C'est probablement un cauchemar que la plupart des parents ne peuvent même pas imaginer: subir les violences d'un de leurs propres enfants. Que ce soit après la confiscation d'un natel ou encore de critiques sur la consommation d'alcool, certains jeunes s'en prennent à leurs parents. Ils les insultent, les frappent, leur lancent des objets dessus ou sortent même des couteaux.
Des spécialistes et des avocats de la jeunesse décrivent des situations dans lesquelles des mineurs, le plus souvent des jeunes hommes, font vivre un enfer à leurs pères et à leurs mères. «Des parents qui ont peur de leurs enfants, qui sont menacés verbalement ou même agressés physiquement par eux s'adressent régulièrement à nos consultations téléphoniques», explique Yvonne Müller de Elternnotruf, un service d'assistance téléphonique joignable 24h/24.
Menaces, coups et blessures
Dans certains cas, les adultes concernés n'ont pas d'autres solutions que de déposer une plainte contre leur propre enfant. Cela n'arrive «pas trop souvent, mais quand même régulièrement», déclare Esther Pioppini, porte-parole du Tribunal des mineurs du canton de Zurich. L'objet de la plainte pénale est souvent la menace, la contrainte ou les lésions corporelles. «Les parents appellent la police lorsque la situation s'envenime et que la souffrance est très élevée.»
Une plainte pénale contre son propre enfant représente la plupart du temps un «appel à l'aide», explique Adrian Schuler du Bureau du procureur général argovien. Simon Kopp, du Ministère public du canton de Lucerne, fait remarquer que le sujet est «fortement lié à la honte et donc tabou».
Il faut donc partir du principe que les chiffres connus ne sont pas représentatifs de la réalité. Ce sont surtout les mères qui sont touchées par les attaques et les menaces des mineurs, explique Barbara Altermatt du Ministère public du canton de Soleure.
Les plaintes n'aboutissent que rarement
Les tribunaux des mineurs de plusieurs cantons qui ont été interrogés s'accordent à dire qu'ils ont eu affaire à plusieurs reprises à des cas de jeunes violents dans l'environnement familial. Mais tous soulignent aussi qu'il est rare que les parents en arrivent à dénoncer leurs enfants. Martin R. Schütz, du Ministère public du canton de Bâle-Ville, constate que la police appelée sur les lieux a plutôt un effet de désescalade et peut empêcher une plainte pénale. Dans certains cas, la plainte initialement déposée est retirée.
Ce type de violence domestique n'est que peu recensée dans les statistiques, les tribunaux des mineurs n'indiquant pas spécifiquement cette constellation dans leurs cas de menaces, de contraintes et de lésions corporelles. Les spécialistes observent toutefois davantage d'actes de violence dans l'environnement familial. Que ce soit des parents contre leurs enfants ou l'inverse.
Anja Meier, de la fondation Pro Juventute, constate une «augmentation inquiétante» du nombre de personnes qui demandent de l'aide pour cause de violence domestique. Elle souligne tout de même que dans la majorité des cas, les enfants et les jeunes sont victimes de la violence. La situation inverse, dans laquelle l'agression émane de ces derniers et est dirigée contre les parents, est certes plus rare, mais doit tout autant être prise au sérieux.
Le Conseil fédéral rejette un postulat
La conseillère nationale vaudoise PLR Jacqueline de Quattro demande également que le problème soit étudié. Dans un postulat, elle charge le Conseil fédéral de présenter un rapport sur la violence entre enfants et parents.
Jacqueline De Quattro écrit dans son intervention que la violence des enfants envers leurs parents est en augmentation. Il manque toutefois des chiffres et une vue d'ensemble, car il s'agit toujours d'un sujet tabou.
Dans sa prise de position, le Conseil fédéral écrit que la prévention de la violence et les offres de conseil sont l'affaire des cantons, raison pour laquelle il rejette le postulat. Le Parlement ne s'est pas encore penché sur la question.
Mieux vaut agir au plus tôt
Yvonne Müller, de l'association Elternnotruf, affirme que la violence au sein de la famille n'est pas un thème abordé dans les consultations. Pourtant, l'année dernière, les pères et les mères en quête d'aide ont évoqué plus de 250 fois les agressions et les attaques de leurs enfants. Dans de tels cas, le numéro d'urgence conseille aux parents de se rendre dans un centre de consultation, car il s'agit de se protéger au sein de la famille. «Par honte, de nombreux parents attendent très longtemps avant de demander de l'aide.» Or, plus l'aide est sollicitée tôt, plus il est facile de stopper l'évolution problématique.
Dans les situations de violence physique et de menaces violentes de la part de jeunes, elle conseille aux parents, pour leur protection ou celle de l'enfant, d'appeler la police. Les adultes concernés peuvent porter plainte, ce qui conduit à un signalement au tribunal des mineurs. «Nous déconseillons aux parents d'utiliser l'appel à la police comme une mesure disciplinaire», souligne Yvonne Müller.
Pro Juventute s'inquiète
Dans le cadre de ses conseils aux parents, la fondation Pro Juventute est régulièrement confrontée à des cas de violence de mineurs envers leurs parents. La cause de ces agressions serait souvent des crises personnelles ainsi qu'une grande pression due aux attentes élevées des parents. «Les jeunes sont souvent dépassés et ne voient pas de solutions à leurs problèmes complexes», analyse Anja Meier.
L'alcool et les drogues sont des facteurs supplémentaires d'excès de violence. De plus, selon l'experte, les modèles sur les réseaux sociaux ont un effet négatif incitant les jeunes hommes à adopter un comportement agressif.
Et Pro Juventute fait un constat inquiétant: les mineurs qui ont besoin d'une aide rapide ne reçoivent pas de soutien approprié. «Les longs délais d'attente dans les services psychiatriques pour enfants et adolescents sont un grave problème», déclare Anja Meier.