L’acronyme PFAS (prononcé «pifasse») a de quoi faire blêmir. Fréquemment et furieusement abordé dans la presse, il se réfère aux alkyls perfluorés et polyfluorés, des substances de synthèse utilisées pour rendre certains matériaux résistants à l’eau et à la graisse. Les vêtements de ski, poêles au Teflon et autres composés électroniques sont souvent dénoncés, tandis que d’importantes concentrations de PFAS se trouvent également dans l’alimentation et l’eau: en avril 2024, Genève découvrait avec effroi une haute teneur de ces molécules dans ses eaux souterraines, bien que celle du robinet reste dans les normes, selon la RTS. En janvier, des analyses réalisées par le canton révélaient en outre que 150 sites genevois sont pollués aux PFAS et voués à un assainissement complexe.
Ces polluants chimiques doivent leur célèbre surnom de forever chemicals à leur dégradation particulièrement lente, qui explique leur présence imprévisible tout autour de nous. Il en existe en effet des milliers de variantes, dont les combinaisons et le cycle de vie ne peuvent, à ce jour, être analysés avec précision. Alors que la sonnette d’alarme tonne depuis plusieurs années, des mesures récentes visent à bannir ou à réguler certains types de PFAS, notamment en France ou aux États-Unis.
Mais pourquoi a-t-on si peur de ces substances, qui se glissent sournoisement dans chaque recoin de notre environnement? Elles sont, hélas, réputées pour provoquer des problèmes de santé, bien que le lien de causalité n’ait pas encore été clairement établi. Les hypothèses et pistes dont disposent les scientifiques tendent toutefois à démontrer un probable impact néfaste sur plusieurs fonctions de l’organisme, en élevant le risque de contracter certaines maladies, dont des cancers.
Quelles maladies les PFAS peuvent-ils causer?
«La recherche est compliquée, puisque cette classe de substances possède des milliers de variantes, rappelle Federica Gilardi, responsable adjointe de l'Unité Facultaire de Toxicologie du Centre Universitaire Romand de Médecine Légale (CURML) du CHUV et des HUG. Or, il en existe quelques-unes qu’on connaît mieux, comme les PFOS et les PFOA, des formes de PFAS qui présentent des effets cancérogènes prouvés.»
Aujourd’hui, ces dernières sont bannies ou régulées par la Convention de Stockholm, mais leur dégradation très lente les rend aussi tenaces que persistantes: ces substances sont donc toujours présentes dans l’environnement, même si leur production est désormais restreinte.
«Pour l’instant, les études épidémiologiques ont souligné une augmentation du risque de certains cancers, comme celui des testicules et des reins, poursuit notre experte. Il existe aussi un consensus au niveau des effets sur le système immunitaire: l’exposition à ces PFAS peut effectivement réduire notre capacité à produire des anticorps, par exemple lors de la vaccination. Cela ne signifie pas que l’organisme devient incapable de se défendre, mais que ces molécules peuvent légèrement impacter son aptitude à le faire.»
Un autre aspect confirmé par les études épidémiologiques est une augmentation du cholestérol et des triglycérides, qui peuvent augmenter le risque de souffrir d’une maladie cardiovasculaire. «On note aussi une réduction sur la fertilité, chez les hommes comme chez les femmes, ainsi qu’une possible réduction du poids à la naissance, pour les bébés mis au monde par des femmes exposées aux PFAS», ajoute Federica Gilardi.
Or, la spécialiste souligne que ces études ne constituent pas des preuves absolues, dans la mesure où même si ces études montrent une association entre les taux de PFAS et certains problèmes de santé, il est impossible, pour l’instant, d’établir avec certitude un lien de cause à effet direct entre l’exposition aux PFAS et ces différents facteurs de santé observés chez les populations étudiées. Les liens sont complexes et difficiles à séparer dans la mesure où il existe des milliers de ces molécules et d’autres nombreux facteurs individuels peuvent aussi jouer un rôle.»
Comment les PFAS perturbent-ils l’organisme?
Bien que des alternatives aux substances bannies aient été proposées, souvent dotées de chaînes moléculaires plus courtes et donc moins à même de s’accumuler, leurs effets à long terme ne sont pas encore connus: «L’étude de ces substituts demandera du temps», déplore l’experte, bien que des produits alternatifs sans PFAS existent aussi, pour certaines utilisations.
En ce qui concerne les PFAS mieux connues, leur façon de pénétrer dans le corps est moins mystérieuse: Une fois qu’elles ont pénétré dans notre corps, au travers de l’eau, de l’alimentation, de l’inhalation (pour les personnes travaillant dans des usines, par exemple), ces molécules peuvent impacter plusieurs fonctions indispensables du corps. «Les PFAS sont des polymères, dont certaines variétés sont capables d’activer des récepteurs présents dans l’organisme, souligne la spécialiste. Ces molécules chimiques peuvent mimer l’activité des substances endogènes, notamment certaines hormones, qui envoient des signaux à ces récepteurs.»
En d’autres termes, elles peuvent envoyer de faux messages aux récepteurs du corps et ainsi perturber la signalisation normale: «Par exemple, certains sont capables d’activer les récepteurs des œstrogènes ou sur d'autres récepteurs nucléaires, qui contrôlent les voies métaboliques ou le système immunitaire, en dérangeant les signaux normaux, précise notre experte. C'est l'une des voies par lesquelles les PFAS peuvent perturber la réponse cellulaire, ce qui pourrait également expliquer leurs effets sur la santé.»
Faut-il s’inquiéter de leurs effets?
Pour Federica Gilardi, le fait qu’on parle de plus en plus des PFAS est une très bonne chose: «Il est important d’agir au niveau de la recherche, pour comprendre l’action et la toxicité de ces molécules et émettre des régulations appropriées», estime-t-elle.
Or, cela ne signifie pas qu’il faille céder à l’alarmisme et se démener pour bannir les PFAS de notre vie (ce qui n’est pas réellement possible): «Sachant que les contaminants sont présents partout, le plus important est d’éviter une exposition répétée à la même molécule, en variant au maximum son alimentation, conclut notre experte. En effet, c'est surtout l’accumulation qui peut engendrer des problèmes de santé.»