Les huit lettres de son enseigne s’étalent sur la vitre du rez-de-chaussée de l’élégant hôtel Expérimental Chalet qui a ouvert ses portes à Verbier, il y a quatre ans. Sis dans le bâtiment aux volets rouges qui abrite aussi le Farm, le plus célèbre night club de la station, son nom, «Frenchie», sonne comme un clin d'œil.
Presque une provoc’ dans ce village auréolé du titre de meilleure station de ski du monde où la population de froggies semble constituer la minorité des troupes face aux autochtones et aux rosbifs, dont la langue est de loin la plus audible au pied de la télécabine de Médran. Qu’on préfère les cuisses de grenouilles ou le rôti de bœuf, peu importe! D’un côté ou de l’autre de la Manche, on aime la bonne chère, preuve en est le succès de Grégory Marchand sur ces deux territoires.
«Simple» signataire, dès son ouverture, de la carte du restaurant de l’Expérimental Chalet - l’adresse suisse du groupe français Experimental créé par une bande d’amis épicuriens - c’est désormais sous son enseigne, mais en étroite collaboration avec le groupe ami, que Grégory Marchand régale les convives du restaurant à l’ambiance urbaine, vintage et raffinée.
«Pour cette troisième saison de présence à Verbier, ce sont mes équipes qui sont en cuisine. Sasha qui a travaillé à Londres et Paris, Rhéa ma cheffe pâtissière…» dit-il fièrement.
Le mélange gagnant de l'européen et du local
En cuisine, on suit le chef, vêtu d’une veste de cuisine à son nom, pour une petite visite. Une jeune brigade, dans laquelle filles et garçons en nombre égal et venus des quatre coins de l’Europe communiquent en anglais, s’activent pour réaliser les recettes 100% maison.
Car au-delà des diverses influences de Grégory Marchand, c’est aussi cela la signature Frenchie: une cuisine gourmande travaillée en grande partie avec les produits du terroir local. Pâtes fraîches passionnément façonnées pour les agnolotti à la ricotta et au bouillon de céleri qui se retrouveront au service du soir, biscuit à la noisette qui servira de lit au Merveilleux au chocolat à se damner, tout ici passe entre les mains de ces passionnés.
Côté local, là encore, le chef met en pratique la recette qui a fait son succès: «Lorsque je suis dans un pays, je veux découvrir la région et le terroir, essayer d’en comprendre la culture, les produits, ce qui me permet souvent de dresser une liste d’ingrédients. Ensuite, je réfléchis à ce que j’aime manger quand je suis dans tel ou tel lieu. Même si l’ADN de Frenchie est la cuisine française, j’ai un parcours tourné vers le monde.»
Pas de fondue ni de raclette au menu, qui laisse ces classiques fromagers aux excellentes adresses locales qui en ont fait leurs spécialités:«Je ne veux volontairement pas tomber dans le cliché trop rustique. Même si j’adore ça, au bout d’un moment, j’en ai un peu marre des mets de montagne. Je préfère travailler sous forme de petits clins d'œil.»
Des classiques revisités sauce Frenchie
Si l’assiette valaisanne figure à la carte des snacks aux côtés des gougères et des délicieux bacon scones servis avec de la double crème de Gruyère, elle est accompagnée de pickles à l’anglaise en lieu et place des oignons-cornichons: «Avec la qualité de la viande, du lard séché et du fromage de Bagnes, difficile de faire l’impasse à l’heure de l’apéro.»
À la carte donc, côté «suisseries», le Vacherin Mont d’or accompagne le topinambour, la crème double fumée fribourgeoise la tarte tatin à l’oignon, la saucisse vaudoise, le bœuf braisé et son pot-au-feu et le lard du Valais vient réveiller la tartiflette, le tout arrosé d’une carte des vins qui accorde une large place aux meilleurs crus du terroir romand.
Fier de son menu et du travail de ses équipes, enthousiaste à l’idée de séduire les palais de la clientèle internationale de la station, Grégory Marchand va et vient au gré des ouvertures et des changements de cartes de ses adresses.
À Verbier quelques jours début décembre pour peaufiner les derniers détails avant l’ouverture et le rush des vacances de fin d’année, il s’envolera ensuite pour un saut de puce à Paris avant de grimper dans un train pour la Bretagne où l’attendent son épouse Marie et ses amis pour un week-end gastronomique chez Roellinger à Cancale en Bretagne.
Un chef globe-trotter dès ses débuts
Ce bras de terre enfoncé dans l’océan qui constitue la partie la plus occidentale de la France, ces paysages de granit et de flots démontés, de sentiers escarpés parsemés de phares, Grégory Marchand les connaît bien: c’est à Nantes, capitale des Ducs de Bretagne, que le chef est né il y a 44 ans.
