Finalement, fumer c'est bien
Pour découvrir la vraie culture barbecue, c'est à Genève que ça se passe

La ville du bout du lac est l'épicentre d'une nouvelle vague de restaurants proposant du barbecue à l'américaine. Ribs, brisket et autres pulled pork pourraient bientôt devenir aussi populaires que les hamburgers, partout en Suisse.
Publié: 10.07.2022 à 13:07 heures
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Dernière mise à jour: 12.07.2022 à 09:45 heures
Une beef rib, ou «BrontosaurUS rib», au Cap's BBQ.
Photo: Nouhad Monpays
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Hell, yeah! Est-on en train d'assister à la naissance d'une véritable culture du barbecue en Suisse? Jusqu'ici, comme ailleurs en Europe, le barbecue se résume souvent à faire griller saucisses et brochettes, merci et au revoir. «Il y a encore quelques années, il fallait se rendre à Zurich ou à Lyon pour goûter du vrai barbecue américain», raconte Conor Caporale, fondateur de Cap's BBQ, Boulevard du Pont d'Arve à Genève. Ouvert fin 2020, son restaurant illustre l'émergence de ces nouveaux établissements qui importent en Suisse les méthodes et les plats stars du barbecue à l'américaine. «Le barbecue est aujourd'hui comme le hamburger il y a dix ou quinze ans: il va décoller et devenir incontournable», prédit Edward Wiley-Jones, le patron de Smok'ed, échoppe fumante sise depuis fin 2021 rue de la Madeleine à Genève.

Fumer dans des joints

Aux Etats-Unis, si on vous parle de barbecue, c'est pour évoquer des cuissons (très) longues, au bois de fumage et à basse température, aux alentours de 120°C: le «low and slow». Les morceaux stars sont de grosses pièces de viande impossibles à griller car trop grosses, trop grasses: des trains d'une douzaine de côtes de porc (les ribs qu'on mange avec les doigts et dont la viande se détache presque toute seule de l'os), des poitrines de bœuf entières de 4 à 6 kilos (le brisket) ou de maousses épaules de porc (pour le fameux pulled pork, ou porc effiloché).

Rien de tel qu'une côte de bœuf bien juteuse pour se mettre en appétit. On aperçoit un léger smoke ring sous la surface, coloré en rose.
Photo: Nouhad Monpays

Pour les déguster, il faut se rendre dans des food trucks, des stands de rue, ou encore dans des barbecue joints, petits restaurants où l'on fait la queue pendant plusieurs heures, parfois toute la nuit, et où l'on commande au comptoir avant d'aller s'assoir avec son plateau. Bref, c'est un peu la bonne franquette, version américaine, que Conor Caporale a voulu importer à Genève. «On voulait reproduire le même modèle de service au comptoir, mais entre la pandémie fait que c'est une activité plutôt salissante, avec des jus qui coulent partout, on y a renoncé au profit du service à table», sourit ce natif de Géorgie élevé en Californie.

Comment cet expert en trading sans aucune expérience en restauration en est-il venu au barbecue, avec aujourd'hui une équipe complète en place? «Je m'ennuyais dans mon travail, et comme beaucoup de gars de mon âge, j'ai commencé le barbecue en faisant découvrir à mes amis et ma famille les recettes de ribs de ma mère, qui était cheffe. Ce n'était qu'un hobby, qui un jour s'est transformé en business plan.»

Conor Caporale dans son restaurant
Photo: Fabien Goubet

Edward Wiley-Jones officiait quant à lui déjà dans le secteur de la restauration, avec deux établissements valaisans dans lesquels il servait des plats suisses traditionnels. «Et puis un jour, on a proposé du low and slow sans trop y croire et ça a explosé, les clients ont adoré et nous avons décidé d'ouvrir un restaurant à Genève.» Pour lui, rien de surprenant à ce succès dans nos contrées: «Les Suisses aiment la viande, il suffit qu'ils goûtent une seule fois aux délices du barbecue et de la viande fumée pour qu'ils deviennent fans toute leur vie», s'amuse-t-il dans un mélodieux accent américain.

