Clash à Aubonne (VD)
«Le Njørden ne coûte pas un franc au contribuable»

Le torchon brûle entre la Municipalité d'Aubonne et son restaurant le plus prestigieux, le Njørden. La première veut revendre le bâtiment qu'elle loue au second, en laissant entendre que cela lui coûte trop cher. Le chef étoilé Philippe Deslarzes s'exprime en retour.
Publié: 20.02.2024 à 21:16 heures
|
Dernière mise à jour: 21.02.2024 à 09:55 heures
Le chef Deslarzes dit ne pas comprendre les propos de la ville d'Aubonne suggérant que son restaurant Njorden coûte cher aux contribuables.
Photo: Blick
Blick_Fabien_Goubet.png
Fabien GoubetJournaliste Blick

Aubonne en a-t-elle marre de la Suède? La commune, port d’attache d’Ikea en terres vaudoises, a récemment annoncé mettre en vente le bâtiment qu’elle loue aux exploitants du restaurant «aux inspirations scandinaves» Njørden, écrivait «La Côte» en janvier.

S’agissant d’une des tables les plus prisées de Suisse romande, la nouvelle a suscité un missförstånd — l’incompréhension en suédois — du côté de l’équipe du restaurant. Mais pas tant à cause d’un hypothétique changement de propriétaire: ce qui désempare le chef Philippe Deslarzes, c’est ce qu’on lit dans le communiqué de l’Exécutif, paru le 31 janvier: «Aux yeux de la Municipalité, ce n’est pas aux citoyens de financer le nouveau standing [du restaurant, installé dans les murs de l’ancienne auberge communale].»

Lorsqu’il s’attable pour discuter de l’affaire, l’imposant chef trentenaire annonce: «Ce n’est pas la vente qui nous ennuie, mais plutôt les informations dans le communiqué qui laissent entendre qu’on coûte de l’argent à Aubonne. C’est faux. C’est blessant. Je ne comprends pas d’où vient cette affirmation: le Njørden ne coûte pas un franc au contribuable.» Pour ce binational suisso-suédois qui s’est lancé avec ses tripes et ses associés dans ce projet, c’est un coup dur et un «dégât d’image considérable».

Le Njørden, un des restos les plus prisés de Suisse romande

Ouvert en juin 2021, l’établissement a connu un succès fulgurant. Quinze, puis seize points au Gault & Millau, guide qui propulse Philippe Deslarzes chef «promu de l’année» fin 2022, puis une étoile Michelin… Ces dernières années, le Njørden est sans doute l’un des restaurants ayant connu l’ascension la plus rapide en Suisse romande.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

La bâtisse de 1790 compte un restaurant gastronomique (le Njørden), un bistronomique plus décontracté (le Njørd Café), et un boutique-hôtel (le Hemma). Ce jour, c’est au Njørd Café que je me suis rendu. Pour un mardi à presque 14 heures, c’est animé, et quasiment complet. J’y découvre une carte resserrée démarrant à 22 francs pour le plat du jour, jusqu’à 51 pour les plus élaborés.

Tout ressemble à un restaurant qui tourne bien. Les quelques clients interrogés sont des réguliers qui vivent dans les environs: Aubonne, Etoy, Saint-Prex… Aucun n’est au courant de l’affaire qui secoue le chef Deslarzes et son équipe.

Une bisbille entre propriétaire et locataires

Le contrat qui lie Aubonne et l’équipe du Njørden est semblable à n’importe quel contrat de bail, m’explique le chef. La municipalité loue son auberge à des exploitants. Ceux-ci paient un loyer et des charges, et le propriétaire s’engage en retour à entretenir les lieux.

Or c’est ce point qui semble générer de la friction. La Municipalité loue les murs (du moins, une partie), plus l’équipement de la cuisine (fours, lave-vaisselle, etc.). Rien que du matériel basique, selon le chef, qui assure que «tout l’équipement gastronomique, les déshydrateurs, les cellules de refroidissement, les Pacojet, toute la décoration, tout ce qui a permis d’élever le standing du restaurant a été financé à 100% par le Njørden, et non par la Municipalité. Je ne comprends pas en quoi le fait d’être un restaurant gastronomique constituerait un coût supplémentaire pour la commune.»

Autre pierre d’achoppement, les propos tenus par le municipal Laurent Auchlin, le 31 janvier, dans «La Côte»: «Le restaurant […] ne s’adresse pas uniquement à une clientèle locale. Ce n’est pas aux contribuables de payer les frais liés à un lieu dans lequel ils n’iront peut-être pas, et qui n’est pas dans la vocation d’une auberge communale telle qu’on l’entend traditionnellement.»

«Rétablir la vérité»

De quoi faire réagir le chef. «Nous respectons le cahier des charges de l’auberge communale avec des horaires étendus, et nous pratiquons des tarifs accessibles. Le premier prix est à 18 francs pour un plat à emporter!»

Aujourd’hui, qu’espère-t-il au juste, alors qu’il dit répondre aux questions «des clients qui s’inquiètent»? Si «la pérennité et le fonctionnement du Njørden ne sont pas remis en question» [la Municipalité a elle-même confirmé son souhait de voir rester le restaurant, ndlr], il tient cependant à «rétablir la vérité sur le fait que le Njørden ne profite pas de l’argent public, et n’est pas un établissement qui exclut la clientèle locale».

Quelles suites pourraient être données à cette affaire qui a de quoi ébranler un restaurant au firmament de la scène romande? Nul ne le sait. Le chef Deslarzes se dit motivé à poursuivre son objectif: «faire du Njørden un lieu inoubliable». Il enchérit: «Cette affaire ajoute des soucis à tous les défis du quotidien. Je me défonce sur ce projet, je me sens bien, j’aime ce qu’on fait ici. Tout ce que je veux, c’est faire plaisir aux gens. Et je vais continuer.» Pour les Romands, ce serait tout de même plus sympa que d’aller manger à Ikea.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la