Le système de santé suisse semble irrécupérable: tout le monde s'accorde à dire que le Tarmed - une sorte de menu pour les médecins ambulatoires et leurs patients – est complètement dépassé. Mais lorsqu'il s'agit de savoir comment remplacer ce système tarifaire et comment répartir différemment les quelque douze milliards de francs par an de budget, les discussions n'en finissent plus.
Depuis trois ans, la Berne fédérale se débat avec une alternative nommée Tardoc, élaborée par la Fédération des médecins suisses (FMH) et l'association des caisses maladie Curafutura. Il y a deux semaines, le ministre de la Santé Alain Berset a voulu donner le coup de grâce à Tardoc au Conseil fédéral, mais a échoué. Le gouvernement a ajourné sa décision.
De son côté, la commission de la santé du Conseil national demande par postulat d'inciter les acteurs – la FMH et Curafutura, l'association des hôpitaux H+ et l'association des caisses maladie Santésuisse – à trouver un nouveau compromis en réduisant certains tarifs Tarmed.
La lettre insistante de Guy Parmelin
Une question est toujours en suspens: sur quel élément repose la résistance d'Alain Berset et de son administration? La pièce centrale du puzzle est un rapport d'audit de 90 pages de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) daté du 19 novembre 2020. Elle circule parmi les fonctionnaires, les représentants des associations et les membres des commissions. Le document, que Blick a pu se procurer, n'a pas été rendu public. Le verdict est accablant: le nouveau système tarifaire est trop cher, trop complexe et trop peu compréhensible.
Tardoc ne remplit déjà que partiellement le critère «documentation complète et transparence». Les informations fournies par les auteurs de Tardoc sont «peu structurées et incomplètes». Ce n'est pas mieux en ce qui concerne le contenu: les attentes en matière de «rentabilité et d'équité» ne sont pas satisfaites et «l'adaptation aux conditions actuelles» n'est que partielle. De plus, la structure tarifaire reste trop compliquée même avec la nouvelle proposition: «Tardoc ne remplit que partiellement les conditions générales de 'simplification de la structure tarifaire'.»
La conclusion des experts de l'OFSP était tellement tranchée que le président de la Confédération de l'époque, Guy Parmelin, avait adressé le 30 juin 2021 une lettre aux partenaires tarifaires en des termes très clairs: «Le Conseil fédéral a constaté que la structure tarifaire Tardoc, ainsi que les concepts qui y sont liés, ne peuvent pas être approuvés dans leur forme actuelle. Tardoc ne peut pas remplir les exigences légales ainsi que les conditions-cadres du Conseil fédéral qui en découlent.» Il demande «avec insistance» aux acteurs de remanier le système en y associant tous les partenaires tarifaires.
Fin décembre, la FMH et Curafutura ont remis une version modérément adaptée de Tardoc. Le fait qu'Alain Berset ait tout de même voulu couler le projet il y a quelques jours en dit toutefois long.
Une surveillance stricte exigée
Comme le montre l'évaluation, les examinateurs de l'OFSP s'inquiètent avant tout du risque de coûts. Ils critiquent par exemple le fait que, selon Tardoc, les médecins peuvent désormais comptabiliser certaines prestations en unités de temps. Certains traitements facturés jusqu'à présent selon un taux fixe seraient désormais comptés selon le temps écoulé.
Si l'idée était retenue, cela permettrait aux médecins de facturer librement le temps passé avec le patient, puisque le plan ne précise pas de limitations. Les fonctionnaires recommandent alors de «surveiller de près» l'évolution de cette proposition.
Un autre exemple est la charge de travail fixée de manière «normative» par des spécialistes et des représentants de la branche. Pour certaines positions, cette charge de travail - dans le jargon, on parle ici de «minutage» - «n'est ni étayée par des données ni justifiée d'une autre manière». Aux yeux des examinateurs de l'OFSP, cela empêche de déterminer si la prestation tarifaire couvre les coûts nécessaires à un traitement efficace. Ainsi, son caractère économique ne peut pas être évalué.
Au vu de ces détails, il n'est guère étonnant que certains détracteurs parlent à demi-mots d'une «planche à billets» pour les médecins. Le fait que la FMH, qui réunit des spécialistes aux intérêts les plus divers, a approuvé Tardoc à l'unanimité va également dans ce sens.
Tout n'est pas à jeter
Les contrôleurs ont toutefois accordé quelques mérites aux concepteurs de Tardoc. Le nouveau tarif apporte «une série d'améliorations» par rapport à Tarmed. Ainsi, même si de nombreux postes ont été réduits là où le chiffre d'affaires a tendance à être faible, quelque 500 nouveaux postes ont été créés pour Tardoc. Surtout, le nombre de «positions» - elles correspondent à des actes médicaux définis - a été réduit de 4500 à 2700 par rapport à Tarmed, ce qui répond au mandat du Conseil fédéral de simplifier le système. Néanmoins, les examinateurs constatent que «Tardoc est et reste une construction extrêmement complexe"; c'est toujours «assez loin» des attentes du gouvernement.
La crainte d'une hausse des coûts est le plus grand casse-tête d'Alain Berset. Selon le rapport, le nouveau système offre davantage de possibilités de combinaison de positions, permet des limites de quantité plus élevées que Tarmed et ouvre certaines positions à des domaines spécialisés qui sont limités dans Tarmed. De plus, certains revenus de référence sont basés sur les salaires des médecins hospitaliers, dont la fonction n'est pas comparable à celle des médecins libéraux. Et dans certains domaines, le temps de travail annuel de référence semble «être fixé à un niveau bas».
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Les créateurs du Tardoc contestent ces estimations et rétorquent que le nouveau tarif est plus efficace et plus clair. Selon les représentants de la FMH, les médecins font également des compromis avec la révision. Les adaptations iraient dans le sens de l'équité. Mais surtout, ils affirment que ce système permet d'éviter de nouvelles hausses de coûts.
Un détail appelé «forfait d'urgence» fait hausser les sourcils. Désormais, les médecins devraient encaisser un supplément pour les urgences, même si elles sont traitées pendant les heures de travail régulières. L'OFSP est sceptique. Les médecins, en revanche, affirment que moins de patients se retrouvent ainsi aux urgences des hôpitaux, ce qui soulagerait le système de santé.
La balle est maintenant dans le camp du Conseil fédéral. Et celui-ci est sous pression: la décision doit être prise dans la première moitié de l'année, comme l'a récemment laissé entendre un représentant de l'OFSP.
(Adaptation par Lliana Doudot)