Il mesure à peine cinq millimètres et vit plutôt caché dans des grottes. Bien que même de nombreux spécialistes n'aient jamais vu ce coléoptère, il déchaîne les passions. La raison en est son nom scientifique: Anophthalmus hitleri.
Ce coléoptère brun et sans yeux a été nommé en l'honneur d'Adolf Hitler – et est très apprécié de certains collectionneurs en raison de son nom. Une autre pièce polémique est exposée au musée d'histoire naturelle de Berlin: le dinosaure Dysalotosaurus lettowvorbecki, nommé d'après Paul von Lettow-Vorbeck (1870-1964), qui a participé à des atrocités en Afrique en tant que commandant de l'armée coloniale allemande.
Il existe des directives claires pour l'attribution des noms
Des exemples comme celui-ci, il y en a plusieurs. La plupart du temps, il s'agit d'animaux qui ont été nommés scientifiquement il y a longtemps. Mais peut-on accepter cela à une époque où les rues sont rebaptisées, les monuments détruits et où l'on réfléchit de manière critique au langage en général? Même dans la communauté scientifique, les noms d'animaux controversés font l'objet de discussions. Mais rien ne changera de sitôt.
Chaque année, des milliers de nouvelles espèces animales sont recensées dans le monde entier. La manière dont les taxonomistes doivent procéder est définie dans les règles internationales de la nomenclature zoologique. La nomenclature n'impose pas de contenu, explique le professeur de zoologie Michael Ohl du Museum für Naturkunde de Berlin. Les chercheurs peuvent choisir librement les noms, à condition qu'ils soient formés correctement d'un point de vue technique. «Ceux-ci sont valables dès qu'ils sont publiés et ne peuvent alors plus être supprimés.»
Un papillon de nuit dénommé Trump
Une longue tradition veut que les espèces animales nouvellement découvertes soient nommées d'après des personnes – pour flatter un généreux bailleur de fonds, honorer la famille ou les amis ou attirer l'attention par l'entremise d'homonymes célèbres, comme l'écrit Michael Ohl dans son livre «Die Kunst der Benennung». Ainsi, une espèce de mille-pattes porte le nom de la pop star Taylor Swift, des scarabées sont nommés d'après l'acteur Leonardo DiCaprio et la militante pour la protection du climat Greta Thunberg, une espèce de papillon de nuit rappelle, elle, l'ancien président américain Donald Trump.
Les exemples du scarabée Hitler et d'un papillon nommé Rubus Mussolini – d'après le dictateur italien et chantre du fascisme Benito Mussolini – montre de manière particulièrement claire que le fait de nommer des animaux en se basant sur des personnes peut vite devenir un problème. Que se passe-t-il lorsqu'une personnalité politique dérive vers des cercles extrémistes ou lorsqu'une star de cinéma est jugée pour agression sexuelle? Selon certains scientifiques, les noms d'espèces peuvent également être discriminatoires ou racistes.
Des centaines de milliers de noms scientifiques remis en question
La paléobiologiste Emma Dunne de l'université allemande d'Erlangen-Nuremberg a étudié, avec d'autres spécialistes, les noms de tous les dinosaures connus, soit environ 1500. Avant la publication, la scientifique ne souhaite pas parler des résultats de l'étude. Mais selon un rapport publié dans la revue spécialisée «Nature», l'équipe a notamment remarqué que de nombreux fossiles découverts en Tanzanie entre 1908 et 1920 avaient été nommés d'après des chercheurs allemands plutôt que d'après des membres autochtones de l'expédition, ou que les noms dérivaient de toponymes coloniaux. La majorité des noms avec une terminaison spécifique au sexe étaient en outre masculins.
Selon une estimation de la Commission internationale de nomenclature zoologique – l'organe qui publie les règles de dénomination – environ 20% des noms d'animaux sont des éponymes. Il s'agit de noms destinés à honorer des personnes. Ils constituent ainsi le plus grand groupe de noms susceptibles de choquer, écrit la commission dans une prise de position. Les toponymes, c'est-à-dire les noms de lieux représentent environ 10% des noms et s'avèrent également parfois problématique. «Ainsi, plusieurs centaines de milliers de noms scientifiques acceptés pourraient être remis en question», peut-on lire.