Genève l'internationale, foyer du barbecue

Pourquoi la sauce barbecue ne prend-elle que maintenant en Suisse? «Aux Etats-Unis, l'appétit pour le barbecue a explosé il y a dix ou quinze ans environ, peut-être qu'on assiste à l'arrivée de cette vague avec un peu de retard?», s'interroge Conor Caporale. Selon Edward, l'émergence du barbecue américain à Genève tiendrait aussi du côté international de la ville du bout du lac, avec un public d'expatriés qui a depuis longtemps goûté aux merveilles de la viande fumée. «Au début, on avait des clients à 95% anglophones, beaucoup de Britanniques, de Danois et d'Américains», se remémore-t-il. Signe que le public suisse est convaincu, il estime que les francophones représentent aujourd'hui «environ la moitié» de sa clientèle.

Le Cap's BBQ comme le Smok'ed proposent tous deux des expériences traditionnelles avec les classiques du barbecue américain, dont le pulled pork, les ribs et le brisket sont souvent surnommés la «sainte-trinité». Les deux établissements ne sont pas des clones pour autant, reflets de la richesse et de la diversité de ce pan culturel américain.

Cap's BBQ est plutôt de type texan, avec des viandes juste saupoudrées de sel et de poivre en gros grains concassés et fixés avec une sauce légèrement piquante. Ce rub donne une belle croûte sur la viande, tout en piégeant efficacement la fumée. Celle-ci crée un bel anneau rose vif sous la surface (le smoke ring), lors d'une réaction chimique qui colore la myoglobine, une protéine du muscle.

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Autre marqueur texan, le bœuf obtient la préférence de Conor qui ajoute: «On n'aurait de toute façon pas pu proposer de barbecue de Caroline, qui privilégie la cuisson des porcs entiers: nous n'avons pas assez de place dans la cuisine.» Sa petite arrière-cuisine un peu désuète et sans fenêtre abrite les deux fumoirs aux granulés de bois qui assurent les cuissons du restaurant. Ce sont deux armoires en inox (l'une pour le porc, l'autre pour le bœuf) qui font circuler la fumée de haut en bas.

Aux États-Unis, la fumée est un assaisonnement aussi important que les épices. «On utilise des essences d'arbres fruitiers pour le porc, du pommier par exemple, tandis que pour le bœuf on privilégie le chêne, et parfois le hickory», explique Conor Caporale. Les plus gros briskets peuvent y séjourner jusqu'à 14 heures avant d'être servis.

Une tranche de brisket doit se plier sur le couteau ou la fourchette, laissant apparaitre des fissures mais sans se briser.
Photo: Nouhad Monpays

Des ribs oui, mais avec du bacon!

Du côté de Smok'ed, on embrasse la culture barbecue américaine dans sa globalité. Lui aussi américain, Edward a débarqué de Floride, «un état touristique qui absorbe toutes les cultures barbecue des Etats-Unis». Bœuf comme au Texas, porc à la mode de la Caroline, petits poulets servi avec une sauce barbecue blanche à base de mayonnaise comme en Alabama ou encore de fameux bacon back ribs, de longues côtes de porc sur lesquelles se trouve la poitrine qui finit habituellement en lard et en bacon. «Ça c'est le top, même aux États-Unis, on n'en trouve pas facilement», assure Edward.

Les deux hommes disent avoir du batailler et faire de la pédagogie auprès des bouchers pour mettre la main sur les bonnes matières premières. Le boeuf américain, généralement beaucoup plus persillé, se prête parfaitement aux longues cuissons qui laissent suffisamment de temps au gras pour fondre et donner des morceaux incroyablement juteux. Bref c'est l'opposé du bœuf suisse, des animaux plus musculeux et à la viande plus maigre.

Les découpes ne sont par ailleurs pas les mêmes: demandez un brisket ou une poitrine de bœuf entière à votre boucher, il y a peu de chances qu'il comprenne exactement ce dont vous avez besoin: la poitrine est ici habituellement broyée pour en faire du bœuf haché. «J'allais voir mon boucher et je lui montrais des vidéos Youtube pour lui expliquer ce que je désirais, la taille des morceaux, la quantité de gras à laisser dessus, etc.», raconte Conor Caporale. «Le porc suisse est d'une qualité exceptionnelle comparé aux États-Unis, dit pour sa part Edward. Pour le boeuf c'est plus compliqué, il a fallu trois ans pour trouver la bonne formule avec mon boucher, un homme formidable passionnée par son métier qui sait aujourd'hui exactement ce dont j'ai besoin.»

Partie du bout du lac, la vague de barbecue pourrait bien gagner le reste de la Suisse romande. Les deux patrons envisagent de s'y développer à plus moins court terme, pour le bonheur des viandards prêts à accéder au nirvana de la bidoche.

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