Eva Steub, 29 ans, est parfaitement saine d’esprit. C’est ce qu’elle a écrit. L’employée d’un commerce de détail, qui raconte ici son histoire sous couvert d’anonymat, s’est fait examiner par une psychothérapeute à sa demande. Mais le certificat n’a servi à rien: au total, six gynécologues de différents cabinets de la ville de Bâle ont refusé de la stériliser. «Après le sixième médecin, je me suis résignée», dit-elle lors d’une rencontre dans la région bâloise.
Selon l’Office fédéral de la statistique, 5% des femmes avec enfant et 0,3% des femmes de plus de 15 ans sans enfant sont stérilisées en Suisse. Certaines femmes dont il est question dans ce texte, s’efforcent depuis des années de se faire stériliser. Une odyssée à l’issue incertaine.
Toutes les femmes ne veulent pas devenir mère
Il semble que les spécialistes aient du mal à imaginer que le fait de ne pas vouloir d’enfant peut aussi être une souffrance. Jean Dubuisson, 44 ans, des Hôpitaux universitaires de Genève, rencontre régulièrement des femmes comme Eva Steub lors de ses consultations. Des jeunes femmes sans enfants qui souhaitent une stérilisation. «Beaucoup ont suivi un parcours difficile, avec de nombreux refus, avant de venir nous voir en consultation», explique le chef du service de chirurgie gynécologique.
Les médecins se retranchent derrière des règles empiriques telles que: pas de stérilisation avant 35, 40 ou 45 ans pour les femmes qui n’ont pas d’enfants. Ou encore: une stérilisation est envisageable si la femme a déjà au moins 30 ans et a donné naissance à deux enfants.
La stérilisation est légale à partir de 18 ans
La loi suisse sur la stérilisation stipule seulement que la personne souhaitant se faire stériliser doit avoir au moins 18 ans, être capable de discernement et avoir été informée en détail. De plus, la personne doit consentir librement et par écrit à l’intervention.
Les obstacles à franchir pour obtenir cette signature sont nombreux. «Dans différents cabinets, on m’a dit: Toutes les femmes veulent des enfants. Je suis trop jeune, qu’il suffit que je rencontre le bon mari ou encore que je regretterai l’intervention plus tard», raconte Eva Steub. Chaque rejet était douloureux. À douze ans, elle savait déjà qu’elle ne voulait pas mettre d’enfants au monde.
Contrairement à d’autres, Jean Dubuisson ne rejette pas simplement les femmes. Il dit: «Nous ne devons pas être fondamentalement hostiles. C’est à nous de nous adapter à ce sujet au sein de la population féminine et de le gérer de manière professionnelle.»
Bien informée pour la consultation
Alma Lukic, 19 ans, doit faire face à de fortes douleurs liées aux menstruations, à l’anémie, aux migraines, aux évanouissements, aux crampes, aux nausées, aux infections, aux crises de panique. Et elle sait depuis des années qu’elle ne voudra jamais être mère.
Lors d’une discussion dans un café près de la gare centrale de Zurich, la candidate à la maturité professionnelle, raconte: «Au lieu d’une aide, je n’ai reçu, pendant des années, de mon gynécologue que des ordonnances pour différentes pilules contraceptives et des analgésiques.» Elle s’est sentie ridiculisée, insultée, infantilisée. «Je devrais en savoir autant que le médecin pour être prise au sérieux.»
Alma Lukic est un cas à part, car à seulement 19 ans, elle est sur le point d’obtenir gain de cause. À l’Hôpital de l’Île de Berne, Michael Mueller, 60 ans, pratique des stérilisations depuis 30 ans, y compris sur des jeunes femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Le médecin-chef en gynécologie et oncologie gynécologique explique que «ce sont généralement des femmes très réfléchies et sûres d’elles. Souvent, le désir de stérilisation est apparu très tôt, à 15 ou 16 ans».
Examen psychique
À l’Hôpital de l’Île, différents spécialistes examinent les options avec les jeunes femmes. Une évaluation psychologique peut également être abordée. «Il ne s’agit pas de mettre des obstacles sur le chemin des patientes, mais seulement de s’assurer que leur décision est assurée», précise Michael Mueller.
Aux Hôpitaux universitaires de Genève, Jean Dubuisson conseille les demandes de stérilisation de manière interdisciplinaire. Comme il n’existe pas de ligne directrice correspondante en Suisse, l’équipe s’appuie sur un document du comité d’éthique des gynécologues américains. Il y est écrit qu’il est éthiquement défendable de procéder à une stérilisation chez les jeunes femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Et plus loin, il est précisé que «bien que les médecins souhaitent, légitimement, éviter de susciter des regrets chez les femmes qui ont subi une stérilisation, ils devraient également éviter de les infantiliser.» Les opinions personnelles et les préjugés ne devraient en outre pas influencer la fourniture du traitement.
