Le chiffre a fait l’effet d’un coup de tonnerre. En avril dernier, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont publié une étude sur la santé mentale des jeunes. Sur un échantillon de près de 500 adolescents genevois, le résultat est sans appel: un sur sept a des pensées suicidaires. Pour la psychiatre Anne Edan, ces données ne sortent pas de nulle part. «C’est l’ordre de grandeur qu’on pouvait avoir avant le Covid-19, rappelle cette médecin responsable de Malatavie, une unité de crise spécialisée issue d’un partenariat entre les HUG et la fondation Children Action. Mais il faut quand même être attentif, car la population examinée est large et ce n’est pas forcément celle qui demande de l’aide.»
Dans sa pratique quotidienne en effet, la psychiatre rencontre des jeunes soit qui sont capables d’identifier l’ampleur de leur mal-être et d’en parler, soit qui ont déjà fait une tentative de suicide. L’étude publiée dans «Swiss medical weekly» élargit donc cette perspective. Et montre que beaucoup d’ados pourraient avoir des idées suicidaires sans jamais alerter personne. À l'occasion de la journée pour la prévention du suicide, la spécialiste nous explique comment aider un jeune en difficulté.
Quels sont les facteurs de risque?
La Dre Anne Edan rappelle d’abord que cet âge (entre 14 et 17 ans dans l’étude) est très spécifique. «On estime que les idéations suicidaires pourraient presque être une accentuation de la crise d’adolescence, explique-t-elle. C’est une période de deuil par rapport à l’enfance, pendant laquelle il faut s’affirmer, se réajuster. C’est une période dépressogène. L’idéation suicidaire va bien sûr plus loin qu’un simple vague à l’âme, mais peut être comprise comme un continuum avec une crise de l’existence. Même si nous recherchons activement des facteurs aggravants et en particulier tout ce qui peut isoler l’adolescent.»
Il existe ensuite des facteurs de risque que l’on peut identifier… prudemment. L’étude mentionne par exemple une faible estime de soi, l’identification à la communauté LGBTQIA+ ou l’excès de temps passé devant les réseaux sociaux. Mais notre psychiatre se veut nuancée:
«On ne peut pas faire sans les médias sociaux. Cela a été une solution pour beaucoup d’ados pendant la crise du Covid-19, c’était le seul lien social qu’ils arrivaient à garder et qui permettait alors de lutter contre l’isolement.» Idem pour l’école, qui peut engendrer du stress ou du harcèlement, mais est aussi un lieu potentiel d’épanouissement. D’autant que la Dre Anne Edan rappelle que le suicide est multifactoriel. «Au-delà des conséquences du Covid-19, on peut mentionner l’écoanxiété, cette angoisse liée à la crise écologique, mais aussi des conflits armés et l’instabilité politique» en Europe de l’Est et au Proche-Orient notamment, qui peuvent peser sur le moral de nos ados.
Surveiller l’isolement et les excès
Là où on peut commencer à s’inquiéter, c’est en cas d’isolement: «On a tendance à dire que tant que c’est bruyant, c’est presque plus rassurant», développe la médecin. Des sautes brutales d’humeur (dans une certaine mesure évidemment) ne présentent pas forcément de danger. Au contraire, un adolescent qui délaisse ses passe-temps et ses amis, se renferme dans sa chambre, doit mettre la puce à l’oreille. «On sera plus attentif si quelque chose paraît s’enkyster. Une bonne idée peut être de proposer à l’adolescent des activités qu’il appréciait pour voir comme il réagit.»
Pour d’autres jeunes, le mal-être s’exprimera différemment, avec des excès qui viennent tester les limites et le cadre fixé. Un ado peut ainsi abuser de substances addictives (drogue ou alcool), se scarifier ou abandonner complètement l’école quand ses parents y accordent beaucoup d’importance.
Pour la psychiatre, il est important de «se montrer présent» et de ne pas «adopter une attitude démissionnaire». Mais tout est une question d’équilibre: «Il n’est pas question, même quand on est inquiet, de fouiller dans le téléphone portable de son enfant ou son journal intime.» Cela peut arriver, bien sûr, mais le parent doit alors être prêt à répondre de ses actes et à se justifier.
