Malgré ce que l'on pourrait croire, Alain Berset n'est pas devenu muet. Vendredi soir, par exemple, le conseiller fédéral socialiste a donné de ses nouvelles depuis le festival de musique classique de Verbier. Sur Twitter, il s'est montré touché par une représentation commune de musiciens ukrainiens et russes, saluant leur «message de paix et de solidarité».
Une semaine plus tôt, après que l'ex-premier ministre japonais Shinzo Abe a été victime d'un attentat, le ministre de la Santé avait exprimé ses condoléances en anglais au peuple de la péninsule.
Alors qu'Alain Berset semble suivre de près l'actualité mondiale, même pendant les vacances d'été, il garde un silence de plomb sur les incidents délicats qui le concernent directement.
Le Conseil fédéral pas informé
Le 5 juillet dernier, le ministre de l'Intérieur, titulaire d'un brevet de pilote, a été intercepté par un avion de chasse de l'armée de l'air française et contraint d'atterrir. Une reconstitution de son itinéraire laisse penser que le magistrat suisse s'était trop approché d'un aérodrome militaire. Même le président français Emmanuel Macron en a été informé, selon la «NZZ».
Bien que l'Elysée ait été informée de l'erreur de pilotage, Alain Berset a tenté de garder l'incident sous silence dans son propre pays. Selon une enquête de Blick, le ministre n'a même pas informé ses collègues du Conseil fédéral.
Interrogé, son porte-parole Christian Favre confirme: «A notre connaissance, aucune procédure judiciaire n'a été engagée. La situation ne justifiait donc pas une information du Conseil fédéral.» Ce n'est qu'en réponse aux demandes des médias que le département d'Alain Berset a réagi par un communiqué, une semaine après le vol en question. Le conseiller fédéral était seul en déplacement, il s'agit d'une affaire privée. Circulez, il n'y a rien à voir.
Il est donc probable que les membres du gouvernement n'aient appris que par les médias dans quelle situation fâcheuse leur collègue s'est retrouvé en France.
Pas le premier secret
L'erreur aérienne tenue secrète n'est pas le premier cache-cache tenté par le ministre de la Santé. Le 18 mai 2022, par exemple, la ministre de l'énergie Simonetta Sommaruga et le trésorier Ueli Maurer tiennent une conférence de presse à Berne après la séance commune du Conseil fédéral. On évoque alors les mesures de secours pour le secteur de l'électricité.
Ce que le gouvernement ne sait pas à ce moment-là, c'est que le bras droit d'Alain Berset, son ancien porte-parole Peter Lauener, est alors en détention provisoire depuis vingt-quatre heures à Zurich. Bien que la présomption d'innocence soit de mise, un enquêteur spécial l'accuse de violation du secret de fonction dans le cadre de l'affaire Crypto.
Interrogés, les porte-paroles d'Ueli Maurer et de Simonetta Sommaruga se montrent diplomates: en principe, on ne commente pas les affaires qui concernent les autres départements. L'enquête menée par Blick révèle toutefois que le ministre de l'Intérieur n'a pas jugé nécessaire d'informer l'ensemble du Conseil fédéral de l'affaire explosive qui entache son collaborateur. Un membre du Conseil fédéral aurait même été outré d'avoir appris ce qu'il en était dans la presse.
Tandis qu'Alain Berset restait silencieux au sein du gouvernement, ses collaborateurs s'activaient en coulisse pour que Peter Lauener retrouve sa liberté. Il faut dire que les deux hommes sont devenus très proches après deux ans d'efforts communs dans la gestion de la pandémie.
Lourde atmosphère au gouvernement
Ce n'est que le 22 mai que Peter Lauener a été libéré, juste à temps pour le début du World Economic Forum de Davos. Alain Berset y avait un agenda chargé; des entretiens avec les présidents colombien et zimbabwéen étaient prévus, ainsi que des rencontres avec les chefs de gouvernement de Tunisie et du Kosovo ou encore une participation à un débat sur la santé mondiale. Habituellement bon communicateur, il est toutefois annoncé que le ministre de la Santé «renonce à toute apparition médiatique au WEF.»
Deux semaines plus tard, Peter Lauener est limogé. La raison invoquée sonne particulièrement faux aujourd'hui: «L'ancien journaliste et spécialiste en communication veut se réorienter professionnellement», fait savoir le 8 juin le Département de l'intérieur.
Ce manque de transparence vis-à-vis du Conseil fédéral interroge sur l'état d'esprit d'un gouvernement dont les membres se dispersent de plus en plus après le resserrement des rangs imposé par la pandémie. Un point de vue que partagent actuellement de nombreux membres du Conseil national et du Conseil des Etats. On constate que les conseillers fédéraux ne se font plus confiance, affirme Roland Rino Büchel, membre de l'UDC chargé de la politique extérieure. «Ce qui est grave, c'est que cette méfiance entre eux semble justifiée. Ils sont dans une phase difficile.»
«Je n'élirai pas Berset cet hiver»
Le conseiller aux États libéral-radical Damian Müller souligne que les affaires privées doivent le rester. «Mais ces incidents ont certainement aussi un aspect politique, et c'est pourquoi Alain Berset aurait dû informer ses collègues». Selon le Lucernois, ce secret est révélateur de l'atmosphère qui règne au Conseil fédéral.
Les escapades aériennes du socialiste suscitent également le mécontentement au sein de l'administration fédérale. Un haut fonctionnaire n'en revient pas: «Nous travaillons sous pression pour relever les défis qui attendent la nation - l'inflation, la crise énergétique, ou encore l'accueil des réfugiés. J'ai des collègues au ministère qui s'accordent à peine une pause-café. Et pendant ce temps-là, le ministre de l'Intérieur s'offre un vol panoramique.»
Certains parlementaires bourgeois ne souhaitent pas élire Alain Berset à la présidence de la Confédération en décembre, conformément au tournus en vigueur. Il est concevable qu'une gifle symbolique soit donnée au ministre de la Santé à la suite de ses différents déboires: «Je n'élirai pas Berset à la présidence de la Confédération en hiver», assure déjà le conseiller national UDC Roland Rino Büchel. «Et je ne serais pas surpris que certains membres du PS, ambitieuses et tout à fait capables d'assumer la fonction, ne se disent que leur tour est venu d'intégrer le gouvernement.»
(Adaptation par Thibault Gilgen)