«Ne touchez à rien!». Cette petite visite dans les coulisses des Swiss Cheese Awards commence mal. Alors que les journalistes filaient telle une nichée de souris vers les innombrables fromages disposés devant eux, voilà que le comité d'organisation de cette compétition enjoint tout ce beau monde à mettre les mains en l'air, ou ailleurs, enfin surtout loin des frometons. Moi qui m'attendais à tripoter, sentir, goûter les nobles fromages participant à cette compétition, je suis un peu déçu.
Sans en faire tout un fromage, il faut reconnaître que l'organisation de ce concours bisannuel, dont c'est la douzième édition, est aussi complexe que le goût d'un bleu bien fait. À votre avis, combien fait-on tenir de fromages dans la grande salle de l'Espace Saint-Marc du Châble, à Val de Bagnes? Ce jeudi matin, il y en avait 1064, bien rangés en une trentaine de catégories: ici les gruyères AOP, là les raclettes, ici les chèvres, et là-derrière, les trucs bizarres, diplomatiquement appelés «innovations». Chacun est conservé en un exemplaire supplémentaire en chambre froide, au cas où l'échantillon présent en salle aurait mal tourné.
Si les journalistes ne devaient toucher à rien, c'est parce que tout était réservé à un jury constitué de 150 personnes aux profils variés: éleveurs, fromagers, journalistes ou simples amateurs, Suisses comme étrangers, tous avaient rendez-vous pour distinguer les meilleurs fromages helvètes dans le cadre de ce concours.
Impossible de savoir exactement quels produits étaient présents ce matin: tous étaient affublés d'un code servant à les anonymiser. Tout au plus saura-t-on que n'importe quel fromager peut se présenter au concours. On m'a même confirmé qu'il y avait des références habituellement vendues dans les rayons des supermarchés!
Ali Baba et les 40 fromages
Gruyères, Etivaz, brebis, vacherins… Il valait mieux avoir l'estomac bien préparé, car chaque personne avait aujourd'hui pour tâche de déguster et noter quelque 40 échantillons avant la fin de la journée. «C'est difficile, confirme Martin Spahr, le responsable marketing de Switzerland Cheese Marketing AG, l'organisation qui chapeaute l'événement. Ils commencent en général par les fromages jeunes pour aller vers les plus vieux».
Plusieurs critères déterminent la note finale: l'odeur bien sûr, l'allure, la taille, la couleur, l'aspect de la croûte, la consistance, et enfin l'élément central, la saveur. Une tâche sérieuse, qui demande une importante concentration. Comme les vins ou encore les cafés, les fromages sont des produits subtils qui s'imprègnent du terroir dans lequel ils ont été fabriqués. D'infimes différences dans la nourriture des bêtes ou l'affinage en cave peuvent aboutir à des produits n'ayant rien en commun.
Nous avons pu participer à un atelier de dégustation, et ce fut laborieux. Allez faire la différence, à l'aveugle, entre des notes de chou-fleur ou de pommes de terre cuits à l'eau, entre le lait frais et le yaourt, ou encore entre les graines grillées et celles qui sont torréfiées. Bon courage. Devenir un goûteur respectable, c'est du travail. Un travail tout de même sympathique, puisqu'il suppose certainement de s'envoyer des quantités colossales de frometon derrière la cravate.
Une super finale
Des bouteilles d'eau jalonnent les tables pour permettre aux jurés de se rincer le gosier entre deux dégustations. Plus inattendu, il y avait même des… petits pains, dont on se demande vraiment s'ils seront mangés, tant les 40 bouts de fromage constituent déjà un sacré travail. À moins qu'il ne s'agissait d'un piège déposé là par de fourbes compétiteurs cherchant à gaver les jurés évaluant leurs concurrents?
D'ici jeudi soir, les lauréats de chaque catégorie seront désignés, et une «super finale» sera organisée entre tous afin de déterminer le seul, l'unique, le meilleur des fromages suisses. Celui-là, seuls des jurés étrangers pourront l'élire.
L'étranger où justement, ces produits suisses se portent bien, à en voir le nombre important de journalistes européens présents sur place, mais aussi et surtout les chiffres: en 2021, les exportations dans plus de 70 pays ont représenté un total de 756,7 millions de francs, faisant du fromage une des armes du soft power suisse.
En attendant de connaître le roi, le public pourra se rendre sur place et goûter ou acheter certains des produits en lice dans le cadre de la 18e édition de Bagnes Capitale de la Raclette, qui se tient au même endroit jusqu'au 25 septembre. Parmi les nombreuses activités prévues figure un marché du fromage, dont les portes ouvriront vendredi à 16 heures.