Ha le sel. C’est la seule épice qui compte, au final. C’est vrai: on peut certes vivre sans paprika ou sans curcuma, mais pas sans sel, indispensable au fonctionnement de l’organisme, puisqu’il est la pierre angulaire de l’équilibre hydrique des cellules, en plus de son rôle important dans la tension vasculaire. Et dans les assiettes, même constat: une assiette sans sel, c’est triste comme un Keanu Reeves qui mange son sandwich. Ce n’est donc pas un hasard si le sel, récolté depuis des millénaires, a permis l’essor de bien des civilisations.
Le sel existe aujourd’hui sous bien des formes. On entend parfois dire que «du sel, c’est du sel», autrement dit qu’ils se valent tous. Qu’il est un «exhausteur de goût». Ou que certains sels ont des vertus santé. Il y a une pincée de vrai et de faux dans toutes ces affirmations, alors voici un guide pour vous y retrouver, et pour éviter, peut-être, de laisser tous vos sels spéciaux traîner au fond de vos placards (je ne vous juge pas, c’est mon cas).
Le sel est-il vraiment un exhausteur de goût?
Avant d’explorer la variété des sels alimentaires, attardons-nous sur le NaCl, acronyme pour chlorure de sodium. Cette molécule qui représente la majeure partie du sel est souvent présentée comme un exhausteur de goût. Après tout, c’est bien grâce au sel qu’un steak, une tomate ou du beurre deviennent délicieux. Et ne le met-on pas dans pratiquement toutes les pâtisseries sucrées, pour leur donner du relief?
Le sel est indispensable à la vie, mais il peut aussi tuer si on en consomme trop sur le long terme, en favorisant des maladies cardiovasculaires. Pour cette raison, l'Organisation mondiale de la santé recommande de ne pas dépasser 5 grammes par personne et par jour.
Attention aux étiquettes sur les produits industriels: elles indiquent parfois la teneur en sodium et non en sel. Or 1 g de sel, c'est 0,4 g de sodium et 0,6 g de chlore. Une pirouette qui permet aux industriels de suggérer que leurs produits sont moins salés qu'ils ne le sont en réalité…
Si vous cuisinez, je vous recommande d'utiliser un sel avec d'assez gros cristaux, qu'on sent bien entre les doigts. C'est bien plus facile à doser que du sel tout fin. Saupoudrez depuis une belle hauteur pour bien le répartir et ne pas faire de gros pâtés de sel.
Si vous suivez des recettes anglo-saxonnes, attention à un autre piège: elles utilisent souvent du sel Kosher (Kosher salt), qui possède d'assez gros cristaux peu denses et légers. Si vous utilisez du sel fin, n'utilisez que la moitié de la quantité indiquée, sous peine de vous retrouver avec des plats horriblement salés.
Le sel est indispensable à la vie, mais il peut aussi tuer si on en consomme trop sur le long terme, en favorisant des maladies cardiovasculaires. Pour cette raison, l'Organisation mondiale de la santé recommande de ne pas dépasser 5 grammes par personne et par jour.
Attention aux étiquettes sur les produits industriels: elles indiquent parfois la teneur en sodium et non en sel. Or 1 g de sel, c'est 0,4 g de sodium et 0,6 g de chlore. Une pirouette qui permet aux industriels de suggérer que leurs produits sont moins salés qu'ils ne le sont en réalité…
Si vous cuisinez, je vous recommande d'utiliser un sel avec d'assez gros cristaux, qu'on sent bien entre les doigts. C'est bien plus facile à doser que du sel tout fin. Saupoudrez depuis une belle hauteur pour bien le répartir et ne pas faire de gros pâtés de sel.
Si vous suivez des recettes anglo-saxonnes, attention à un autre piège: elles utilisent souvent du sel Kosher (Kosher salt), qui possède d'assez gros cristaux peu denses et légers. Si vous utilisez du sel fin, n'utilisez que la moitié de la quantité indiquée, sous peine de vous retrouver avec des plats horriblement salés.
