Quand Alexander Stibal prend son scalpel, tout se joue au millimètre près. Le chirurgien opère la colonne vertébrale et le système nerveux des patients à l’hôpital de Münsingen (BE). Mais bientôt, il pourrait aussi devoir s’occuper de chiffres, de décomptes et de piles de dossiers.
Le médecin veut en effet acheter l’hôpital de Münsingen, menacé de fermeture. Avec d’autres docteurs et un économiste, il est soutenu politiquement par les présidents des communes de la région.
Pour l’instant, c’est le groupe Insel qui gère l’hôpital de Münsingen… et qui entend le fermer. Un trou financier sur l’ensemble du groupe l’y contraint. Alexander Stibal est catégorique: «Münsingen a besoin de son propre hôpital, ne serait-ce qu’en raison du fonctionnement des urgences. Une grand-maman de 90 ans ne peut pas se rendre seule dans un hôpital à Berne en pleine nuit.»
Pas un cas isolé
Münsingen est loin d’être un cas isolé. Le système hospitalier suisse est suspendu à ses tuyaux. L’année dernière, le groupe Insel a enregistré un déficit de 80 millions de francs. C’est pourquoi, outre Münsingen, l’hôpital municipal bernois Tiefenau doit également y passer. Environ 200 collaborateurs devraient perdre leur emploi.
Le Canton de Saint-Gall a déjà fermé des établissements de soins. Jusqu’à présent, cela n’a pas servi à grand-chose. Début mars, les hôpitaux saint-gallois ont annoncé une perte totale de 53 millions de francs pour 2022. L’hôpital cantonal d’Aarau a lui aussi besoin d’argent. Le Canton doit injecter 240 millions. Pour le conseiller d’État responsable de la région, Jean-Pierre Gallati, il n’y a pas d’alternative pour éviter la faillite.
Des causes multiples
Les raisons de cette situation compliquée sont multiples. «Il y a certainement eu de mauvais investissements dans certains hôpitaux. À cela s’ajoutent la pandémie et des tarifs généralement bas», analyse l’économiste de la santé Simon Wieser, de la Haute école des sciences appliquées de Zurich. De son côté, le Conseil fédéral exige que les cantons renoncent aux augmentations de tarifs. Le gouvernement craint que les primes d’assurance maladie ne deviennent encore plus élevées.
Le manque de personnel qualifié fait le reste. Les infirmières et infirmiers sont recherchés. S’ils manquent, des auxiliaires temporaires doivent prendre le relais. Ils sont nettement plus chers, souligne Simon Wieser. Les fermetures d’hôpitaux permettent au moins d’économiser du personnel administratif.
Urgences et opérations
Malgré tous ces problèmes, Alexander Stibal est convaincu qu’il est possible de faire des bénéfices avec l’hôpital de Münsingen. «Nous pouvons travailler plus efficacement grâce à une organisation allégée», annonce le chirurgien. Ce dernier fait référence à l’hôpital d’Emmental, qui est dans une situation financière compliquée.
Alexander Stibal ne craint pas non plus la pénurie de personnel qualifié: «Il y a suffisamment de personnel compétent à l’hôpital. Nous sommes convaincus que les équipes existantes resteront chez nous.»
Si l’achat se fait, le médecin et ses confrères veulent proposer un fonctionnement normal de l’hôpital: «Nous assurerons un service d’urgence ordinaire 24 heures sur 24, en collaboration avec les médecins de famille. Il y a beaucoup de maisons de retraite à proximité, il faut donc cela. À cela s’ajoutent les opérations.» Ces dernières sont nécessaires pour qu’un hôpital soit rentable: «Le tarif des urgences est trop bas. Il faut financer les urgences de manière transversale par des opérations.»
Une épée à double tranchant
La revendication de tarifs hospitaliers plus élevés n’est pas nouvelle. Pour Alexander Stibal, les augmentations de tarifs sont tout à fait utiles. «À un moment donné, on ne peut plus être plus efficace», estime l’économiste de la santé Simon Wieser. Lorsque les coûts tarifaires des traitements hospitaliers augmentent, les cantons doivent également payer davantage.
Mais si les tarifs augmentent, cela pèsera aussi sur les primes d’assurance maladie. Ces dernières représentent déjà une charge énorme pour de nombreuses personnes et devraient encore augmenter d’environ 7,5% en 2024.
Les fermetures devraient se poursuivre
La crise dans les hôpitaux devrait donc encore s’accentuer – et les fermetures d'établissements devraient également se poursuivre, prévoit Simon Wieser: «Il est certainement judicieux de ne pas payer l’infrastructure à double. Les patients préfèrent également se rendre dans des hôpitaux où les opérations sont plus fréquentes.»
Alexander Stibal veut au moins éviter la fermeture à Münsingen. Il avait déjà tenté de racheter l’hôpital il y a quatre ans… sans succès. Aujourd’hui, les négociations avec le groupe hospitalier sont toujours en cours, expliquant les réticences ambiantes.
Même si Münsingen devait fermer, Gundekar Giebel, porte-parole de la direction bernoise de la santé, affirme que les soins d’urgence sont en principe assurés. Les capacités de l’Hôpital de l’Île doivent être augmentées et les éventuels pics d’urgence compensés.
Une chose est d’ores et déjà claire: si la reprise se concrétise, il faudra faire vite. «Nous avons en fait besoin de plus de temps pour sauver l’hôpital», déclare Alexander Stibal. Il est néanmoins convaincu que l’hôpital de Münsingen doit être maintenu: «En cas de maladie potentiellement mortelle, la situation peut devenir très vite très dangereuse. C’est pourquoi Münsingen a besoin d’un hôpital.»