Comme tous les secteurs qui brassent beaucoup d’argent, le courtage de maisons de luxe attire les ambitieux. En effet, les commissions sur la vente d’un bien de luxe tournent autour des 3%, même si elles sont souvent fixées au cas par cas. Cela veut dire que sur un bien de 25 millions de francs, un courtier peut générer 750'000 francs sur la vente.
Mais n’est pas courtier de luxe qui veut. «Il y a tout un univers de fourmis qui gravitent autour de ce secteur de l’immobilier de luxe, essayant de grappiller de juteuses commissions au passage», s’agace un insider. «Au final, des dossiers confidentiels se retrouvent éparpillés, ce qui nuit à la valeur du bien. Et c’est le propriétaire qui en fait les frais.»
Lucratif mais exigeant
L’immobilier de luxe? «Oui, c’est un secteur très lucratif», répond sans hésiter Thang Nguyen, co-fondateur du groupe immobilier genevois Swissroc. «On peut se faire beaucoup d’argent, mais pas facilement.» Tout est dans cette nuance. Certes, les commissions sont plus élevées et il est évident qu’on peut gagner beaucoup plus que dans l’immobilier ordinaire. Par contre, les exigences sont très hautes et les investissements conséquents. «Il faut une vraie expertise et une connaissance du marché», souligne Thang Nguyen.
«Celui qui s’improvise courtier et qui connaît un acheteur aisé, tant mieux, il pourra rafler 500'000 francs de commission sur une vente, mais ce sera l’exception, estime David Padilla, agent immobilier depuis 2004, qui anime un site de conseil immobilier en vidéo. Mais autrement, il n’y a pas d’argent facile dans ce métier, témoigne-t-il. C’est un marché de niche où il faut avoir des relations.»
«Il n’y a qu’au casino qu’on peut gagner facilement de l’argent», résume Philipe Paley, qui dirige l’agence immobilière Gérard Paley & Fils depuis 2004. Il a 30 ans d’expérience dans le courtage et les promotions immobilières. «Le marché de luxe est un micromarché où l’expertise se crée au fil d’années de pratique. Il faut connaître les lois en vigueur, qui changent régulièrement, ainsi que la fiscalité liée à ce type de biens.
Des dossiers hors marché
Caractéristique clé, une très grande partie des biens est en général proposée hors marché. «Il faut donc un carnet d’adresses bien fourni. Lorsque le dossier d’une propriété nous parvient, on contacte notre carnet d’adresses, et parfois on fait appel à des apporteurs de clients, note Philippe Paley. Les propriétaires et les acheteurs auxquels on a affaire ont des emplois du temps très chargés, et c’est à nous d’organiser les visites.»
Avant même d’en arriver là, il faut avoir assuré le marketing de ces biens, qui a un coût élevé. «Pour faire la promotion hors marché des biens, on va diffuser le dossier à notre réseau très privilégié, avec des shootings vidéo exceptionnels et des visites sur mesure pour clientèle VIP, explique Thang Nguyen. Pour des biens à 30 millions, cela requiert un budget bien plus gros que pour des biens à 3 millions.»
Souvent, un courtier doit disposer d’un réseau international. «C’est pourquoi les marques immobilières présentes dans plusieurs pays sont un bel atout», explique Thang Nguyen. «Un acheteur peut vouloir acquérir des biens sur Genève, mais aussi sur Saint-Tropez et Courchevel. Ils font souvent confiance à une marque qui fait du luxe partout dans le monde.»
Nos experts relèvent que cette clientèle a des goûts relativement normés. Elle recherche une vue sur le lac, ou une vue dégagée, et «beaucoup de privacité», qui se crée avec de grandes parcelles et un aménagement extérieur bien étudié, notamment avec des arbres et des haies. Beaucoup veulent des objets neufs, sans travaux, qui sont déjà aux nouvelles normes. L’architecture et les goûts sont très influencés par le monde de la mode et du design. Les grandes baies vitrées et les grandes terrasses ont toujours la cote, tout comme les piscines à débordement.
Des notes de frais conséquentes
Pour acquérir une compréhension approfondie de la clientèle haut de gamme, il faut investir. «Et cela coûte très cher, car il faut entretenir ses réseaux, maintenir la qualité des relations», selon Thang Nguyen. «Cela passe par le fait d’assister à des événements, organiser des rencontres, et donc baigner dans la culture de cette clientèle pour identifier au mieux leurs besoins. Tout cela implique d’adopter soi-même le même train de vie que ses clients. Des vêtements haute couture, une voiture de luxe, de nombreux voyages. Cela représente des notes de frais conséquentes.»
«Il y a aussi une bonne part de risque dans ce métier», explique Thang Nguyen, qui relève que le cliché du courtier roulant un jour en Ferrari, puis disparaissant quand le marché se retourne, est aussi une réalité.
Des transactions rares
«C’est un marché où les transactions sont moins fréquentes, note Philippe Paley. Pour un bien de plus de 10 millions, les courtiers du marché de luxe font une dizaine de transactions par année.»
Dans l’expérience de David Padilla, «une maison à 15-20 millions représente peu de visites, quatre par année. D’une part, parce que peu de gens sont capables de s’offrir cela. D’autre part, parce que les acheteurs de ce type de biens sont exigeants et sont occupés, voyageant beaucoup. À l’inverse, un bien à 1,5 million sur la côte lémanique sera vendu dans les 2 semaines.»
Même pour les courtiers les plus établis, l’incertitude fait partie du jeu. «Dès qu’une affaire rentre, ce sont des commissions importantes qui peuvent être réalisées, alors qu’il faudrait plusieurs promotions sur le marché domestique ordinaire pour gagner autant, explique Philippe Paley. Mais rien n’est fait tant que l’on n’a pas signé chez le notaire. Les circonstances de vie les plus diverses peuvent à tout moment modifier les plans des acheteurs ou vendeurs.»
C’est aussi pour cette raison que pour la plupart des courtiers, «on ne peut pas vivre facilement en vendant uniquement des biens de plus de 15 millions», explique David Padilla. «Le flux régulier, qui fait tourner la boîte, ce sont les ventes à 2-5 millions. Même un grand courtier comme Cardis, qui met en avant des biens de luxe sur son site, va tourner essentiellement grâce aux biens plus accessibles qui génèrent des flux constants. C’est ce qui va payer les factures tous les mois.»