Pourtant, certains réfutent ce qualificatif. Pour le physico-chimiste spécialiste du goût Hervé This, mettre du sel dans un bouillon en développe certes les saveurs, mais pas pour les raisons que l’on croit: «Le chlorure de sodium contribue à l’évaporation des molécules odorantes des légumes, de sorte que nous les percevons mieux; en outre, il donne de la saveur salée. Bref, dans un tel cas, le sel est surtout un exhausteur de goût parce qu’il est un exhausteur d’odeurs, et un agent de sapidité», écrit-il sur son blog.
Dans une interview accordée à Blick en 2022, il illustrait ainsi ce paradoxe: «Prenez deux verres de Schweppes, un nature, et un avec une pincée de sel. Le premier a le goût connu du Schweppes: sucré et amer. Le Schweppes salé devient quant à lui plus sucré, et moins amer.» Preuve que le sel n’est pas un «exhausteur du goût, puisqu’il augmente le sucré, mais réduit l’amer…». Une expérience à tester chez vous, avec un Schweppes ou une simple rondelle de pamplemousse.
Les sels ont-ils tous le même goût?
Le sel est récolté dans de nombreux endroits dans le monde, mais tous ont à peu près la même composition: ils contiennent plus de 95% de chlorure de sodium. Les seules différences résident donc dans les quelques pourcents restants, occupés par des minéraux, des sédiments, des débris d’algues microscopiques, etc. Ces infimes particularités n’influencent pas vraiment sa saveur intrinsèque. «C’est très difficile de distinguer les saveurs de deux sels, confirme Maeva Rosset, qui tient la boutique spécialisée Le monde des épices, à Payerne. Les différences portent surtout sur leur pouvoir salant.» Seule exception selon elle: les sels aromatisés tels que les sels fumés, qui absorbent les essences utilisées.
Alors, tous les mêmes, les sels? «Le choix du sel est très important», assure Mathieu Bruno, le chef du restaurant Là-Haut à Chardonne. «Régis Marcon [chef français triplement étoilé] m’a dit un jour avoir totalement modifié la perception de ses plats après avoir changé les sels de sa cuisine», se souvient le Chardonnneret.
Plus que la présence de chlorure de sodium, c’est la forme et la densité des cristaux qui influencent les saveurs en s’amusant avec notre cerveau. En se dissolvant sur la langue, les cristaux favorisent certaines saveurs et en limitent d’autres, comme dans le cas du Schweppes précédemment évoqué. De gros cristaux de sel de Maldon qui occupent une surface importante sur la langue ne vont pas stimuler les papilles de la même manière qu’un sel de cuisine ultra-fin immédiatement dissout sur une toute petite surface.
Mais le sel joue aussi sur les odeurs, par le biais de mécanismes encore mal cernés, peut-être en favorisant la volatilisation de certains composés. Or ces effluves sont une composante essentielle du goût, davantage encore que les saveurs. Ce sont de subtiles différences, mais qui changent tout dans la bouche. Vous pouvez en faire facilement l’expérience avec des rondelles de tomates. Coupez-en deux, et salez-en seulement une, puis attendez une dizaine de minutes avant de déguster la tranche sans sel, puis l’autre. Vous verrez immédiatement que l’odeur de la tomate salée est bien plus puissante, ce qui la rend plus savoureuse que sa pauvre comparse ultra fadasse.
Il est en résumé très difficile voire impossible de distinguer les saveurs de deux sels dissous. C’est la taille de leurs cristaux qui les rend uniques une fois en bouche. Tous les sels ne se valent donc pas, au contraire!
D’où vient le sel?
