cette tendance s’aligne parfaitement sur l’exigence d’immédiateté de notre société, où tout doit être efficace et rapide. Or, le pilates repose sur la régularité et la constance: les exercices traditionnels sont peut-être moins impressionnants, d’un point de vue visuel, mais ils sont plus difficiles et plus efficaces.»
Afin de ressentir la différence, j’ai enfilé mon legging pour tester le vrai wall pilates, avec une personne qui enseigne depuis plus de 15 ans. Pas de gonflette, ni de fitness dans les exercices que me montre Alex! Allongée au sol, les pieds appuyés contre le mur, je tends une jambe après l’autre en maintenant le bassin en position neutre. Au bout de dix secondes, mes cuisses tremblent et Alex doit me rappeler de respirer... Rien à voir avec les gentils stretchings de l’application; là, j'admets que mes abdos sont bel et bien en feu.
En conclusion… c’est difficile!
Ainsi, les apps virales sur les réseaux sociaux proposent plutôt des workouts doux (ou low impact), mais pas forcément du vrai pilates. «Si elle est bien réalisée, la méthode du wall pilates peut être très efficace, résume Alex. Par contre, lorsqu’on souhaite se lancer avec une application, il est important de bien la sélectionner et de respecter le centrage du pilates traditionnel. Je conseille de commencer par découvrir cette pratique avec un ou une pro afin d'apprendre les bases et en tirer un maximum de bienfaits.»
De son côté, Zoe Rothwell rappelle que toute pratique permettant de lutter contre la sédentarité est bénéfique: «Si on se limite à des exercices simples, même s’ils ne sont pas réalisés parfaitement, on réalise quand même un travail sur la mobilité».
L’enseignante confirme tout de même que la réalisation de mouvements de pilates plus acrobatiques sur une app est plutôt risquée lorsqu'on débute: «Cela dépend de votre posture, de votre âge, de votre force physique et des modifications proposées. En commençant par un cours avec un professeur, vous comprendrez le concept et le système de base: de cette manière, vous pourrez utiliser l’application sans trop de soucis. Je pense que les deux sont nécessaires: on peut s’entraîner à la maison à l’aide d’une app, tout en suivant un cours avec un prof de temps en temps!»
Bien qu’elle enseigne le pilates depuis plus de 20 ans, Zoé Rothwell continue en effet de suivre régulièrement des cours particuliers, afin de bénéficier d’un œil professionnel sur sa posture.
Bref, quand on décortique un trend TikTok, voilà ce qu’on trouve: un peu de bon et un peu de moins bon. Libre à chacun de faire son cocktail (du sucre, des épices… et un bassin en position neutre!).