Vu depuis la Suisse, Thanksgiving pourrait se résumer à une scène de «Friends», dans laquelle Monica se dandine devant ses comparses hilares, une dinde à lunettes sur la tête. Si vous avez consulté nos dernières recettes, vous aurez également compris que la pumpkin pie figure parmi les indispensables de cette fête américaine, accompagnée de ses alliés, le pain au maïs (cornbread) et les haricots verts.
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Malgré ce que suggère la Pop culture, qui tend à farcir nos imaginations de sirupeux clichés, la dinde n’est pas l’unique star de cette tradition (et non, elle ne se porte pas sur la tête): chaque famille la célèbre à sa sauce, diluant les codes pour adapter ce moment convivial à ses propres envies.
«On parle de plus en plus de Friendsgiving, dans le sens où il s’agit surtout de rassembler des êtres chers autour d’un bon repas, explique Marikka, cordon bleu californienne résidant en Suisse et créatrice de cette incroyable tarte. La majorité des foyers préparent une dinde, mais tout dépend de la culture: il m’est notamment arrivé de manger des plats coréens chez des amis, à Thanksgiving, lorsque j’habitais encore aux États-Unis. L’essentiel est de se focaliser sur ce que nous avons, en cultivant la gratitude.»
Oublions donc un instant les patates douces au sirop d’érable, pour se focaliser sur le mindset de cet événement. Car à moins d’êtres amoureuses de la cranberry sauce, les nombreuses personnes déclarant qu’il s’agit de «leur fête préférée» doivent bien en tirer un bonheur plus profond.
Revenir à l'essentiel, malgré le stress quotidien
Entre le 21 et le 23 novembre 2023, les aéroports américains se transformeront en fourmilières, alors que 4,7 millions de voyageurs feront zigzaguer leurs valises à roulettes entre les files d’attente.
«Thanksgiving est une occasion d’être présent avec les personnes qui nous sont chères, résume Elizabeth Frei, psychologue et psychothérapeute FSP américaine basée à Bienne. Aux États-Unis, tout le monde est réparti aux quatre coins du continent et ne dispose que de deux semaines de congé par an: c’est pourquoi nous mettons un point d’honneur à interrompre le rythme effréné de nos journées pour prendre le temps de se retrouver. De nombreuses personnes traversent carrément le pays pour retrouver leur famille ou leur famille choisie.»
En d’autres termes, cette précieuse journée de congé permet de se focaliser sur «ce qui donne le plus de sens à nos vies, même quand le stress du quotidien menace de prendre le dessus».
Pratiquer la gratitude
L’importance du temps passé ensemble se reflète également dans les propos de Marikka, qui évoque des jeux de société et des après-midis sereins, aux côtés de ses proches. «Aux États-Unis, il est assez commun de faire des tours de table, après le repas, afin que chacun partage une chose pour laquelle il ou elle est reconnaissant, ajoute-t-elle. Cette habitude peut être un peu gênante quand on est ado, mais c’est super d’entendre les récits des autres convives. Même si l’année a été très difficile, ce genre de moment permet de se rappeler à quel point on compte les uns pour les autres.»
Ainsi que le soulignent cet article de l’Université de Harvard et diverses études (dont une recherche polonaise menée en 2022), la gratitude augmente sérieusement notre bien-être: «Elle peut réduire les symptômes dépressifs et le stress, tout en renforçant notre résilience, acquiesce Elizabeth Frei. On l’associe à la pleine conscience, au fait de porter notre attention sur les choses que nous prenons pour acquises, mais qui sont essentielles à notre bonheur.»
Or, pour profiter de ses bienfaits, il faudrait idéalement y penser chaque jour - même quand il pleut et que l’actualité sombre assombrit le moral. «Ce n'est pas instinctif, puisque notre cerveau tend plutôt à se focaliser sur ce qui est négatif», poursuit notre experte. Heureusement, il est possible d’entraîner notre cerveau à modifier certains de ses mécanismes et à voir la tasse à moitié pleine.
Entraîner notre cerveau à remarquer le positif
«Personnellement, j’ai associé ma pratique de la gratitude à ma machine à café, partage la psychologue. C’est tout simple; dès que j’appuie sur le bouton pour me faire une boisson chaude, je pense automatiquement au bonheur que me procure ce moment. Cela influence ma perception, puis ma journée toute entière.»
Il n’est toutefois pas nécessaire de noircir l’un de ces fameux «carnet de gratitude» pour muscler la zone optimiste du cerveau: notre intervenante estime que tout rituel peut fonctionner, tant qu’il s’adapte à nos habitudes: «Par exemple, en prenant le bus, on peut se concentrer sur le confort de sentir nos pieds bien au chaud, afin de s’ancrer dans le moment présent, propose-t-elle. Il faut un certain temps pour développer cette habitude, puisqu’un effort conscient est requis pour remarquer davantage les éléments positifs. Mais plus nous le faisons, plus cela devient naturel, grâce à la neuroplasticité de notre cerveau, qui croît et change au fil du temps.»
Partager notre vécu et notre table avec autrui
Impossible de faire l’impasse sur la table de Thanksgiving, que Marikka organise avec minutie, plusieurs jours à l’avance: «Je planifie tout ce que je veux préparer, afin de pouvoir profiter de la journée, raconte-t-elle. Et je donne des missions à mes invités! De cette manière, tout le monde se sent impliqué et la préparation devient un moment de partage.» À nouveau, la connexion aux autres détrône la pecan pie («même si on préfère qu’elle soit réussie!», précise Marikka).
Elizabeth Frei se souvient notamment de l’émotion qui imprégnait son domicile familial, lorsqu’elle était enfant: «Mes parents avaient pour habitude d’inviter des personnes démunies ou esseulées à partager notre repas. C’était fascinant d'entendre celles-ci décrire leurs expériences, leurs émotions... En partageant ce pour quoi nous sommes reconnaissants, chacun se montre très vulnérable, ce qui resserre les liens, ouvre l’esprit et met en valeur des expériences communes.»
Réduire le perfectionnisme entourant les Fêtes
Le dernier point n’est pas des moindres, alors que les gargantuesques listes de Noël menacent de nous faire hyperventiler d’avance: à Thanksgiving, hormis un large repas cuisiné à la maison, il n’y a rien d'autre à préparer. Aucune pile de cadeaux à ériger, aucun arbre à décorer, aucun gui à esquiver… «Les invités ne se présentent généralement pas les mains vides, mais la pression est réduite, car il n’y a aucune exigence particulière, précise Marikka. Cette fête n'est pas compliquée, implique moins d’injonctions... et tout le monde est quand même content!» Voilà qui relativise le concours de guirlandes souvent associé à Noël.
Même la météo se déleste de tout idéal, sachant qu’on n’a jamais chanté la beauté d’un «Thanksgiving blanc»: peu importe s’il pleut des cordes; tant qu’il y a des tartes, tout ira bien.