Une nouvelle vie en Suisse
Olga Lyakhova, l'athlète ukrainienne qui s'est cachée dans une baignoire avec son bébé

Du jour au lendemain, l'athlète de classe mondiale Olga Lyakhova a dû quitter l'Ukraine. Elle tient à témoigner de l'horreur de la guerre et raconte son histoire ainsi que sa nouvelle vie en Suisse.
Publié: 18.07.2022 à 12:47 heures
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Dernière mise à jour: 18.07.2022 à 14:27 heures
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En Suisse depuis quelques semaines: l'athlète Olga Lyakhova et sa fille Nicole.
Photo: BENJAMIN SOLAND
Emanuel Gisi (Texte) et Benjamin Soland (Photos)

Olga Lyakhova, spécialiste du 800m en athlétisme, a toujours dédié son temps à ses entraînements. Mais en l'espace de quelques semaines, elle a dû se poser des questions qu'elle n'aurait jamais imaginées.

Où se cacher lorsque les sirènes d'alerte aérienne retentissent soudainement? Que doit-on emporter avec soi pour survivre? Et surtout, que faire lorsque l'on se réveille un matin au milieu d'une zone de guerre?

«L'endroit était déjà occupé par les Russes»

Alors que l'armée de Poutine envahit l'Ukraine le 24 février dernier, Olga est en camp d'entraînement avec des coéquipiers à Sumy, à 60 kilomètres au sud de la frontière russe. «Quand nous nous sommes réveillés le matin, des bombes tombaient de tous les côtés», se souvient-elle. Nous avons alors fait nos valises. Une heure plus tard, nous avons lu les informations, l'endroit était déjà occupé par les Russes. C'était effrayant.»

Près de 5 mois plus tard, un après-midi de juillet, Olga est assise sur une terrasse ensoleillée, à Berne. Elle vient de rentrer d'un camp d'entraînement à Saint-Moritz. Demain, elle prendra l'avion pour Eugene, dans l'Oregon, où elle tentera de décrocher une médaille aux championnats du monde. Mais avant cela, elle veut raconter son histoire à Blick. «Il est important que le monde sache ce qui nous arrive», clame-t-elle.

Une vie qui bascule

Pour se rendre compte des bouleversements dans la vie d'Olga, une visite de son profil Instagram est révélatrice. Ses photos peuvent être divisées en deux catégories: avant et après le 24 février. D'une époque vouée à son sport et à des shooting, on passe à une ère de fuite, de peur et de colère.

Dès le mois de mars, Olga décide de collecter de l'aide et de la nourriture pour son pays. Notre attention se porte sur une photo de son profil en particulier: on y voit Olga avec sa fille d'un an dans une baignoire rembourrée d'un coussin et d'une couverture. «C'était une nuit dans notre appartement à Krementchuck. Les sirènes hurlaient, il y avait une nouvelle attaque. Nous nous sommes alors cachés dans la baignoire, c'était l'endroit le plus sûr de l'appartement.»

Devenue experte en survie de guerre

Malgré eux, les Ukrainiens sont désormais experts en survie de guerre. Olga connaît les ficelles: «Dans le couloir de l'appartement, on est mieux protégé des bombardements, explique-t-elle. Dans la salle de bains, on est souvent en sécurité. Mais seulement si elle n'est pas carrelée, car le carrelage peut se briser en cas d'impact et devenir dangereux.» Là où, dans d'autres pays, l'actualité brûlante est la météo, les Ukrainiens sont informés à la télévision de la meilleure façon de se protéger.

Avec la guerre, les pensées d'Olga sont devenues tranchantes, sans détour: «Nous étions un pays pacifique, comme la Suisse. Désormais, tous les Ukrainiens pourraient écrire une thèse sur la guerre. Je veux juste savoir une chose: Comment Poutine et les politiciens responsables de cette situation peuvent-ils dormir la nuit?»

Une âme sportive et combative

Les trois premières semaines après le début de la guerre, Olga est restée à Krementchuk. «C'était terrible. Nous nous sommes cachés dans la cave. Ce n'était pas vraiment un abri, mais c'était mieux que rien», raconte-t-elle. Pour mieux se battre, elle décide alors de partir: «Je me suis dit que la meilleure façon d'aider était de me battre pour l'Ukraine en tant qu'athlète et d'attirer l'attention sur ce qui se passe ici».

