Si pendant longtemps le monde de la finance a consisté en un boys’ club fermé aux non-initiés, et à fortiori aux femmes, il semblerait bien que la situation soit en train de changer. Dans sa dernière enquête «BlackRock People & Money Survey 2024», réalisée en collaboration avec la société internationale de sondages et d'étude de marché YouGov, le mastodonte de la gestion d’actifs BlackRock met en lumière les dynamiques actuelles de l'investissement en Europe.
11 millions de nouveaux investisseurs
Premier constat du communiqué de presse diffusé le 17 octobre dernier: l’Europe compte actuellement quelque 113 millions d’investisseurs avec une hausse de 11% correspondant à environ 11 millions de nouveaux investisseurs par rapport à 2022.
En Suisse, 45% des adultes possèdent au moins un produit d’investissement comme des actions, des obligations, des ETF (Exchange Traded Funds) ou encore des cryptomonnaies. Un chiffre qui se rapproche de ceux des pays scandinaves, où presque un adulte sur deux investit. À l’inverse, la France, l’Italie, l’Espagne ou encore le Portugal ne comptent que 28 à 30% d’investisseurs.
Selon Timo Toenges, responsable de l’activité Digital Wealth pour la région Europe, Moyen-Orient et Afrique chez BlackRock, l’augmentation du nombre d’investisseurs observée ces dernières années s’explique de plusieurs manières: «Depuis 2020, les investissements des ménages en Europe ont connu une croissance spectaculaire, sous l’impulsion de plusieurs facteurs convergents. Parmi eux, la réduction des barrières à l'accès aux placements via les canaux numériques, tant à travers de nouvelles plateformes qu'au sein des banques traditionnelles, a joué un rôle clé. [...] Jusqu'en 2022, les faibles taux d'intérêt, suivis plus récemment par des taux élevés couplés à une forte inflation, ont pénalisé les épargnants. Ces évolutions ont incité des millions d'Européens à se tourner vers les marchés de capitaux pour sécuriser leur avenir financier à long terme.»
Une croissance dopée par les jeunes et les femmes
Autre donnée marquante de l’enquête réalisée par BlackRock: la part de femmes, en particulier celles de la génération Z et des Millennials (25-34 ans), engagées dans l'investissement a connu une augmentation qualifiée d’«impressionnante» de 11% depuis l’année 2022 pour atteindre 29% en 2024. En comparaison, et alors que les hommes continuent à investir plus que les femmes (47% en 2024), la croissance chez ces derniers affiche une hausse de 4% seulement. En outre, l’enquête rapporte un boom de 13% des activités d'investissement chez les Millennials et la génération Z.
Sur la même période en Suisse, le nombre de femmes investisseuses a quant à lui bondi de 19% tandis que la population de jeunes investisseurs a enregistré une hausse de 36% pour la tranche des 18-24 ans, respectivement de 19% pour les 25-34 ans, preuve que dans notre pays aussi, les nouvelles générations et les femmes semblent bien parties pour prendre le contrôle de leurs finances personnelles.
Manque de ressources et de connaissances financières
Alors que de plus en plus de personnes placent leur argent dans des produits financiers, un certain nombre de freins subsistent dans des proportions variables en fonction de l’âge et du genre des non-investisseurs. Selon BlackRock, la première barrière en Europe demeure le manque de ressources financières (pour 65% des non-investisseurs européens), suivie par le manque de connaissances en matière d’investissement (33%), la peur de perdre de l’argent (25%), le manque de temps pour investir (6%) ou encore l’impression de ne pas parvenir à contrôler ses dépenses (6%).
Enfin, l’enquête relève que le sentiment de ne pas posséder suffisamment de connaissances en matière de finance est plus souvent invoqué par les femmes n’ayant pas (encore) franchi le pas (33%) que par les hommes dans la même situation (19%). Un constat qui fait écho aux nombreuses études conduites en Europe ou aux États-Unis faisant état d’une disparité entre les genres en matière d’éducation à l’argent.
Les femmes, moins aptes que les hommes en matière financière?
Dans un article paru dans la Revue 2023 de la Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF), la gestionnaire de fortune indépendante et autrice du livre «Ce que valent les femmes» Sarah Genequand explique que de nombreuses femmes sont victimes de ce qu’elle nomme «le mythe financier», un terme qui désigne «les stéréotypes et croyances qui supposent que les hommes sont naturellement plus aptes que les femmes à gérer leurs finances (et celles des autres), et qui a pour conséquences que de nombreuses femmes se désintéressent du sujet de l’argent et manquent de confiance en leurs capacités à l’aborder», explique l’experte qui plaide en outre pour une introduction de cours d’éducation financière dès l’école obligatoire.
Ainsi, et malgré la subsistance de certains freins, il semblerait que nous assistions aux prémices d’un secteur financier plus jeune et plus féminin qu’auparavant. Une évolution qui réjouit Laura Jalabert, directrice en charge des relations avec les Banques et les gérants indépendants chez BlackRock à Genève: «Il est encourageant de voir qu'en Suisse, la prochaine vague d'investisseurs pourrait être menée par la jeune génération et les femmes. Beaucoup devraient commencer à épargner en investissant au cours de l'année à venir.»