Changement de nom refusé pour des raisons éthiques
En ce qui concerne les noms de dinosaures, les chercheurs ont estimé que moins de 3% d'entre eux posaient problème. Exprimé en chiffres purs, le problème est vraiment insignifiant, explique dans le rapport de «Nature» Evangelos Vlachos, co-auteur, et collaborateur du musée paléontologique de Trelew en Argentine. Mais pour l'expert, cette problématique revet tout de même un grande importance, si bien qu'il appelle à examiner de manière critique la pratique actuelle et à essayer de corriger les erreurs.
La commission de nomenclature rejette, elle, tout changement de noms d'animaux pour des raisons éthiques. «Nous comprenons bien sûr que certains noms puissent susciter un malaise ou puissent offenser», explique le taxonomiste Daniel Whitmore du Staatliches Museum für Naturkunde de Stuttgart, qui est également membre ladite commission. Mais la priorité, selon lui, est d'avoir une nomenclature universelle et stable, afin d'éviter toute confusion. «Ce n'est pas notre rôle de juger si les noms sont offensants ou éthiquement inacceptables, car c'est une question très subjective et personnelle», ajoute-t-il. «Il serait donc difficile de prendre une décision qui satisfasse tout le monde.»
«La pression de la société et de la communauté scientifique est grande»
Le zoologue berlinois Michael Ohl peut comprendre qu'il ne soit actuellement pas possible de renommer des espèces animales selon les règles de la nomenclature. «La Commission ne veut pas non plus s'y atteler, parce qu'elle ne sait pas comment cela doit être mis en œuvre en détail pour apporter de la clarté – et parce qu'elle a peur d'ouvrir une boîte de Pandore.» Mais selon lui, la commission doit se pencher sur la question et trouver des critères sur la meilleure façon de traiter les noms douteux d'un point de vue éthique. «La pression de la société et de la communauté scientifique est grande.»
Le taxonomiste sri-lankais Rohan Pethiyagoda, du Sri Lanka, estime quant à lui que le fait de rebaptiser les espèces animales aurait pour conséquence de détourner les chercheurs comme lui de leur véritable mission, qui est de décrire la diversité biologique de la Terre. Au lieu de cela, ils se retrouveraient à traiter de sujets qui n'ont aucune importance dans de nombreux pays comme le Sri Lanka, écrit l'expert dans la revue spécialisée «Megataxa». Rohan Pethiyagoda rappelle en outre que la plupart des espèces ont des noms de tous les jours et que les noms scientifiques ne sont généralement utilisés que par les spécialistes.
Renommer le scarabée d'Hitler ne changerait pas grand-chose
Daniel Whitmore pense également qu'une telle discussion ne concerne pas le grand public. Le commissaire rappelle qu'il est tout de même possible de demander officiellement un changement de nom: une demande doit être formulée auprès de la Commission, qui prendra ensuite une décision dans le cadre d'un long processus décisionnel impliquant la communauté scientifique. De telles demandes ont été faites lorsque, par exemple, des noms étaient techniquement erronés. «Mais jusqu'à présent, personne n'a demandé le changement d'un nom pour des raisons éthiques». Pas non plus pour Anophthalmus hitleri.
«Dans un cas comme celui du coléoptère hitler, un changement de nom ne bouleverserait pas grand-chose», estime Michael Ohl. Car le nom ne disparaîtrait pas complètement. Souvent, les animaux ont plusieurs noms scientifiques, raison pour laquelle ils sont tous répertoriés dans une sorte de catalogue sous le nom actuellement en vigueur. De ce fait, celui qui veut collectionner le scarabée Hitler en raison de son nom continuera à le faire, estime l'expert.
Une possibilité d'aborder de manière critique les noms d'animaux controversés serait par exemple de thématiser leur histoire dans les musées afin de favoriser la réflexion. C'est ce qu'a déjà fait le musée d'histoire naturelle de Berlin pour le Dysalotosaurus lettowvorbecki. «Les règles strictes de la taxonomie excluent malheureusement toute modification ultérieure des noms d'espèces attribués une fois», peut-on lire sur un panneau d'exposition.