«La fiabilité des CFF en Suisse romande laisse à désirer.» Ce ne sont pas (uniquement) les voyageurs de ce coin de pays qui le disent, mais l'entreprise elle-même. Le sceau «confidentiel» apposé sur chaque page du document que Blick s'est procuré ne trompe pas: le contenu des douze pages de ce dossier est sulfureux.
Tout part du constat que la ponctualité et la satisfaction de la clientèle sont nettement plus faibles en Suisse romande que dans le reste du pays. L'ex-régie fédérale qualifie cette situation d'«insatisfaisante». «Les CFF l'ont reconnu tardivement: l'horaire en Suisse romande n'a jamais été adapté sur I'ensemble du périmètre, contrairement à celui de la région de Zurich ou du Tessin», admet l'entreprise.
Ce constat se vérifie dans les chiffres produits par les CFF eux-mêmes. Dans la région «Ouest» (celle de la Suisse romande), l'objectif de ponctualité de 90,5% n'a été atteint que 133 jours sur 365 durant l'année écoulée. Sur l'ensemble du réseau, le résultat est bien meilleur, avec 271 jours de ponctualité. Dans la région Est, il n'y a eu que 24 jours en-deçà des objectifs, soit 341 jours de ponctualité sur 365 en 2021.
L'entreprise dirigée par le Fribourgeois Vincent Ducrot ne cache pas que les clients romands sont lésés. «Nous ne sommes plus en mesure de tenir la promesse faite à nos clients pour quelque 120'000 voyageurs quotidiens», est-il reconnu. Pire, la situation devrait se péjorer ces prochaines années en raisons des nombreux travaux planifiés en Suisse romande. «En l'absence de mesures correctives, le volume des travaux à venir entraînera une nouvelle baisse de la qualité de la production.»
Voilà pour le constat. Quid des solutions? C'est là où le bât blesse. Pour porter la fiabilité et la stabilité au niveau de la moyenne nationale, il convient de «refonder l'horaire en Suisse romande». Un plan «ambitieux» qui doit être réalisé «en étroite collaboration avec l'OFT, les cantons et les entreprises de transport directement concernées».
Temps de trajet rallongés
Un coup d'oeil sur les pages suivantes du document suffit pourtant à se convaincre que les CFF n'ont pas vraiment trouvé de solution miracle. Pire, la solution pourrait bien être pire que le mal. Les conséquences pour l'ensemble de la partie «Ouest» du réseau, puis pour chaque canton romand, sont détaillées sur plusieurs pages, les améliorations encadrées en vert, les détériorations en rouge. Vous l'aurez compris, le rouge est ultra dominant par rapport au vert.
Traduite en termes concrets, la solution des CFF est la suivante: prévoir des temps de parcours plus grands (et plus réalistes) pour éviter que les trains ne soient en retard — le fameux «score de ponctualité» remonterait aussitôt aux niveaux du reste de la Suisse. L'entreprise le concède noir sur blanc: «Pour une grande partie des clients, il en résulterait des temps de trajet plus longs, parfois avec davantage de changements. En transport régional, certains arrêts perdraient de leur attrait du fait d'une desserte réduite.»
Porte-parole des CFF, Frédéric Revaz justifie ces choix auprès de Blick. «Les affluences ont augmenté en Suisse romande au cours des dernières décennies (deux fois plus de passagers en 20 ans), explique-t-il. Dans les grandes gares, le temps nécessaire pour les entrées et sorties du train n'est plus prévu par l'horaire.» Or, rappelle l'ex-régie fédérale, la ponctualité est «la priorité des usagers».
Le canton de Vaud «pas satisfait»
Cela ne suffit pas à convaincre Nuria Gorrite. Si les gouvernements cantonaux n'ont pas encore été formellement informés des plans pour 2024, la conseillère d'État vaudois en charge des transports en a eu vent. Et elle n'est pas satisfaite. «L’important est maintenant de commencer le dialogue avec les CFF, tempère-t-elle. Le processus n'est, en effet, qu'à son début. Mais les cantons romands de la Conférence des transports de Suisse occidentale (CTSO) devraient se battre pour conserver les acquis de Rail 2000».
Le plan des CFF pour 2024 menace en effet toutes les correspondances à l'échelle de la Suisse romande, que la «région Ouest» avait gagnées lors de ce fameux Rail 2000. Et Berne s'éloignerait de la Suisse romande: l'arrêt des IC1 à Renens rallongerait le trajet reliant Genève à la capitale d'environ dix minutes, ce qui ne devrait pas contenter tous les Romands, loin de là.
«Aucune décision n’a été prise pour le moment, le travail ne fait que commencer et les mesures proposées sont une base de discussion, relativise Frédéric Revaz. Comme c’est d’usage dans la préparation des horaires, les CFF vont bien entendu prendre en compte les avis des cantons et des partenaires et sont confiants de trouver ensemble de bonnes solutions.»