Enquête contre deux artistes
Peut-on écrire que l'UDC est raciste et homophobe? La justice tranchera

Le Ministère public valaisan compte renvoyer deux artistes devant le tribunal à la suite de mots-croisés «subversifs» Avec deux avocats fortement politisés de part et d'autre, Pierre Chiffelle et Jean-Luc Addor, le débat résonne furieusement avec notre époque.
Publié: 17.03.2025 à 16:00 heures
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Dernière mise à jour: 17.03.2025 à 18:41 heures
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Le conseiller national et avocat Jean-Luc Addor est mandataire de l'UDC Valais romand.
Photo: KEYSTONE
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Camille KrafftJournaliste Blick

Est-ce «appeler un chat un chat» que de taxer l’UDC de racisme, de xénophobie et d'homophobie? Ou s’agit-il de diffamation, voire de calomnie? Et où s’arrête la liberté d’expression d’un artiste dans le champ politique? Autant de questions qui résonnent furieusement avec notre époque, où les mots sont (re)devenus des armes de guerre. La justice tentera d'y apporter sa réponse.

Fin 2023 et début 2024, l’UDC du Valais romand (UDCVR) avait déposé plainte contre un artiste et son curateur après la publication d’une grille de mots-croisés «subversifs» dans le quotidien «Le Nouvelliste» à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’association faîtière des arts visuels Visarte. A la définition «parti politique suisse raciste, xénophobe, homophobe, antiféministe, antiécologiste, antipauvre, nationaliste», les lecteurs devaient répondre avec l’acronyme de la formation politique. Cette dernière a peu goûté l’exercice, soulignant notamment que les griefs de racisme et d’homophobie se rapportent à une infraction pénale.

Le Tribunal fédéral, quoi qu'il arrive?

Après avoir auditionné les prévenus en janvier 2025, la procureure de l’office du Ministère public du Valais central, Camilla Bruchez, a fait savoir qu’elle comptait renvoyer l’affaire devant le tribunal. A moins d'une surprise, le Ministère public devrait donc rendre prochainement un acte d’accusation. Et l'ancrage idéologique et symbolique de ce dossier laisse augurer d'une procédure à rallonge. «Quoi qu’il arrive, cette affaire finira par être traitée par le Tribunal fédéral», estime Pierre Chiffelle, qui représente les deux prévenus.

Le mot croisé incriminé avait été publié en novembre 2023 dans «Le Nouvelliste».

Le débat s’annonce nourri avec, de part et d’autre, deux avocats fortement politisés: d’un côté Pierre Chiffelle, ancien conseiller d’Etat socialiste vaudois et conseiller juridique de la fondation Franz Weber, dont le combat contre les résidences secondaires — pour n'en citer qu'un — a ulcéré une bonne partie du Valais. 

Et de l’autre, le conseiller national et vice-président de l’UDC du Valais romand Jean-Luc Addor, opposé au mariage entre personnes du même sexe et actif politiquement sur les problématiques de la sécurité et de l'immigration. Détail révélateur du degré de polarisation de cette affaire: à l’audition des prévenus en janvier, le premier a refusé de serrer la main du second, définitivement condamné en 2020 pour discrimination raciale et incitation à la haine.

Liberté d'expression revendiquée

Pour ce motif, Pierre Chiffelle assume ce geste inhabituel dans un milieu où la confraternité est censée régner. Dans un courrier envoyé au Ministère public, l'avocat souligne que l’UDC n’a pas demandé la démission de Jean-Luc Addor à la suite de cette condamnation, ce qui démontre selon lui que la formation politique «semble ne pas considérer l’accusation de racisme comme attentatoire à l’honneur.» 

Pour lui, «dans une démarche philosophico-artistico-politique, on a le droit de dire d’un parti dont de nombreux membres sont racistes qu’il est raciste, d’autant plus lorsque ce parti a combattu l’extension de la norme pénale antiraciste et qu’il se revendique d’une liberté d’expression totale».

«
C’est un débat magnifique et fondamental. Plus le temps passe depuis qu’il a surgi, plus il devient interpellant dans ce qu’il révèle
Pierre Chiffelle, avocat
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Outre des condamnations pénales pour racisme de trois membres de l’UDC, la défense met en avant de nombreux articles traitant de la position de la formation politique sur les thématiques soulevées dans la grille de mots-croisés, qui attesteraient de la bonne foi des deux artistes. Pierre Chiffelle précise en outre que les limites posées par la jurisprudence en matière d’atteinte à l’honneur sont beaucoup plus larges dans le champ politique.

Un débat fondamental

Pour le reste, l’avocat veveysan a hâte de croiser le fer: «C’est un débat magnifique et fondamental. Plus le temps passe depuis qu’il a surgi, plus il devient interpellant dans ce qu’il révèle.» Selon lui, ses clients sont des «lanceurs d’alerte». L'avocat veut ancrer la dispute dans une problématique plus large.

«Il y a une montée de l’extrême droite dans toute l’Europe. Avec l’avènement de Donald Trump et de son entourage, le petit facho qui sommeille en certains se sent libre de s’exprimer. Dans un contexte social et économique difficile, le bouc-émissaire devient l’immigré. C’est un engrenage malheureusement trop connu.» Il conclut: «Je n’ai jamais vu une époque aussi pessimiste, tourmentée, explosive. On va vers des années où il faudra faire des choix, c’est pour cela que les choses doivent être dites.»