Ne pas rester seul
Parfois, se retrouver face à un jeune très mal dans sa peau peut être difficile à gérer. Anne Edan rappelle qu’il est important que les proches de l’adolescent en difficulté «reprennent confiance en eux, en leurs propres capacités à l’aider». Il ne faut pas hésiter à en parler entre conjoints ou avec des amis pour, surtout, ne pas rester seul. L’école peut également être une ressource. Parfois, un ado qui se montre très renfermé à la maison sera différent dans le cadre scolaire. Cela peut être douloureux pour un parent, mais, paradoxalement, ce n’est pas nécessairement une si mauvaise nouvelle: «L’ado exprime son malaise là où il le peut, rappelle la psychiatre. La maison est parfois un refuge, le seul endroit où on peut faire tomber le masque.»
Si le dialogue avec le jeune est complètement rompu, la médecin responsable de Malatavie recommande de faire appel à un professionnel. «Il est là pour accompagner un processus de pensée du parent.» Et pour l’aider à se défaire de sentiments négatifs, comme «de la culpabilité ou de l’auto-accusation» à la vue du mal-être de son propre enfant. Certaines personnes ont en effet tendance à trouver des explications dans leurs propres manquements, ou dans un divorce qui se passerait mal. «Il ne s’agit pas de savoir si les gens sont coupables ou non, mais de leur donner les outils pour être responsables.»
En cas de détresse, les urgences psychiatriques des hôpitaux (tels que le CHUV de Lausanne ou les HUG de Genève) accueillent rapidement les personnes ayant besoin d'une aide immédiate.
Par ailleurs, les plateformes telles que Pro Juventute (le 147, pour les parents et les jeunes), la Main Tendue (au 143, pour de l'aide immédiate en cas de pensées suicidaires), Action Innocence (pour les cas de cyberharcèlement), Alpagai (des groupes de soutien pour les personnes LGBTQIA+) ou Safe Zone (pour les problèmes d'addiction et de dépendance) se consacrent jour et nuit au soutien des personnes en détresse ou ayant besoin d’une oreille attentive.
N’ayez jamais crainte de les contacter: les professionnels de ces plateformes sont là pour vous aider, quelle que soit la situation que vous traversez.
En cas de détresse, les urgences psychiatriques des hôpitaux (tels que le CHUV de Lausanne ou les HUG de Genève) accueillent rapidement les personnes ayant besoin d'une aide immédiate.
Par ailleurs, les plateformes telles que Pro Juventute (le 147, pour les parents et les jeunes), la Main Tendue (au 143, pour de l'aide immédiate en cas de pensées suicidaires), Action Innocence (pour les cas de cyberharcèlement), Alpagai (des groupes de soutien pour les personnes LGBTQIA+) ou Safe Zone (pour les problèmes d'addiction et de dépendance) se consacrent jour et nuit au soutien des personnes en détresse ou ayant besoin d’une oreille attentive.
N’ayez jamais crainte de les contacter: les professionnels de ces plateformes sont là pour vous aider, quelle que soit la situation que vous traversez.
Nommer ses propres angoisses
Quid d’une consultation chez un professionnel pour l’adolescent lui-même? Anne Edan y est bien sûr favorable. «C’est intéressant et important, dans ces situations délicates, qu’un parent puisse reconnaître son sentiment d’impuissance et propose d’appeler une ligne d’aide ou de prendre contact avec un professionnel.»
Mais encore faut-il savoir amener les choses. Il vaut mieux exprimer sa préoccupation plutôt que d’asséner qu’on a la solution à tous les problèmes de son ado: «Une attitude de toute-puissance risque de le faire bondir», poursuit la spécialiste. De manière générale, Anne Edan insiste sur la nécessité de nommer ses propres angoisses lorsqu’on se retrouve face à un jeune en difficulté. «Il faut pouvoir lui dire quand on pense qu’il ne va pas bien, résume la psychiatre. Si vous ne voyez plus ce jeune rire, s’il refuse désormais systématiquement de regarder les films en famille, s’il a l’air triste, il faut nommer ces éléments concrets. Une bonne façon d’aborder les choses est de formuler son inquiétude sous forme interrogative: 'À partir de quand dois-je m’inquiéter pour toi? Ai-je raison d’être inquiet?'»
Enfin, «il faut être prêt à ce que ce ne soit pas bien accueilli.» Que ce soit une inquiétude, qui peut être vécue comme une intrusion, ou une proposition de solution, l’adolescent peut mal réagir… et c’est normal. «C’est vrai que cela demande une certaine force, un certain courage pour les parents», conclut Anne Edan.