Une affaire parfaitement inédite
Deux médecins risquent la prison pour des escroqueries à l'AI

Deux médecins du centre d'expertises PMED, basé à Zurich, sont accusés de fraude. Le ministère public zurichois demande des peines de prison pour des expertises AI prétendument manipulées. L'affaire soulève des questions sur la surveillance de la Confédération.
Publié: 02.03.2025 à 11:58 heures
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Dernière mise à jour: 02.03.2025 à 15:07 heures
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Entre 2013 et 2023, PMEDA a reçu des mandats d'expertise pour un montant de plus de 26 millions de francs.
Photo: Anton J. Geisser
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Lucien Fluri

Elles sont souvent capitales pour décider si un juge peut accorder une rente Assurance Invalidité (AI) ou non. Les expertises médicales de la société zurichoise PMEDA ont joué un rôle important dans d'innombrables affaires judiciaires. Entre 2013 et 2023, PMEDA a reçu des mandats d'expertise pour un montant de plus de 26 millions de francs.

Mais aujourd'hui, deux médecins de PMEDA, dont son fondateur H. M.*, doivent se présenter devant le tribunal. Le ministère public zurichois a en effet déposé plainte contre eux pour escroquerie. Il demande une peine de deux et trois ans de prison. C'est ce qu'indique l'acte d'accusation que Blick a pu consulter. 

Les accusations sont graves: les médecins se seraient enrichis en recevant de l'argent pour une expertise et en jugeant le patient apte à travailler. Ils auraient omis des informations importantes qu'il avait données sur son état de santé. Cela aurait été prouvé grâce à un enregistrement clandestin réalisé par le patient en question.

C'est un cas retentissant: pour la première fois, des experts sont traduits en justice pour un travail présumé bâclé à grande échelle. Il a toujours été reproché à PMEDA, mais pas seulement, d'expertiser les personnes concernées dans l'intérêt de l'AI et d'autres assurances, et d'obtenir ainsi un nombre particulièrement élevé de mandats. Cela représentait un marché de plusieurs millions.

«Ils écrivaient ce qu'ils voulaient»

L'accusation remet également en question le travail de l'autorité de surveillance. En effet, pendant des années, les associations et les avocats des assurances sociales se sont battus jusqu'à ce que certaines améliorations soient apportées aux expertises de l'AI. Malgré les avertissements et les critiques, les améliorations ont été lentement mises en place.

«
Ni la Confédération, ni les tribunaux n'ont prêté l'oreille à nos critiques
Luzius Hafen, avocat en assurances sociales
»

Luzius Hafen fait partie des avocats en assurances sociales les plus renommés de Suisse. Il jette un regard résigné sur le passé: «Pendant plus de dix ans, nous avons signalé ces expertises problématiques. Ni la Confédération, ni les tribunaux n'ont prêté l'oreille à nos critiques.» Certains experts auraient eu quasiment carte blanche pour «écrire ce qu'ils voulaient» et les critiques ont souvent été balayées, sous prétexte que les tribunaux avaient approuvé les expertises.

Mais Luzius Hafen constate aussi que cette situation s'améliore. En effet, les expertises peuvent maintenant être enregistrées sur bande sonore et la Commission pour la qualité des expertises médicales, nouvellement créée, est très vigilante.

Une rente non versée est une bonne rente

Mais les experts continuent d'avoir un grand pouvoir d'appréciation, selon Luzius Hafen. Il estime que les services médicaux régionaux ont le devoir d'être plus attentifs et de se pencher de plus près sur les objections justifiées contre les expertises. 

Le changement nécessaire n'en est qu'à ses débuts. Dans ce contexte, Luzius Hafens estime que l'Office fédéral des assurances sociales joue un rôle discutable. L'office ne réagit que lorsqu'il n'a plus le choix, selon la devise «seule une rente non versée est une bonne rente».

Le conseiller national de l'Union démocratique du centre (UDC) Rémy Wyssmann, qui gère lui-même de nombreux cas AI en tant qu'avocat, déclare: «L'idée serait que l'AI soit une assurance de réadaptation, de sorte que les gens travaillent à nouveau. Mais je continue à constater que l'expertise est utilisée pour que l'AI puisse se déclarer incompétente: encaisser et gérer, sans rien verser». Trop souvent, les personnes seraient ainsi renvoyées à l'aide sociale, donc aux frais du contribuable.

Certains médecins PMEDA continuent de travailler

Pour de nombreuses personnes concernées, la question est: que pouvons-nous faire? Selon le Tribunal fédéral, elles peuvent faire vérifier les expertises douteuses dans le cadre de procédures en cours. Le Parlement discute actuellement de la manière dont celles-ci pourront à l'avenir être examinées plus facilement, même si elles sont déjà entrées en vigueur. 

Fin 2023, PMEDA a été mise en liquidation. La raison? La Confédération avait mis fin à sa collaboration après que la Commission fédérale pour l'assurance qualité dans le domaine de l'expertise médicale a constaté de grossières lacunes dans les expertises. Mais alors que PMEDA n'est plus active, certains de ses anciens médecins continuent de recevoir des mandats.

Jusqu'à ce qu'un jugement soit rendu, les deux accusés bénéficient de la présomption d'innocence.

*Nom anonymisé

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