Dans la jungle des sucres
Cassonade, vergeoise, sucre roux: quelles différences entre les sucres?

Tous les sucres ne se valent pas en pâtisserie. Du «brown sugar» américain à la vergeoise belge, tour d'horizon des multiples sucres et de leurs avantages pour cuire les meilleurs biscuits et gâteaux.
Publié: 26.10.2024 à 15:00 heures
Non, tous les sucres ne se valent pas. Leurs arômes et leur hygrométrie diffèrent - avec des conséquences importantes sur la texture des pâtisseries.
Photo: Shutterstock
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Sucre blanc ou brun, de betterave ou de canne, vergeoise ou cassonade… Tout ça, c'est kif-kif? Non, et c'est à en perdre son Latin, car chacun a des propriétés précises - sans compter qu'ils portent parfois des noms différents en France, en Belgique ou en Suisse… la diversité des sucres est un cauchemar pour qui n'y prête pas attention, surtout lorsqu'il est question de pâtisserie. Attention, rabbit hole

Le saviez-vous? Le secret de cookies ou de gâteaux parfaitement réussis tient souvent à l'utilisation d'un sucre parfaitement adapté à la recette en question. Si vous avez essayé nos (excellents) cookies crousti-moëlleux, vous avez ainsi remarqué que la recette appelle deux types de sucre différents, et ce n'est pas un hasard. «Chaque sucre amène des saveurs spécifiques, mais joue aussi sur la charpente, la consistance des pâtes à biscuits ou gâteaux», confirme Julien Boutonnet, Meilleur ouvrier de France pâtissier-confiseur et enseignant à l'École hôtelière de Lausanne.

Un rapide coup d'œil dans les rayonnages de Coop ou Migros renseigne sur les principales variétés disponibles en Suisse, dont voici un aperçu ci-dessous.

Le sucre blanc

Il y a d'abord l'incontournable sucre blanc cristallisé, le plus courant. Il contient plus de 99% de saccharose (un mélange de glucose et de fructose) et provient en majorité, en Suisse, de la betterave.

Mais, première confusion possible, le sucre blanc peut aussi provenir de la canne à sucre! Celui-ci est naturellement brun (tandis que celui de la betterave est blanc), mais il est possible de le raffiner (autrement dit le purifier) en le débarrassant de sa couleur, ses composés végétaux, et ses minéraux, ce qui lui donne une couleur blanche. Ni Coop ni Migros ne semblent vendre de tel sucre de canne blanc.

Le sucre blanc existe enfin sous plusieurs formes: en morceaux, perlé (les pépites pour les chouquettes), sous forme de sucre glace (très fin), etc. 

Les sucres roux

En plus du sucre blanc existent plusieurs sucres de couleur brune, regroupés sous le terme de sucres roux (cassonade, sucre brut, vergeoise…) «On pense souvent que tous les sucres roux sont équivalents, mais ils n'ont ni la même provenance, ni le même goût, ni les mêmes propriétés physiques», assure Julien Boutonnet.

Le sucre brut (ou cassonade): C'est ainsi que nos supermarchés dénomment le sucre de canne, autrement appelé cassonade en France. Il est vendu sous forme non (ou peu) raffinée, et contient un peu moins de saccharose, environ 95%, ce qui explique son appellation de sucre brut et sa couleur, qui va du jaune au brun. Ce sont des cristaux assez durs et secs.

«En général, le sucre de canne est un peu plus parfumé», décrit Julien Boutonnet. On peut lui trouver des notes vanillées, voire de cannelle ou de rhum.

Les sucres complets: Demarara, muscovado, jacutinga, rapadura… ce sont des sucres de canne non raffinés. Ils contiennent donc beaucoup plus de minéraux que les autres sucres et sont un tout petit moins caloriques. Ce qui explique qu'ils ont le vent en poupe, à l'heure où l'on se rend compte des ravages pour la santé d'une consommation trop importante de sucre. Mais ils ne contiennent qu'une poignée de calories en moins: pas vraiment de quoi justifier leur préférence. Avec leurs notes végétales, ils se prêtent bien à la confection de certains cocktails. 

La vergeoise: Ce sucre bien connu des Belges et des Français nordistes n'est ni produit, ni trouvable en Suisse, et c'est un vrai scandale, parce qu'il vient de la betterave, matière première abondante dans nos contrées.

Puisqu'il vient de la betterave sucrière, il devrait être blanc. Mais alors, pourquoi la vergeoise est-elle un sucre roux? Parce que ce sucre est produit par cuisson du jus sucré de betterave, ce qui développe des arômes et des couleurs de caramel. Il existe sous forme blonde (une seule cuisson) ou brune (deux cuissons, et des arômes de caramel plus prononcés).

