Boom des plateformes
Comment réussir en tant que freelance?

Une vaste économie du freelancing a pris son essor: des jeunes et moins jeunes sont inscrits en ligne pour proposer leurs compétences et être payés à la mission. La liberté ainsi gagnée a son prix: vive concurrence, disruptions, stress. Tous nos conseils pour réussir.
Publié: 18.04.2023 à 08:05 heures
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Dernière mise à jour: 21.04.2023 à 10:03 heures
Le monde du freelance peut attirer par la liberté qu'il donne, mais attention: il faut développer sa stratégie et son image pour espérer gagner un bon salaire.
Photo: Getty Images
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Le freelancing, ou travail fourni par un indépendant et facturé à la mission, a décollé avec les nouvelles technologies numériques. Depuis une dizaine d’années, le nombre de services en ligne proposés par des freelances a explosé. Des services freelances dans tous les domaines imaginables sont proposés par les plateformes en ligne: programmation, graphisme, vidéo, traduction, gestion de projets mais aussi travaux artistiques, planification de voyages et tant d’autres choses.

En Suisse, le groupe zurichois Lemonfrog offre toute une palette de plateformes utilisant des freelances: Babysitting24 (garde d’enfants), Homeservice24 (ménages), Tutor24 (soutien scolaire), Seniorservice24 (aide aux personnes âgées). Dans le monde, des sites de freelance comme malt.fr (France) ou Fiverr (plateforme internationale basée à Tel Aviv) connectent les clients avec des centaines de milliers d’indépendants payés à la mission. Pour un freelance souhaitant offrir ses services, il suffit de s’inscrire sur une des plateformes disponibles en y fournissant quelques garanties d’expérience. Les modèles d’affaires varient, mais le choix est vaste. Un domaine qui attire les jeunes.

Savoir se marketer

«Beaucoup de gens de ma génération aiment être indépendants et avoir cette liberté, surtout au niveau des horaires et de la géographie», témoigne Ethian Longchamp. Ce jeune de 17 ans s’est lancé comme solopreneur du digital pour offrir des services de community management en Suisse romande. Il a touché du doigt le monde du freelancing depuis qu’il s’essaie à l’entrepreneuriat. «Ceux qui font appel à des freelances sont souvent eux-mêmes des entrepreneurs, qui apprécient cette solution flexible.» De son côté, le freelance doit désormais aussi maîtriser le marketing de soi, ajoute le Genevois. «Qu’il soit personnel de ménage ou informaticien, il lui faudra trouver les bons mots pour se présenter sur la plateforme et se démarquer de la masse des autres freelancers.»

Pour Ethian Longchamp, community manager, être freelance mènera vite à plafonner au niveau du revenu si l’on n’a pas de stratégie.

En Suisse, le travail indépendant (en solo) comprend les freelances, les dirigeants d’entreprise salariés sans employés et autres professionnels indépendants. La Suisse compte 320'000 travailleurs indépendants (en solo), mais on ne dispose pas de la statistique précise du nombre de freelances. La France compte 3,2 millions de freelances et l’Union européenne pas loin de 33 millions, selon Statista.

Etre «multi-services»

Mais quelles sont les conditions de vie de ces freelances, payés à la tâche? Peut-on en vivre? «Bien sûr que l’on peut vivre du freelancing, mais il faut être multi-services», répond Jean-Yves Ponce. Ce youtubeur français aux 185'000 abonnés s’est spécialisé dans les conseils destinés à améliorer sa mémoire et son potentiel intellectuel et y a consacré de nombreuses vidéos et formations en ligne. Auteur de plusieurs ouvrages à ce sujet, il a aussi créé une «bibliothèque virtuelle» depuis 2020, sur laquelle il accueille de nombreux freelances de différents secteurs, connectés pour travailler en compagnie d’autres. «Par exemple, dans la communication, le freelance doit pouvoir combiner des services de graphisme avec du conseil marketing, de la mise en page ou du traitement de texte. Ne pas se contenter d’être un simple exécutant. Celui qui n’est que graphiste, relecteur ou traducteur sera plus précaire; il lui faut apporter plus de valeur.»

Pour Jean-Yves Ponce, auteur et formateur en ligne, un freelance ne doit pas se concevoir comme un simple exécutant.

Pour Jean-Yves Ponce, être un freelance, c’est accepter de sacrifier une sécurité de l’emploi pour avoir plus de liberté. Quand des salariés se convertissent en freelances, c’est aussi pour répondre à une quête de sens, qui survient souvent entre 30 et 50 ans. L’opportunité, aussi, dicte souvent le saut dans le freelancing. «Avec l’essor de l’économie numérique, on a assisté à de nombreuses reconversions», constate Jean-Yves Ponce.

