Christina Schumacher, 44 ans, n’a qu’une seule envie: se reposer. C’est son premier jour de congé après cinq longues journées de travail. Mais voilà que son téléphone portable s’allume: «Pourrais-tu venir travailler ce soir?» Dilemme pour l’infirmière diplômée: si elle refuse, ses collègues de travail seront surchargés et la qualité des soins pourra difficilement être assurée. Si elle accepte, elle «détruit sa santé» et soutient un «système insoutenable», selon ses mots.
Pour Christina Schumacher, il n’est pas pensable qu’un patient ne soit pas pris en charge convenablement ou qu’un collègue s’effondre. Elle fait donc abstraction de sa fatigue, enfile ses chaussures et se rend à l’hôpital. «L’éthique professionnelle du personnel soignant nous interdit de détourner le regard», confie-t-elle. Ne pas intervenir n’est pas une option, et c’est pour cette raison que beaucoup décident d’abandonner tout simplement la profession.
«Nous sommes à flux tendu»
Il n’existe pas de chiffres fiables sur le nombre de personnes qui quittent le métier. La Confédération veut introduire un monitoring à partir de mi-2024. En attendant, l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) a évalué le nombre de postes vacants en 2022. Elle arrive à la conclusion suivante: «Chaque mois, plus de 300 infirmières et infirmiers raccrochent leur blouse.» Dans le secteur, on parle d'«exode du personnel soignant».
Le personnel du secteur de la santé est à bout. «Lorsque l’effectif est au complet, nous sommes déjà à flux tendu», soupire Christina Schumacher, également directrice adjointe de l’ASI. Et s’il y a un imprévu, il n’y a pas de plan B. Il faut qu’une personne se dévoue pour faire un remplacement supplémentaire. «Et ça arrive tout le temps.»
Un milliard de francs ne suffira pas
Cet exode met tout le secteur de la santé en danger. D’ici 2029, 36’500 personnes supplémentaires seront nécessaires dans les hôpitaux, les services d’aide et de soins à domicile et les maisons de retraite et de soins.
Pour remédier à cela, le Parlement a adopté une loi pour encourager la formation dans le domaine des soins infirmiers: jusqu’à un milliard de francs sont prévus sur huit ans. Mais cela ne suffit pas, estiment les associations patronales, les syndicats et les directeurs cantonaux de la santé. Dans une déclaration commune, ils soulignent qu’il faut des mesures à plus long terme pour combler ce manque de personnel.
«Le droit du travail est violé partout»
Pour les professionnels du secteur, il faut que les choses changent. «Le droit du travail en vigueur est violé sur tout le territoire», assène Pierre-André Wagner, responsable du service juridique de l’ASI. Les temps de repos et de travail ne sont pas respectés, et les employeurs ne remplissent pas leur devoir d’assistance. «Les inspections cantonales du travail n’attachent aucune importance à la mise en œuvre et à l’application de la loi sur le travail», critique-t-il.
Et ce, malgré le net oui à l’initiative sur les soins infirmiers, en cours de mise en œuvre. Le premier paquet de mesures, l’offensive pour la formation, doit être déployé en 2024. Mais cela ne soulagera pas immédiatement le système, car la formation prend plusieurs années. Le deuxième paquet, l’amélioration des conditions de travail, sera mis en consultation en 2024. Il faudra certainement attendre encore quelques années jusqu’à ce qu’elle soit implémentée. «D’ici là, plus personne ne travaillera dans le secteur des soins, se désole Christina Schumacher. Depuis l’acceptation de l’initiative, rien n’a changé.»
L’infirmière diplômée et son association demandent que la Confédération écourte la procédure de consultation. En outre, les cantons devraient prendre des mesures immédiates, dont «la saisie effective et la rémunération du temps de travail». Sinon, le cercle vicieux ne sera pas brisé, selon Christina Schumacher: «Les infirmiers et infirmières continuent de quitter leur emploi et la pression sur ceux qui restent augmente.»