Le sel a de multiples origines. On le récolte après l’évaporation naturelle ou industrielle de l’eau de mer, on l’extrait de mines, de rivières, de lacs souterrains voire de grottes qui faisaient autrefois partie de l’océan… Aujourd’hui, une grande partie de la production mondiale vient des mines, comme dans les mines de Bex où «l’or blanc des Alpes» a été déposé à la suite du retrait d’une mer primitive, il y a 200 millions d’années. Mais qu’il vienne de la mer ou des profondeurs terrestres, il n’a qu’une seule et même origine: le sel vient toujours de l’océan.
Les sels de mer
Ce type de sel est obtenu par évaporation naturelle de l’eau de mer dans des marais salants comme le fameux sel de Guérande en France. Lorsque l’eau se volatilise, les plus gros cristaux restent au fond, sur le sol: c’est le gros sel, avec ses gros grains nacrés. C’est un sel fortement iodé, pratique à doser en cuisine puisqu’on le sent bien entre les doigts. Attention à ne pas le surdoser quand même.
Il peut être blanc (ce qui suggère parfois qu’il a été traité industriellement), et grisâtre s’il est naturel, comme le gros sel de Guérande ou de l’île de Ré. Cette teinte est conférée par «les sols argileux riches en oligo-éléments sur lesquels se déposent les cristaux», précise Maeva Rosset, ce qu’on voit très bien sur des vues satellites montrant les bassins d’évaporation, les «œillets».
Outre le gros sel, les sauniers (en Méditerranée) ou les paludiers (dans l’Atlantique) cueillent aussi la fleur de sel, qui se forme par cristallisation à la surface de l’eau, sous l’effet du vent et du soleil. Elle est récoltée chaque jour à la main à l’aide d’une lousse, sorte de grande écumoire. Un travail de précision, car la moindre secousse de l’eau ferait tout précipiter au fond, ruinant la récolte. C’est pour cette raison que la fleur de sel est un sel précieux, délicat, et beaucoup plus cher. Comparé au gros sel ou au sel fin, c’est un sel dit de finition: on le saupoudre avec parcimonie juste avant de servir, dans l’assiette.
Citons enfin le sel de mer «fin», qui est un gros sel broyé en cristaux plus petits. C’est ce que j’utilise au quotidien: du sel fin de Guérande, non raffiné. Il a une belle couleur grise, et ses cristaux ont une texture délicate, semblable à la fleur de sel. Il est souple, mais sa consistance est légèrement croustillante.
Les sels de roche
Ce sel, qui représentait en 2013 60% de la production mondiale, s’est déposé sous terre à la suite de l’évaporation d’une mer il y a des centaines de millions d’années. On le récolte dans des mines souterraines ou à ciel ouvert. Les cristaux de chlorure de sodium peuvent être directement récoltés par des procédés d’extraction minière classiques, en creusant des galeries. On parle alors de sel gemme.
Ainsi préservé des activités humaines, il est exempt de toute pollution, et pratiquement pur: seuls quelques minéraux viennent le compléter (fer, magnésium, etc.), parfois en le colorant. Les cristaux du sel bleu de Perse tirent ainsi leur teinte de la sylvinite (un minerai de chlorure de potassium), tandis que le rose orangé du sel de l’Himalaya vient de l’oxyde de fer.
La Suisse produit environ 500’000 tonnes de sel de roche par an (chiffre 2019) dans les mines de Bex (VD), Schweizerhalle (BL), et Riburg (AG). Environ 8% de la production indigène finit sur la table, le reste sur les routes, pour l’industrie ou encore le bétail. Mais il ne s’agit pas de sel gemme, mais d’un autre type, le sel ignigène: «La Suisse produit du sel ignigène, c’est-à-dire par injection d’eau qui permet d’extraire le sel du sol dans la région de Bâle ou de la montagne à Bex, dans les dernières mines actives du pays», détaille Caroline Duparc, responsable marketing de Salines suisses.
Dans la région de Bex, le sel est enfoui 400 mètres sous la surface. On l’extrait par un procédé de dissolution à l’eau chaude. La saumure ainsi produite est transportée dans des pipelines jusqu’à la saline – le lieu de production – où elle est évaporée dans de grandes poêles chauffées, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des cristaux secs.
