Pour le président de la Banque nationale suisse (BNS) Thomas Jordan, le bitcoin n'a pas forcément sa place de réserve de change. «Nous n'avons pas encore décidé, pour des raisons réfléchies, d'investir dans le bitcoin», a déclaré Thomas Jordan lors de l'assemblée générale fin avril. Cette déclaration aura mis un stop aux initiateurs d'une initiative populaire à cette fin d'investissement.
Yves Bennaïm et son groupe doivent être déçus. L'expert du Bitcoin veut ancrer la super cryptomonnaie dans la Constitution en tant que réserve monétaire. A l'avenir, il devrait y être écrit qu'une partie des réserves «est détenue en or et en bitcoin». Jusqu'à présent, il est uniquement stipulé que la Banque nationale (BNS) doit détenir de l'or.
Une initiative qui n'est ni de gauche, ni de droite
La Constitution oblige la BNS à détenir de l'or, mais ne fixe ni une quantité ni un pourcentage précis. Yves Bennaïm aimerait faire de même avec le bitcoin: «La BNS pourrait aussi détenir des bitcoins d'une valeur de seulement 1 franc si elle le souhaitait», déclare le fondateur du think tank 2B4CH.
Malgré un texte peu contraignant, une modification de la Constitution reste un énorme pas à sauter. D'autant plus que le fan du bitcoin tient sciemment à ce que le projet ne soit pas attribué à un parti en particulier. Sur cette question, il ne s'agit ni de «gauche contre droite», ni d'«Est contre Ouest», ni de «ville contre campagne», précise Yves Bennaïm. Mais d'où pourrait venir le soutien politique sans lequel une initiative n'a finalement aucune chance?
Le bitcoin, une chance pour la BNS?
Pour le conseiller national UDC Lukas Reimann, il est clair que «oui, je soutiens pleinement cette demande, car elle donne à la BNS un instrument supplémentaire pour remplir ses missions importantes, comme la stabilité des prix». Mais cela ne signifie pas que la BNS doive spéculer sur les cryptomonnaies.
«Personnellement, j'aurais trouvé et je trouverais toujours une augmentation des réserves de métaux précieux plus conforme à l'objectif», poursuit l'intéressé. «Mais en tant qu'alternative à la monnaie fiduciaire, je suis en tout cas favorable à l'inclusion du bitcoin.»
Tout comme Yves Bennaïm, le politicien de droite souligne la plus grande indépendance de la BNS avec les bitcoins par rapport à la monnaie fiduciaire, c'est-à-dire les euros ou les dollars: «Les avoirs de la BNS en monnaies étrangères sont encore énormément élevés et un transfert de l'euro vers le bitcoin contribuerait à une plus large et meilleure diversification de la BNS, réduisant ainsi les risques et renforçant l'indépendance.»
L'élu UDC ne veut pas s'engager définitivement tant que le texte définitif de l'initiative n'est pas connu. Et il ne peut pas non plus parler au nom de son parti. Il affirme toutefois que «dans nos rangs, il y a très certainement de nombreux sympathisants de cette cause».
Le bitcoin, un gouffre à électricité et à CO2
Le conseiller national et entrepreneur Vert Gerhard Andrey rejette en revanche clairement cette initiative. Selon lui, l'utilité du bitcoin pour l'économie réelle et la société civile est sans commune mesure avec la consommation d'énergie de cette cryptomonnaie. «Contrairement à des cryptomonnaies bien plus efficaces, une seule transaction en bitcoin consomme plus d'énergie que 100'000 transactions financières traditionnelles», rappelle l'élu écolo.
Le président de la BNS avait également évoqué le problème des émissions de CO2 du bitcoin lors de l'assemblée générale. Les Vert-e-s demandent depuis longtemps que la BNS adopte une politique de placement durable, rappelle Gerhard Andrey: «Ce n'est pas le cas aujourd'hui, la BNS est coresponsable d'une énorme quantité d'émissions de CO2 avec ses placements. Investir dans le bitcoin aggraverait encore massivement ce problème.» En modifiant l'article constitutionnel, la BNS perdrait de son indépendance, puisqu'elle serait obligée de détenir des bitcoins, alerte l'élu.
Une formulation ouverte à la technologie
En outre, Gerhard Andrey met le doigt sur un autre point sensible de l'initiative prévue: «Un article constitutionnel devrait être formulé de manière ouverte à la technologie et ne pas exiger spécifiquement le bitcoin.»
Un point que l'expert Yves Bennaïm ne veut toutefois pas laisser passer. Selon lui, le bitcoin est la seule cryptomonnaie qui n'a pas de leader, pas d'organisation détenant la majorité des tokens, pas de CEO, pas de boîte aux lettres et surtout pas de capital de participation.
«Empiriquement, le bitcoin a été l'un des investissements les plus performants de la décennie», affirme l'intéressé. C'est la raison pour laquelle Blackrock a tenté pendant des années d'obtenir l'autorisation de créer un ETF sur le bitcoin. «Devons-nous croire que ce qui est un bon placement pour Blackrock ne l'est pas assez pour la BNS?»
Qu'en est-il de la volatilité du bitcoin?
Un autre problème du bitcoin reste son énorme volatilité. C'est justement parce que le bitcoin n'est couvert par rien d'autre que la foi des investisseurs qu'il est un placement risqué. Yves Bennaïm le reconnaît. Mais selon lui, les chances sont plus grandes comparées aux risques. «Le bitcoin est indéniablement un actif risqué, et il l'a été depuis le début. Mais croire qu'il peut tomber à zéro est aussi irréaliste que de parier contre l'Internet au début des années 2000», affirme ce dernier.
Dans sa critique sévère de l'initiative prévue, l'expert économique de Blick Werner Vontobel faisait également référence à la volatilité des cryptos: «Pour la conservation de la valeur, elles ne sont recommandées qu'aux super-riches et aux joueurs, compte tenu des énormes fluctuations des cours», écrivait-il.
Le président du Salvador Nayib Bukele fait partie de la deuxième catégorie. En 2021, ce dernier a fait du bitcoin un moyen de paiement légalement reconnu dans son pays et a acheté des bitcoins avec de l'argent public. Jusqu'à présent, l'investissement s'est avéré payant, puisque la crypto-monnaie a atteint un nouveau record cette année.