Les témoignages pleuvent sur les réseaux sociaux, dès que démarre le mois d'octobre, mois des rubans roses. Depuis quelques années, de nombreuses jeunes femmes racontent leur découverte fortuite de leur cancer du sein, face à la caméra.
«J'étais en vacances, et sous la douche, en passant la main sur ma poitrine, j'ai senti quelque chose d'assez dur», partage Cynthia Ka sur TikTok. D'autres posts, dont celui de l'association française Ruban Rose, proposent également des tutoriels détaillés pour procéder à l'autopalpation régulière de sa poitrine, afin de détecter d'éventuelles grosseurs. Les femmes souhaitent ainsi être actrices de leur santé, reprendre le contrôle, dans l'espoir de remarquer le moindre changement et débusquer au plus vite les potentiels signes de la maladie.
L'idée est hautement compréhensible, puisque la détection précoce d'un cancer du sein peut faciliter les traitements et réduire la mortalité de 20%. Sachant qu'une femme sur huit sera concernée par la maladie au cours de sa vie, en Suisse, il ne s'agit pas d'un concept absurde. Loin de là, comme il est souvent répété dans les campagnes d'octobre rose. Et pourtant, les spécialistes se montrent plutôt prudents quant à cette méthode. Certains préfèrent même qu'elle ne soit pas trop évoquée, préférant mentionner les modalités et les programmes de dépistage (organisés tous les 2 ans pour toutes les femmes dès 50 ans, dans plusieurs cantons suisses).
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Les bénéfices ne sont pas prouvés
Pourquoi un geste aussi simple que l'autopalpation suscite-t-il des débats parmi les experts? Tout simplement parce que son efficacité n'a jamais été clairement prouvée.
«Une analyse de toutes les grandes études évaluant l'autopalpation n’a pas pu démontrer un bénéfice de la pratique régulière de ce geste pour le taux de survie et de guérison des patientes, explique la Dre Anita Wolfer, responsable du Centre du Sein au Service d'oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La question fait débat, car on entend fréquemment les témoignages de jeunes femmes qui ont pu détecter leur cancer après avoir palpé leur poitrine et souhaitent partager leur histoire. C’est totalement compréhensible, bien sûr.»
Même son de cloche pour la Dre Ania Wisniak, médecin responsable à la Fondation genevoise pour le dépistage du cancer: «Pas mal d’études ont comparé des femmes qui pratiquent l’autopalpation régulière et celles qui ne le font pas, souligne-t-elle. Ces recherches ont déterminé que ce réflexe ne réduit pas la mortalité et n’impacte pas le stade de détection. Or, il augmente le nombre d’examens réalisés et peut entraîner plus d’anxiété et d’inquiétude. On n’a donc pas pu constater de bénéfices à cette méthode.»
L'experte considère ainsi que le but n’est pas de paniquer chaque mois, au moment de réaliser son autopalpation, car on a l’impression de sentir quelque chose: «Cela peut amener des coûts de santé pas nécessaires et c’est pour cette raison que les experts ne recommandent pas l’autopalpation mensuelle.»
Restez attentives à vos seins
Mais cela ne signifie absolument pas que les spécialistes n'encouragent pas une certaine vigilance et une bonne connaissance de son corps. Au contraire! Ania Wisniak souligne qu'une femme qui sent quelque chose d'inhabituel devrait absolument consulter: «Les femmes connaissent leurs seins, on les sent forcément sous la douche ou en réalisant des gestes d’hygiène quotidiens», analyse-t-elle. L'experte recommande donc de se faire confiance et de consulter en cas de doute.
Dans ce sens, il est essentiel de connaître les principaux symptômes du cancer du sein, même s'ils ne s'apparentent pas à la typique «grosseur» au niveau de la poitrine. Certains peuvent être plus visuels (notamment dans l'aspect de la peau et du mamelon) ou se limiter à une douleur fréquente et inhabituelle au niveau d'un des seins.
Demandez un second avis si nécessaire
Dans le cas d'une consultation résultant de la détection d'un symptôme potentiel, la Dre Wolfer souligne par ailleurs le rôle capital du contact avec le gynécologue: «Le plus important, selon moi, est que le médecin écoute sa patiente, estime-t-elle. Si une jeune femme consulte son gynécologue après avoir constaté quelque chose d’inhabituel, il faut absolument la croire, même si elle est jeune. Les cas augmentent chez les femmes de moins de 50 ans, selon une étude américaine, et bien qu’on ne dispose pas encore de chiffres suisses, il faut prendre ces patientes au sérieux.»
C'est aussi à ce moment-là qu'il devient essentiel de se faire entendre, surtout lorsqu'on sent que quelque chose ne va pas: «Évidemment que chacune a envie d’être actrice de sa santé, poursuit la Dre Wisniak. C’est d’ailleurs tout l’attrait du concept de l’autopalpation, qui donne l’impression d’avoir du contrôle. Mais le message global est de se faire confiance, de ne jamais laisser passer quelque chose si vous sentez que c’est problématique, et de demander un second avis si besoin. Cela ne nécessite pas forcément une autopalpation systématique et mensuelle.»