Comparé aux marais salants, c’est un procédé dont la consommation d’énergie par tonne de sel produite est beaucoup plus importante (87 mégajoules par tonne dans des marais salants contre 2200 à 2500 MJ/t pour le sel ignigène, selon des chiffres de la Société chimique de France). Salines suisses s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité climatique complète d’ici à 2040, par exemple en utilisant du courant issu de sources d’énergie renouvelables.
Autre différence, alors que le sel de mer possède de l’iode à la saveur caractéristique, les sels de roche en sont dépourvus. Or une carence en iode peut provoquer des troubles de la thyroïde, ce qui avait conduit au sobriquet pas très glorieux de «crétin des Alpes», donné au XIXe siècle aux personnes souffrant de ces troubles, généralement dans les régions reculées des Alpes. Depuis, de l’iode est ajouté au sel (c’est le cas en Suisse, conformément à la loi sur les denrées alimentaires) pour prévenir ces carences: il n’y a donc aucun souci à se faire! On peut utiliser ce sel comme on veut en cuisine, pour saler l’eau de ses pâtes ou en saupoudrer quelques cristaux sur un steak.
Le sel raffiné
Ce n’est pas un type de sel à proprement parler: n’importe quel sel peut être raffiné. Il s’agit d’un procédé chimique destiné à lui donner diverses propriétés: le rendre plus blanc, lui éviter d’agglomérer, ou encore prolonger sa conservation. Le problème avec ce sel, c’est que les traitements lui font perdre de ses valeurs gustatives (il a souvent un arrière-goût de métal) et nutritionnelles (des oligo-éléments disparaissent).
Pire, les fabricants ajoutent généralement des molécules dont on se passerait volontiers, telles que des ferrocyanures antiagglomérantes, «qui présentent un risque potentiel d’allergies et de contamination des métaux lourds», rappelle le site d’informations alimentaires Yuka. Bref, évitez ce genre de sel qui ne présente aucun intérêt ni en cuisine, ni pour votre santé.
Ne sombrez pas non plus dans le délire des allégations santé qu’on prête souvent à certains sels: aucune donnée scientifique ne prouve qu’un sel soit plus bénéfique qu’un autre, comme l’avait déclaré en 2016 l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Retenez simplement que les sels non raffinés, plus riches en minéraux, sont de manière générale plus vertueux que les sels raffinés.
Les sels de spécialité
Il existe aussi de nombreux sels de spécialité, ou de finition, qui rentrent dans les catégories évoquées ci-dessus. «Ce sont des sels qu’on utilise pour le dressage, directement dans l’assiette, dit Mathieu Bruno. Leur pouvoir salant est un peu moins fort, ce sont généralement de gros cristaux qui apportent de la texture et du croquant».
Parmi les plus connus, citons le sel de l’Himalaya, un sel gemme légèrement acidulé provenant d’une seule mine gigantesque: celle de Khewra au Pakistan. Ou le sel de Maldon, récolté dans l’estuaire de Blackwater, à Maldon, au Royaume-Uni. «Il a de gros flocons de quelques millimètres, on le voit bien dans l’assiette», décrit Mathieu Bruno.
Il en existe encore bien d’autres, tel le sel volcanique d’Hawaï qui acquiert une couleur ocre ou noire en reposant sur des lits de pierres volcaniques présentes dans l’archipel. Ou encore le sel de bambou coréen, une fleur de sel issue de marais salants qu’on laisse reposer dans des récipients en bambou qui sont ensuite grillés. Certains sont carrément aromatisés, tels le sel fumé aux essences sylvestres, ou le sel à l’ail noir qu’utilise aussi Mathieu Bruno dans son restaurant. Si vous les essayez, ne cuisinez pas avec, saupoudrez-les simplement sur les assiettes au gré de vos envies. Plus d’excuses pour laisser moisir tous ces jolis sels qu’on vous a offerts!