Ses débuts en cuisine, c’est à un drame familial qu’il les doit: le décès de ses parents alors qu’il n’a que 12 ans. «J’ai grandi en foyer et à l’époque, on était plutôt orienté vers de courtes études.» Le jeune garçon opte donc pour un apprentissage de cuisine après un stage de troisième au restaurant l’Atlantide à Nantes: «J'ai tout de suite aimé la discipline, l’esprit d’équipe, j’ai donc choisi de faire un BEP puis un CAP et un bac professionnel.»
Ses diplômes en poche, le jeune cuisinier à l’esprit voyageur que rien ne retient en France, franchit la Manche pour commencer sa carrière en Écosse et ouvre ainsi son esprit à d’autres saveurs et à d’autres influences. C’est ensuite à Londres et à Hong-Kong, dans les cuisines du Mandarin Oriental, qu’il affine son style et découvre la richesse d’accords inédits: «Au Wong, j’ai compris par exemple que le foie gras pouvait divinement bien s’accorder au Tamarin.»
Jamie Oliver, Naked Chief…
Après un détour par le Savoy Grill et ses classiques de la cuisine françaises et anglaises, Grégory Marchand ressent le besoin de faire une pause et s’envole pour Marbella. Il revient ensuite à Londres, où il rencontre des chefs qui font le renouveau de la gastronomie britannique, comme Arthur Potts Dawson, Nick Jones, fondateur de Soho House et enfin le célèbre Jamie Oliver auquel il doit le surnom de Frenchie dont il a fait son emblème.
Aux côtés du dynamique et très médiatique Naked Chief, qui a fait souffler un vent de fraîcheur sur la gastronomie de la Perfide Albion, Grégory s’investit dans la formation de jeunes cuisiniers au sein du Fifteen, son restaurant-école où quinze jeunes en difficultés sociales peuvent apprendre les bases de la cuisine et la manière de gérer un restaurant.
Un concept qui donnera vie à l’émission Oui Chef!, diffusée quelques années plus tard sur M6 et qui révèlera un certain Cyril Lignac: «Grâce à mon parcours de vie, j’étais très motivé par le fait de mêler la cuisine à cet aspect social», explique Grégory Marchand.
C’est finalement à Paris que Grégory veut tenter sa chance aux côtés de Marie, son épouse, aujourd'hui associée avec lui dans le groupe Frenchie: «Je savais que je voulais ouvrir mon propre restaurant, mais je n’avais pas d’argent. Alors, j'ai pris le seul lieu qui était dans mes moyens, un ancien local de stockage de confection dans le Sentier, le quartier historique des tailleurs à Paris.»
Une success story fulgurante
Dans cette rue du 2e arrondissement, faite de rideaux de fer baissés après le déclin des ateliers de textile et leur délocalisation en Asie, Grégory ouvre son premier restaurant Frenchie. Seul en cuisine et aidé d’une personne au service, il régale une salle de 24 couverts de sa cuisine généreuse et créative.
Dans cette rue du Nil dans laquelle personne ne pariait sur sa réussite, son restaurant cartonne et attire la curiosité des food lovers. Petit à petit, en plein essor de la bistronomie, il reçoit une pluie de récompenses et Frenchie fait des petits dans cette ruelle revenue à la vie par la magie de la gastronomie.
Après le Frenchie aujourd’hui étoilé, c’est l’un des premiers bars à vins de la capitale qui ouvre ses portes, puis c’est une adresse de street food, le Frenchie to go qui lui succède avant, enfin, une boutique de vins.
Puis, petit à petit, les commerces de bouche l’imitent et colonisent à leur tour la rue du Nil: Les comptoirs de Terroir d’Avenir ouvrent un primeur, une boucherie et une fromagerie et Hippolyte Courty, que l’on connaît pour travailler avec la cheffe Anne-Sophie Pic, y installe son Arbre à café qui révolutionne le café de qualité.
Depuis peu, le petit dernier, Plaq, manufacture et boutique de chocolat dans la tendance bean to bar séduit les papilles des amateurs de douceurs au caractère affirmé.
Désormais à la tête de cinq établissements parisiens, d’un spot valaisan et d’une adresse londonienne, Grégory Marchand délaisse un brin les cuisines pour guider son groupe d’une centaine d’employés vers le succès en tant que directeur créatif: «Je n’ai que le meilleur de mon métier, je voyage beaucoup, je me nourris de mes expériences pour trouver mes inspirations. J’ai plein de petits et grands projets, comme une ferme en permaculture. Et j’essaie d’évoluer selon des principes qui me sont chers comme le plaisir, le social, la formation, la bienveillance et la charité.»