Peu de femmes, après avoir essuyé des refus dans des petits cabinets, ont l’idée de se présenter elles-mêmes à un hôpital central pour une consultation. Jean Dubuisson et son équipe s’entretiennent chaque année avec environ cinq femmes de moins de 30 ans sans enfant qui souhaitent une stérilisation et pratiquent deux stérilisations sur des femmes présentant le même profil.
À Lausanne (VD), il y a eu cinq consultations et trois stérilisations de femmes sans enfant à partir du milieu et jusqu’à la fin de l’année 2022. À l’Hôpital de l’Île de Berne, ce sont deux à trois stérilisations par an de jeunes femmes de moins de 30 ans sans enfant. D’autres cliniques gynécologiques ne donnent pas d’informations sur les chiffres ou annoncent sur demande qu’il s’agit d’un sujet marginal.
La contraception la plus efficace
Marginal peut-être du point de vue de l’hôpital, mais central, voire déterminant pour la vie des femmes concernées. Et c’est aussi la réponse à la question de savoir pourquoi ces femmes n’utilisent pas simplement le préservatif, la pilule ou le stérilet lors des rapports sexuels pour éviter une grossesse, comme les autres femmes: la stérilisation est la méthode de contraception la plus sûre.
De nombreuses femmes, qui ne désirent pas d’enfant, paniquent rien qu’à l’idée d’une grossesse faisant des tests de routine tous les mois. La stérilisation offre certitude et tranquillité d’esprit.
Des thématiques abordées sur les réseaux sociaux
Alma Lukic a trouvé des forums Childfree sur la plateforme américaine Reddit. La communauté des personnes délibérément sans enfant compte 1,5 million de membres sur ce réseau social. Pendant des années, elle a participé aux discussions en anglais, s’est informée, a lu les expériences des autres. Sur Reddit, elle a également découvert des adresses de médecins en Suisse qui avaient déjà pratiqué des stérilisations sur des femmes sans enfant.
Eva Steub, qui a été refusée dans six cabinets médicaux, a tout de même fait une tentative, inspirée par les posts TikTok d’une femme qui racontait son parcours vers la stérilisation. Comme des naufragées qui rencontrent inopinément un peuple amical sur une île salvatrice, les femmes qui souhaitent se faire stériliser le constatent sur les réseaux sociaux ou dans les forums: elles ne sont pas seules. Il y a beaucoup d’autres femmes qui ne veulent pas non plus d’enfant. Dans ces communautés, elles ne sont pas jugées.
Sur ces plateformes, Eva Steub est tombée sur des posts de l’association allemande Selbstbestimmt steril. Derrière cette association fondée en 2019 se trouve Susanne Rau, 34 ans. Elle-même, à 27 ans, avait trouvé à Leipzig, lors de sa deuxième tentative, un médecin qui pratiquait la stérilisation. Mais en contactant d’autres femmes en ligne, elle s’est rendu compte qu’elle n’avait eu que de la chance.
Une militante pour la stérilisation
La pièce maîtresse du travail de son association est une carte d’Allemagne avec les adresses des cabinets médicaux qui pratiquent la stérilisation. L’association ne publie que les adresses des médecins qui sont d’accord. Cela ne marche pas toujours très bien, c’est pourquoi l’association transmet régulièrement des adresses en cachette.
La militante reçoit aussi des demandes de la Suisse. Et récemment, celle d’Eva Steub. Susanne Rau lui a donné deux adresses de médecins dans le nord-ouest de la Suisse. La Suissesse les a contactés et a reçu des réponses positives.
«J’ai encore du mal à y croire, mais j’ai enfin la perspective de pouvoir me faire stériliser», dit-elle. Elle doit d’abord économiser quelques mois avant de pouvoir réunir les 2000 francs nécessaires à l’intervention. «Le jour de mon 30e anniversaire, je veux me faire stériliser», se réjouit la jeune femme.
Un soulagement
Alma Lukic a déjà obtenu un rendez-vous pour l’intervention. L’adresse fournie par la plateforme Reddit a fait mouche. Lors de la consultation avec le médecin d’un hôpital central, elle s’est sentie pour la première fois prise au sérieux. En raison de ses résultats médicaux, ce n’est pas la stérilisation qui est la bonne solution pour la jeune femme de 19 ans, mais l’ablation de l’utérus.
Espérons que l’ablation de l’utérus ne corrige pas seulement ses problèmes de santé, mais qu’elle la libère également du poids d’une éventuelle grossesse. Le visage d’Alma Lukic s’illumine. «Depuis que je sais que cela va vraiment arriver, je me sens bien.»