Contacté, Jean-Luc Addor s'est montré transparent sur le dossier, mais il ne souhaite pas commenter l'affaire davantage à ce stade. Il précise cependant que «si les frontières de l’honneur ne sont pas identiques dans un contexte ordinaire ou dans un contexte politique, un parti politique ne se trouve pas pour autant privé de toute protection de son honneur et de celui de ses membres.»

Des qualificatifs réfutés

Dans sa plainte initiale, l'UDC du Valais romand relève que les qualificatifs utilisés par l'artiste Leo Thiakos, auteur de la grille de mots-croisés, «ont à l'évidence un objectif: discréditer l'UDCVR et faire passer cette section du plus grand parti de Suisse pour un parti extrémiste infréquentable agissant en dehors des limites même de la loi.» La formation politique réfute en outre le terme d'anti-féministe, car elle prône un féminisme identitaire. D'anti-écologie, parce qu'elle veut valoriser les circuits courts. Et d'anti-pauvres, puisqu'elle se bat notamment pour le pouvoir d'achat.

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On ne peut pas taxer un parti institutionnel, représenté à tous les échelons de la politique suisse, de racisme. D’autant plus que le monde est en train d’évoluer dans le sens des valeurs défendues par l’UDC
Donald Moos, président de l'UDC du Valais romand
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Et puis, argue le président de l’UDC du Valais romand Donald Moos, «lors des dernières élections au niveau national, cantonal et communal, nous avons gagné des sièges partout. On ne peut pas taxer un parti institutionnel, représenté à tous les échelons de la politique suisse, de racisme. D’autant plus que le monde est en train d’évoluer dans le sens des valeurs défendues par l’UDC.»

Donald Moos, qui fait partie de ceux qui ont contesté la défaite électorale de Donald Trump en 2020, estime que «la révolution qui se déroule aux USA va avoir un impact positif sur l’Europe, avec un retour à des valeurs traditionnelles. Beaucoup de pays sont plus concentrés désormais sur la protection des intérêts de leur propre population que de ceux des autres. Aujourd’hui, les vrais soucis des gens, ce ne sont pas des problèmes philosophiques, mais le risque de perte d’emploi, le prix de l’énergie et le pouvoir d’achat. Le seul défaut de l’UDC est d’avoir eu raison trop tôt.»

Lorsque les mots dépassent la pensée

Quid de la condamnation de certains membres de l’UDC, dont Jean-Luc Addor, pour racisme? Pour Donald Moos, «c’est un faux combat mené par la gauche. Dans tous les partis, il y a des personnes dont les mots dépassent leur pensée à certaines occasions, comme lorsque le coprésident du PS Suisse Cédric Wermuth a posté «Fuck you, Mr Trump» sur les réseaux sociaux. La légitimité de Jean-Luc Addor, élu et réélu brillamment par les Valaisans au Conseil national, ne se discute pas. Et pour rappel, il agit en tant que mandataire du parti dans cette affaire.»

Outre Leo Thiakos, la formation politique avait déposé une plainte complémentaire contre Nicholas Marolf, curateur dans le cadre des 50 ans de Visarte Valais, qui avait défendu dans les médias la position de l'artiste en affirmant notamment que «l’UDC a été condamnée pour racisme». Depuis le début, les deux prévenus n'ont eu de cesse de maintenir leurs propos, voire de les corser. 

Lors de son audition par la police, Leo Thiakos a ainsi déclaré à propos de l’UDC que «ce ne sont pas des démocrates, ce sont des fascistes». Quant à Nicholas Marolf, il a expliqué dans le même contexte qu'il avait «imaginé rajouter le terme de suprémacisme» aux mots-croisés, lesquels comprenaient par ailleurs de nombreuses autres définitions visant différents partis et sociétés. L'UDC a étendu sa plainte à la suite de ces propos.

Plutôt la prison que l'autocensure

Plus d'une année après, la détermination des deux artistes semble intacte. «Mon travail est basé sur des recherches et des documents sérieux, notamment des articles de la presse officielle», explique Leo Thiakos. «J’ai compilé quantité d’exemples de la tendance raciste, xénophobe, homophobe, antiféministe et antiécologiste de l’UDC. Ces personnes sont dangereuses et je préfère aller en prison que de m’autocensurer.» 

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Ailleurs dans le monde, des gens se font torturer pour la liberté d’expression. Quoi qu’il arrive, on ne peut pas perdre
Nicholas Marolf, artiste
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Pour Nicholas Marolf, «à un moment donné, il faut oser dire les choses. Sinon, cela revient à légitimer ce type de propos et c’est la démocratie qui est remise en question. J’aimerais que l’UDC s’excuse, que ces gens disent qu’ils se sont trompés et qu’ils assument les définitions données du mots-croisés.»

Les deux artistes estiment avoir été lâchés par Le Nouvelliste, qui a présenté ses excuses à l’UDC, y compris dans ses colonnes. Ils regrettent également de ne pas avoir été soutenus par Visarte, dont la subvention a été menacée par un postulat déposé devant le Grand Conseil valaisan, qui l’a rejeté. Tous deux se disent prêts à affronter un procès, voire une condamnation. «Ailleurs dans le monde, des gens se font torturer pour la liberté d’expression», conclut Nicholas Marolf. «Quoi qu’il arrive, on ne peut pas perdre.»

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