Métier très cyclique

Aujourd’hui, le métier de freelance est plus exigeant qu’il y a 5 ans, quand il était plus facile de faire sa place sur Fiverr. Mais le marché s’est mondialisé et la concurrence en ligne devient rude. Surtout, l’intelligence artificielle (IA) vient bouleverser le marché des freelances. La précarité menace souvent les freelances du bas de l’échelle. Surtout en cas de crise économique, ce sont les premiers auxquels renoncent les entreprises clientes, a récemment indiqué le fondateur de la plateforme Fiverr, l’israélien Micha Kaufman, qui a dû réduire la voilure de l’entreprise fin 2022. «C’est un métier très cyclique. Les entreprises laissent tomber les freelances avant leurs salariés; mais quand l’économie va mieux, les entreprises embauchent d’abord des freelances avant de recruter des employés permanents.»

Les perspectives ne sont pas de tout repos. «Avec l’IA, les défis seront encore plus grands, constate Jean-Yves Ponce. Chaque freelance devra trouver le moyen de conserver sa valeur ajoutée dans son domaine, surtout dans les métiers du numérique et de la communication, comme la création de contenu et la création graphique, particulièrement challengées par l’IA.»

Pour garder un coup d’avance, créer une agence pour employer d’autres prestataires peut être une manière de s’élever dans la «chaîne alimentaire» de l’économie du freelancing. Centraliser les besoins du client et lui trouver les freelances qu’il n’aurait pas eu le temps de trouver, puis toucher une marge au passage. C’est la stratégie que recommande Ethian Longchamp.

Pour Jean-Yves Ponce, se constituer en agence et agréger des services de freelances pour un client, cela signifie souvent que l’agence sous-traite à des prestataires moins chers. «Ce n’est pas ce que je préfère dans le freelancing. Cela crée plusieurs couches d’intermédiaires. On trouve d’ailleurs cela dans tous les secteurs, par exemple pour la garantie de mon lave-linge, la réparation est déléguée à un gros distributeur de ma région, qui délègue à son tour à un artisan. Mais au final, soit l’artisan est sous-payé, soit tout le monde prend sa marge et le client se retrouve avec une facture mirobolante.»

Incitation à créer une marque

«Le vrai problème du freelance, explique Ethian Longchamp, est que vous proposez un service, mais pas une stratégie de marque derrière. Vous devez vendre votre nom, et c’est plus dur que de vendre votre entreprise. C’est pourquoi beaucoup de freelances ont créé des agences marketing et des agences de graphisme, car ils remarquent que sans une structure d’entreprise avec marketing et vente, se vendre est devenu très dur.»

Le jeune entrepreneur genevois estime que si la mode du freelancing a fait beaucoup d’émules, beaucoup n’arriveront pas à suivre. «Il ne suffit pas de se lancer avec 15'000 euros d’économies, pour se garantir une source de revenus. Il faut l’ambition de bâtir quelque chose de plus entrepreneurial. Sans cela, un graphiste qui travaille au Bangladesh va offrir un service qui sera le même, mais beaucoup moins cher, et beaucoup de freelance vont se planter en chemin.» Au fond, explique Ethian Longchamp, dans le freelancing, il faut éviter de rester sur le bas de l’échelle. «Vous allez vite plafonner au niveau des revenus et du scaling. Vous gagnerez beaucoup moins qu’une agence. Si vous êtes libre, mais que vous faites 2000 francs par mois, vous n’avez pas la liberté réelle, de partir en vacances, d’avoir un appartement.»

Sprinter contre les algorithmes

Le freelance ne doit pas se concevoir comme un simple exécutant, mais se renouveler sans cesse, dit aussi Jean-Yves Ponce. Dans un univers où la concurrence est de plus en plus acharnée, seuls les plus résistants au stress vont pouvoir durer. «La pression du freelancing n’est pas faite pour tout le monde. Il faut beaucoup d’autonomie, une capacité de travailler seul, et une discipline de fer qui ne sont pas à la portée de tout un chacun.»

L’un des enjeux les plus fondamentaux lorsqu’on est freelance, c’est la visibilité, «c’est la clé de tout», constate Jean-Yves Ponce. Il note qu’au milieu d’une surabondance de contenus générés par l’IA, le tout sera de se démarquer des algorithmes, sachant que leur production manque d’humanité, d’humour, de touche personnelle, d’authenticité. Les écrivains et les graphistes devront se réinventer pour continuer d’offrir ce que l’IA n’offre pas. Apprendre à mettre l’IA à leur service. Plus que jamais, il faut constamment mettre ses connaissances à jour. Le freelance sprinte contre des algorithmes, en quelque sorte. Autre stratégie utile: nouer des contacts réels autour de soi plutôt que de s’internationaliser. Faire des démonstrations en présentiel, viser la confiance, la proximité, les partenariats plus forts.

«Par rapport au salariat, il y a quelques années, nous avions un avantage très net à être libres, constate Jean-Yves Ponce. Aujourd’hui, cet avantage se réduit, le freelance est moins serein. Si l’on a 30-50 ans, on peut vouloir se poser et rechercher – même temporairement – le salariat.» Il observe qu’aujourd’hui, les carrières sont souvent des chapitres professionnels qui se succèdent, des cycles freelance-salarié-freelance. «La liberté a ses challenges, et la sécurité ne suffit pas. Il faut des périodes de répit et de sécurité, mais il faut aussi une carrière qui nourrisse l’âme.»

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