Avec sa mère Tetiana, son mari Yauheni, son frère Nazar et sa fille, elle se rend donc en Pologne, puis au Portugal dans un camp d'entraînement organisé par son sponsor Nike. Puis, par l'intermédiaire d'un ami, elle entend parler de la possibilité d'être hébergée en Suisse. La Fédération suisse d'athlétisme a accueilli un certain nombre d'athlètes ukrainiens, en tentant de leur trouver un logement et un lieu pour s'entraîner. La petite famille ukrainienne arrive alors à Berne. Elle réside dans une grande maison du quartier Spiegel.

La Suisse est leur pays d'adoption

La vue depuis la terrasse est imprenable sur le palais fédéral. Certains paieraient cher pour bénéficier d'un tel emplacement. La famille ukrainienne peut vivre ici parce que la maison sera bientôt démolie pour faire place à un nouveau bâtiment. Elle appartient à une personnalité connue de l'athlétisme suisse, qui préfère rester anonyme.

Les Ukrainiens sont reconnaissants d'être ici. «La Suisse est désormais mon deuxième pays préféré au monde», assure Olga. Nous avons été accueillis de manière incroyablement chaleureuse par nos voisins. Vous, les Suisses, avez la réputation d'être froids et réservés. Ce n'est pas du tout vrai.»

Un drapeau ukrainien flotte dans le jardin du voisin. Tetiana, la maman, elle aussi ancienne athlète et détentrice du record national du 800m avant sa fille, a fait pousser des tomates dans un coin du jardin. Près de la porte d'entrée se trouve une table de ping-pong sur laquelle des duels se déroulent pendant des jours.

«Je veux rentrer à la maison le plus vite possible»

Le frère d'Olga, Nazar, fréquente une école suisse depuis deux semaines. «Nous aimons être ici, affirme Olga, c'est un paradis. Outre la générosité des gens, la nourriture est tellement bonne. Le fromage, le pain, la qualité est vraiment incroyable. Tu n'as pas à te soucier de ce que tu manges, c'est un rêve.»

Malgré tout, elle ne réfléchit pas une seconde lorsqu'on lui demande quel est son plus grand souhait. «Je veux rentrer à la maison. Le plus vite possible. Dès que la guerre sera finie, nous retournerons en Ukraine.»

«Tu peux te réveiller chaque matin, ou pas»

Mais à quoi ressemblera la vie là-bas? Après le départ de Krementchuk, la ville était à peu près intacte.

Mais depuis, de bonnes parties ont été détruites. Une raffinerie de pétrole a été bombardée, plus tard des roquettes sont tombées sur le plus grand centre commercial de la ville. «En plein jour, c'était une attaque ciblée», assure Olga. J'avais l'habitude d'y faire mes courses. Maintenant, le bâtiment est rasé.» Ceux qui sont restés se sont habitués à vivre dans la crainte de la guerre. «L'attitude des habitants de Krementchuk est simple: tout le monde sait qu'il peut survenir un malheur à tout moment, que tu peux te réveiller chaque matin, ou pas.»

Des proches restés au pays

La grand-mère d'Olga ne s'est malheureusement pas réveillée. Lors d'une attaque de roquettes, les vitres de son immeuble ont explosé. C'était l'hiver, il faisait froid, et la famille d'Olga est restée sans nouvelle. «La voisine qui s'occupait d'elle a repris contact après plusieurs jours. Elle ne pouvait parler que brièvement, mais elle nous a dit que ma grand-mère était morte.» L'athlète ne sait pas comment elle est décédée. «En fait, nous ne savons rien. Nous n'avons pas pu assister à ses funérailles. Les gens de la maison l'ont enterrée à proximité.»

Resté aussi en Ukraine, le père d'Olga, Alexander, est entraîneur de boxe. Il est actuellement formé aux armes et il est bien possible qu'il soit prochainement enrôlé dans l'armée.

«Il me manque, regrette sa fille. Mon grand-père aussi.» Tous parviennent toutefois à garder contact par Whatsapp. «Mes amis sportifs sont dans le même cas. Ils ont tous une histoire similaire, voire pire encore.»

«Un jour ou l'autre, nous repartirons de zéro»

Même depuis la Suisse, Olga vit aussi désormais avec la guerre en permanence. «Je n'ai aucune idée de ce qui va se passer. Quand les mondiaux seront terminés, je rentrerai chez moi, si c'est possible. Sinon, je ne sais pas. Peut-être pourrons-nous retourner à Berne, du moins je l'espère.»

L'athlète en est convaincue: «Un jour ou l'autre, nous repartirons de zéro.»

(Adaptation par Thibault Gilgen)

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