Aujourd’hui, on ne peut plus rien manger. C’est moi qui le dis? Oui. Mais pas seulement. Ce sont aussi les centaines de produits sans gluten, sans lactose, sans sucres ajoutés, juxtaposés sur les rayons des magasins, les menus des restaurants et leurs multiples astérisques, les repas partagés entre amis ou en famille, où chacun indique ce qu’il peut – ou ne peut pas – consommer. Maintenant, ça vous parle?
Alors qu’en 2015 le gluten free était pointé du doigt comme un énième régime appartenant à une mode éphémère, en 2022, les produits destinés à des régimes spéciaux sont toujours bien présents. Et qui dit offre, dit demande. Migros, contactée par Blick, indique ainsi considérer 20% de sa clientèle comme potentiellement acheteuse de produits sans lactose. Ce pourcentage va de 5 à 10% en ce qui concerne les personnes intéressées par les aliments sans gluten. D’autres «incompatibilités» sont prises en compte, telles que les œufs, noix, le céleri, la moutarde et le soja.
Également contactée, la Coop, qui vend plus de 500 produits dépourvus de gluten et lactose, répond avoir «constaté une demande croissante ces dernières années». Alors, on ne peut plus rien manger? Blick fait le point avec une nutritionniste et une diététicienne.
Constatez-vous une augmentation des troubles allergies et intolérances alimentaires?
Nicoletta Bianchi, diététicienne au CHUV: On remarque surtout une nette augmentation des allergies alimentaires, car contrairement aux intolérances, elles sont mieux définies et donc mesurables. Plusieurs hypothèses peuvent l’expliquer: la première est celle de l’industrialisation reliée à un mode de vie plus aseptique. Couplé à l’ingestion d’aliments auxquels nous n’étions pas habitués, tels que des fruits exotiques, cela modifie notre réponse immunitaire. La seconde est liée aux aliments ultra-transformés. Les méthodes utilisées par les gros industriels font apparaître des allergènes qui n’existaient pas avant. Par exemple, lorsque l’on grille une cacahuète, on la rend plus allergisante. Enfin, notre microbiote, qui participe à notre immunité, a été fortement modifié en passant d’un mode de vie à l’autre, ce qui a aussi impacté notre système immunitaire.
Quelle est la différence entre une allergie alimentaire et une intolérance alimentaire?
Virginie La Forgia, nutritionniste à Vandoeuvres (GE): Il faut effectivement bien noter la différence entre allergie (ou hypersensibilité) et intolérance. La première fait réagir le système immunitaire: elle peut aller jusqu’au choc anaphylactique, ou alors évoluer progressivement. L’ intolérance, quant à elle, évoque une sensibilité – et non hypersensibilité – plus ou moins grande à des aliments. C’est le cas de l’intolérance au gluten et aux FODMAPs. Un manque ou une insuffisance d’enzymes digestives peuvent également créer une intolérance. La lactase pour l’intolérance au lactose l’illustre bien. Ou encore l’enzyme diamine oxydase (DAO) pour l’intolérance à l’histamine.
Quels facteurs peuvent amplifier une allergie ou une intolérance alimentaire?
Virginie La Forgia: L’alimentation, l’hygiène de vie, le sommeil et surtout le stress sont extrêmement importants. Certaines personnes vont par exemple consommer beaucoup de médicaments qui sont susceptibles d’abîmer leur muqueuse intestinale. D’autres seront friandes d’aliments ultra-transformés, pleins d’additifs irritants. Les polluants peuvent aussi être responsables d’un système digestif affaibli. Par ailleurs, j'insiste sur le fait que le stress subi par la personne est à prendre en compte impérativement. En bref: les désordres de notre société peuvent en partie être considérés comme responsables.
Toutes les intolérances sont-elles à prendre au sérieux?
Nicoletta Bianchi: Certaines intolérances sont bien définies et peuvent être diagnostiquées, comme la maladie de cœliaque (concernant le gluten) ou l’intolérance au lactose. Par contre, lorsque l’on dit «je suis intolérant au lait de vache», il faut nuancer. Est-ce vraiment le lait, ou l'équilibre alimentaire qui fait défaut? Opter trop souvent pour des aliments trop gras, sucrés, salés, sans fibres, avec des boissons sucrées en excès, peut effectivement créer des sensibilités digestives.
Comment éviter de devenir allergique ou intolérant à certains aliments?
Nicoletta Bianchi: En Suisse, une partie de la population mange mal. Si l’on optait pour une alimentation de proximité avec des aliments bruts et non transformés, nous irions dans la bonne direction. Il faut bien évidemment trouver un équilibre, car manger doit rester un plaisir. Par exemple, les bonbons, c’est OK. Mais en petite quantité, pas tous les jours. C’est toute une manière de faire qui s’est perdue. On consacre beaucoup de temps aux réseaux sociaux, mais pas dix minutes pour cuisiner. Se préparer une salade soi-même prend-il plus de temps qu’acheter un plat surgelé et le réchauffer?