La chaîne Telegram «la Genèverie» était un supermarché de bons plans. S'y monnayaient fausses Rolex, fichiers de police ou permis bateau. Pour ce vaste trafic, huit apprentis matelots, boulanger, faussaires ou policiers adjoints sont jugés à partir de lundi à Paris.
L'affaire mêle des prévenus dans la vingtaine aux profils hétéroclites, du faussaire millionnaire flambant au volant d'une Lamborghini jusqu'au sans emploi ou au salarié payé 1500 euros par mois. Elle a eu pour point d'orgue «la Genèverie». Sur ce canal crypté de novembre 2019 à février 2022, l'activité principale est la vente de bijoux de luxe contrefaits.
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Puis les prestations illégales s'étoffent, fourniture de fausses cartes d'identité, prêtes en vingt-quatre à quarante-huit heures, de permis bateau pour 1200 euros ou de codes de la route auto/moto pour 125 euros. S'y vendent aussi faux crédits ou comptes bancaires, retraits d'amendes, de points de permis ou pass sanitaires falsifiés.
Accès aux fichiers de la police
Autres prestations qui valent à deux policiers adjoints de comparaître devant le tribunal correctionnel: l'accès à divers fichiers de police. Il fallait compter 500 euros pour consulter le Traitement d'antécédents judiciaires (Taj) ou le Fichier des personnes recherchées (FPR), 200 euros pour le SIV (le système municipal d'immatriculation des véhicules).
Après un premier contrôle douanier d'un colis à l'automne 2021 dans un bureau de poste du Pontet (Vaucluse), puis des mois d'enquête et de filatures d'Avignon à Landerneau, le réseau est mis au jour.
«LA GENEVERIE ET FINI»
Florian R., 25 ans, le gestionnaire de la Genèverie, est interpellé en juin 2022. Quand les forces de l'ordre interviennent, il se retranche chez lui, détruit ordinateurs et portables, et envoie un message d'avertissement qui dit «LA GENEVERIE ET FINI» (sic).
L'enquête détermine qu'il est en contact avec Julien V. pour l'acheminement des montres. Celui-ci, établi en Thaïlande, se présente comme le numéro 1 des ventes de fausses montres en France. Sur Snapchat et autres réseaux sociaux, il étale son expertise. Il se vante d'être parti en Chine en 2015 avec 5000 euros en poche et s'être lancé dans la contrefaçon, fort de contacts avec des usines de fabrication chinoises.
A son actif, trois maisons d'une valeur de plusieurs centaines de milliers d'euros et la vente, assure-t-il, de quelque 12'000 montres. Parmi elles, des copies de bonne facture chinoises, dotées de vrais mécanismes dans de faux boîtiers quasi-indétectables, et des «doublettes» pour lesquelles il réplique de vrais numéros de série.
3 millions d'euros de gains
Les produits de contrefaçon coûtent chaque année 16 milliards d'euros, selon l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle. A lui seul, Julien V. a généré environ 3 millions d'euros de gains en quatre ans, soit un préjudice aux marques estimé à plus de 360 millions d'euros par les enquêteurs. Florian R. est aussi en lien avec des intermédiaires, dont Karim S. alias «Tanger», fier d'avoir «des milliards de comptes» et qui reconnaît avoir répondu à une annonce sur Telegram sur la recherche de policiers à corrompre.
Les cryptomonnaies Monero, entre autres, servaient à blanchir l'argent. Les huit prévenus sont poursuivis pour une série d'infractions dont la confection, falsification et commercialisation de cartes d'identité, l'introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé de données à caractère personnel, la corruption passive et active.
«Contrairement aux déclarations des prévenus qui n'ont eu de cesse de minimiser leur responsabilité et la portée de leurs actes, nous rappelons que la contrefaçon est un fléau économique et social aux conséquences désastreuses», relève Me Romain Boulet, avocat de marques qui se sont constituées partie civile (Patek, Chanel, Omega)... et qui espère des «sanctions la hauteur des préjudices subis.» Le procès doit durer jusqu'au 20 mars.
(AFP)