L'IA est aujourd'hui présentée comme un remède miracle pour pratiquement tous les problèmes économiques: analyser un énorme ensemble de données? ChatGPT le fait en quelques secondes. Communiquer avec des clients et des partenaires en Chine? Un jeu d'enfant grâce aux outils de traduction dopés à l'IA.
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L'économie suisse est d'ailleurs à la pointe de la révolution de l'IA! Dans un sondage réalisé par l'agence de placement Manpower, 67% des cadres suisses déclarent que l'IA a une influence positive sur leur travail. 57% des entreprises suisses se considèrent comme des early adopters, c'est-à-dire qu'elles utilisent déjà l'IA dans leur travail quotidien – une augmentation de 27% par rapport à l'année précédente. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'étude montre que l'IA n'est pas perçue comme une menace pour l'emploi.
Des attentes élevées envers l'IA en tant que nouveau collaborateur
De son côté, Mathias Binswanger ne voit pas cet engouement pour l'IA d'un très bon œil. L'économiste enseigne à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse (FHNW) et vient de publier un livre sur la révolution de l'IA. «Die Verselbstständigung des Kapitalismus» (traduisez «L'autonomisation du capitalisme») fait actuellement partie des best-sellers parmi les livres d'économie, selon Bilanz.
«Nous sommes naïfs en ce qui concerne l'IA», prévient Mathias Binswanger. Par exemple lorsque les entreprises peinent à trouver suffisamment de personnel en raison de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée et qu'elles espèrent pouvoir utiliser l'IA comme «main-d'œuvre supplémentaire». «La numérisation et l'IA n'atténueront guère la pénurie de main-d'œuvre qualifiée», rétorque Mathias Binswanger. Certes, on économise effectivement du personnel dans certains domaines. «En revanche, il faut davantage de personnes qui s'y connaissent en technologies numériques ailleurs.» Au final, cela équivaut à un jeu à somme nulle.
Cela signifie aussi que nous ne devons effectivement pas craindre un chômage à grande échelle dû à l'IA. Et si vous pensez que l'IA effectuera des tâches routinières ennuyeuses, nous permettant de consacrer davantage de temps à des tâches plus passionnantes et plus créatives, vos espoirs vont être douchés. Le professeur d'économie Mathias Binswanger estime qu'il s'agit d'un leurre. «Les emplois traditionnellement peu attractifs sont remplacés par de nouveaux emplois qui ont tendance à être également peu attractifs.» Au lieu d'avoir plus de temps pour la créativité, l'IA engendrerait plus de bureaucratie sur le marché du travail. «Des départements entiers de conformité seront créés, des questions de protection des données et de responsabilité se poseront, l'IA renforcera la bureaucratie du contrôle de gestion», prévoit-il.
Les consultants en IA font de bonnes affaires
Une vision moins optimiste que dans les promesses mirobolantes des entreprises de la tech. «Il y a des intérêts économiques évidents derrière le fait de nous présenter les choses comme si l'IA était une sorte de tsunami qui allait nous submerger», explique Mathias Binswanger. «Les entreprises de conseil qui soutiennent les entreprises dans le domaine de l'IA poussent comme des champignons.» Elles font de bonnes affaires en profitant de l'engouement pour l'IA.
De nombreuses entreprises suisses peuvent se permettre d'adopter l'IA. Mais va-t-elle vraiment transformer notre économie à grande vitesse? Mathias Binswanger reste sceptique. «Il y a dix ans, on pensait qu'aujourd'hui, nous serions tous sur la route avec des voitures qui se conduisent toutes seules», rappelle-t-il. Les cryptomonnaies devaient supplanter l'argent traditionnel, le métavers devenir la nouvelle place du marché virtuelle. Ces scénarios ne se sont pas réalisés, malgré le battage médiatique.