A gauche, de la cassonade (sucre de canne) avec de gros cristaux durs et secs. A droite, de la vergeoise (betterave) aux cristaux moelleux et humides.
Photo: Culture sucre

La vergeoise est un sucre délicatement parfumé et coloré. Sa consistance est totalement différente de celle de la cassonade. Les cristaux sont plus moelleux, plus souples. «La vergeoise a une consistance de sable humide», confirme Julien Boutonnet.

Ce sucre a une hygroscopie plus élevée que les autres, ce qui signifie qu'il piège l'humidité et semble donc moins sec que la cassonade. Et cela a son importance en pâtisserie: «La vergeoise, qui est plus humide, amène du moelleux dans les préparations», éclaire Julien Boutonnet. Autre avantage: des biscuits plus humides sècheront plus lentement et se conserveront ainsi plus longtemps. Voilà donc pourquoi on trouve de la vergeoise dans notre recette de cookies! Elle est couplée avec du sucre blanc, plus neutre, pour ne pas laisser la saveur de caramel dominer nos cookies.

Comment faire lorsqu'on habite en Suisse? Il faut s'en procurer en France (la marque Saint-Louis en commercialise) ou en Belgique (via la célèbre marque Graeffe, réputée pour avoir inventé le procédé de fabrication de la vergeoise). Aux États-Unis, on utilise un sucre très similaire, tout aussi humide: le brown sugar. Il n'est cependant pas produit par cuisson, mais par mélange de mélasse (un sous-produit du raffinage) avec le sucre blanc. Si vous tombez sur une recette américaine qui réclame ce sucre, vous pouvez sans crainte le remplacer par de la vergeoise.

Les autres sucres: citons notamment le sucre de palme, populaire en Asie du sud mais très peu utilisé en Europe. Il est généralement vendu sous forme de palets solides qu'il faut râper. Ou encore le piloncillo, son équivalent mexicain. Il y a enfin des appellations bizarres, comme «sucre blond», qui ne veulent pas dire grand-chose: mieux vaut les oublier.

Attention aux appellations trompeuses!

Un imbroglio règne sur les appellations des sucres roux. Ce que les Français nomment vergeoise est appelé…cassonade en Belgique, ainsi que dans le Nord de la France. Le sucre Graeffe se nomme donc cassonade (!) en Belgique. Et «sucre roux» (!!) en France. Pourquoi pas vergeoise, tout simplement? Aucune idée…

Un produit, deux noms différents: A gauche, la vergeoise Graeffe vendue en Belgique sous le nom de cassonade. A droite, le même sucre, vendu en France sous le nom de sucre roux. Dans les deux cas, c'est pourtant une vergeoise.
Photo: Fabien Goubet

D'autres marques, comme Béghin Say, vendent quant à elles une «fausse» vergeoise appelée «saveur vergeoise». Ce sucre est produit industriellement en mélangeant du sucre blanc, du sirop et du caramel (ces deux ingrédients lui donnant l'humidité et la couleur de la vraie vergeoise). La consistance est cependant très similaire (et c'est celle que j'achète le plus fréquemment, par commodité).

La vergeoise de Béghin Say est une «fausse vergeoise» d'où le nom «saveur vergeoise». Elle est fabriquée par coloration du sucre blanc. Mais son aspect final est finalement assez proche d'une vraie vergeoise Graeffe (à droite).
Photo: Fabien Goubet

Le mot de la fin…

J'espère que vous y voyez désormais plus clair et que cet article ne vous a pas donné mal à la tête. Qui eut cru que du sucre puisse être aussi compliqué?

En pâtisserie amateur, on peut simplifier les choses en retenant que la vergeoise est un sucre indispensable pour vos placards. Elle va amener beaucoup de moelleux à la pâte, mais aussi une saveur caramélisée pas forcément la bienvenue, selon la recette en question.

Pour contrer cet effet, on peut se rabattre sur le sucre blanc, mais la pâte sera alors plus croustillante. Parfait pour des sablés, par exemple. Le choix entre la vergeoise et le sucre blanc est une question de compromis. C'est pour cette raison qu'utiliser les deux permet d'obtenir le meilleur des deux mondes.

Les pâtissiers ont encore plus d'astuces. Julien Boutonnet indique ainsi servir ses cookies encore tièdes pour les rendre plus moelleux, sans avoir à ajouter du sucre. Ou lorsqu'il désire une pâte très moelleuse, mais sans le côté caramélisé de la vergeoise, il recourt à du «sucre inverti», une sorte de sucre visqueux comme du miel, mais dépourvu de saveur. «Il rend la pâte plus fondante, sans marquer le goût». D'accord, on essaiera. Mais assez de sucre pour aujourd'hui.

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