Grève féministe du 14 juin
«Dans les restaurants, c'est encore plus dur quand on est une femme»

Même si les mentalités évoluent vers une meilleure considération des femmes dans l'hôtellerie restauration, celles-ci demeurent très largement discriminées. A l'occasion de la grève féministe du 14 juin, plusieurs de ces professionnelles s'expriment.
Publié: 14.06.2024 à 12:15 heures
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Dernière mise à jour: 14.06.2024 à 15:49 heures
Les femmes ont beau être majoritaires dans la restauration suisse, elles restent victimes d'un système masculin dur et violent.
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Les restaurants, éternels repaires de machos? Les mentalités ont beau évoluer, les femmes trinquent toujours dans ce milieu professionnel, comme en témoignent plusieurs d'entre elles auprès de Blick en amont de la grève féministe du 14 juin.

Salaires allégés, carrières à feu (très) doux, harcèlement au menu… les femmes sont souvent des victimes dans ce milieu réputé pour sa dureté et sa violence. Elles sont pourtant loin d'être une minorité: elles représentent même 53% des employés de la branche, selon HotellerieSuisse, soit une proportion bien supérieure avec le reste de l'économie.

Les disparités salariales ont augmenté en dix ans

Cela commence au niveau salarial, où la moitié de toutes les femmes actives gagnent moins de 4126 francs par mois, d'après le syndicat Unia. Vous croyiez que #MeToo et autres #Balancetonporc ont permis une prise de conscience? Pas pour le salaire, en tout cas. Entre 2012 et 2022, la part des disparités salariales a augmenté de 39% à 47,8 %, d'après Hotellerie Gastronomie Zeitung.

Malgré leur prépondérance dans l'hôtellerie restauration, les femmes n'occupent que rarement des postes à responsabilité. En France, seulement 19% des chefs sont des cheffes. Plus l'on grimpe dans les échelons et le prestige, moins on les voit: 5% des chefs triplement étoilés au Guide Michelin sont des femmes.

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«J'avais l'expérience et toutes les compétences requises pour remplacer un poste vacant suite à un départ, mais celui-ci a été attribué à un homme. J'y ai beaucoup réfléchi, et je suis convaincue que c'est parce que je suis une femme»
Charlotte Fernandez-Beltran
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«Le chef de cuisine reste souvent associé à une image d'homme», résume la pâtissière Charlotte Fernandez-Beltran, qui, à 32 ans, estime avoir été elle-même victime d'une telle discrimination. «J'avais l'expérience et toutes les compétences requises pour remplacer un poste vacant suite à un départ, mais celui-ci a été attribué à un homme. J'y ai beaucoup réfléchi, et je suis convaincue que c'est parce que je suis une femme.»

Même la cheffe la plus étoilée du monde Anne-Sophie Pic fait face à des commentaires désobligeants et du mépris de la gente masculine. Alain Ducasse ne s'est rendu à son restaurant à Valence que relativement récemment, quand bien même la cheffe est au firmament de son art depuis 2007.

La vie familiale crée des disparités

L'arrivée d'un enfant complique encore davantage les carrières, comme l'ont confirmé plusieurs des professionnelles contactées par Blick. «Les choses fonctionnent toujours à l'ancienne, déplore Femke Delarive, 33 ans, 2 enfants et propriétaire de deux restaurants Marcel à Genève. Une fois devenues maman, les femmes se rendent souvent compte que la vie de famille est difficile à concilier avec ce travail. Il n'y a pas de place pour la spontanéité et les imprévus: tout doit être anticipé et carré.»

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«Une fois devenues maman, les femmes se rendent souvent compte que la vie de famille est difficile à concilier avec ce travail. Il n'y a pas de place pour la spontanéité et les imprévus: tout doit être anticipé et carré»
Femke Delarive
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Les horaires en coupure (travail le midi et le soir, avec une pause l'après-midi), guère compatibles avec la garde des petits et encore moins avec une vie de famille équilibrée, n'arrangent rien. «C'est difficile pour tout le monde, mais encore davantage pour les femmes, car ce sont souvent elles qui ont la responsabilité des enfants, ce qui freine leur carrière», détaille Lisa Stucki, propriétaire de l'Auberge de la Cergniaulaz à Montreux (VD). Résultat, beaucoup d'employées profitent de cette période pour entamer une reconversion, ce qui aggrave encore les pénuries de personnel qui frappent ce secteur.

Le congé parental, cheval de bataille de l'égalité

Lassées de ne pas être entendues, plusieurs restauratrices nous ont par ailleurs confié faire partie de groupes de discussions réservés aux femmes travaillant dans les métiers de bouche. Que revendiquent-elles pour améliorer la situation? «La première chose à faire, ce serait d'obtenir un congé parental sur le modèle scandinave, avec un an à partager équitablement et obligatoirement entre le père et la mère. Ainsi, l'arrivée d'un enfant ne pénaliserait pas autant la carrière des femmes. C'est le cheval de bataille de cette problématique», assure Lisa Stucki.

Certains employeurs proposent des solutions (semaines de 4 ou 5 jours, horaires flexibles…) pour concilier travail et vie familiale. Femke Delarive assure quant à elle diriger une entreprise «égalitaire entre les hommes et les femmes», au niveau du salaire et du traitement: «J'applique ce que toutes les entreprises devraient faire.»

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«La grève féministe du 14 juin est un moment important, qui donne de l'énergie et de l'espoir»
Lisa Stucki
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D'autres réfléchissent à changer leurs plans de carrière. Charlotte Fernandez-Beltran pense à exercer son métier en tant qu'indépendante, ce que nombre de femmes cheffes font déjà. «Beaucoup de gens sont peu réceptifs aux valeurs portées par les femmes, ce qui entraîne une forme d'incompréhension, de mésentente tacite. Je préférerais travailler seule, à ma manière, sans tous ces problèmes de communication», assure-t-elle.

Plus généralement, les jeunes générations sont plus sensibles à ces questions et exigent davantage d'égalité. Mais combien de temps avant de parvenir à une réelle équité? Autant de thèmes qui feront débat lors du cortège. Le tableau est sombre, mais l'optimisme subsiste. «La grève féministe du 14 juin est un moment important, qui donne de l'énergie et de l'espoir», conclut Lisa Stucki.

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