«Je suis à bout de forces», confie Talal Aldroubi. «Ces longs allers-retours m'épuisent.» Assis à la table de sa cuisine, l'homme aux origines syriennes regarde ses enfants jouer. Des camions de pompiers et des figurines de chevaux jonchent le sol du salon. Cela fait 19 ans qu'il vit en Suisse, et sept ans qu'il se bat pour obtenir son passeport. «Je me sens chez moi ici. La Syrie, je ne la connais plus.»
Mercredi, ce sera tout ou rien pour lui: le parlement de Thurgovie se prononcera sur sa demande de naturalisation. Son parcours du combattant pourrait enfin se terminer, mais ses chances de succès sont minces, car la commission de justice responsable de sa demande l'a rejetée, alors que le Tribunal fédéral avait reconnu cette décision «arbitraire».
«Sans fondement»
Talal raconte son parcours dans les moindres détails et dépose devant lui une pile de documents: des décisions, des recours et des jugements de tribunaux de son long processus de naturalisation. En effet, en 2018 il avait demandé la naturalisation pour lui et sa fille auprès de la commune de Romanshorn (TG).
La commission avait rejeté sa demande à plusieurs reprises, jugeant sa situation financière trop irrégulière. Grâce à sa formation d'interprète, Talal travaillait alors à temps partiel comme animateur de cours de cuisine et avait mentionné divers autres projets professionnels. La commission de naturalisation avait alors estimé que ses projets étaient déconnectés de la réalité et ajouté qu'il était endetté à hauteur de 11'500 francs auprès de la commune de Weinfelden. Cette dette était en réalité une avance sur sa pension alimentaire.
Talal s'était senti traité injustement et avait refusé d'en rester là. Il avait alors convenu avec la commune qu'il rembourserait cet argent et sa dette avait été effacée du registre des poursuites. Il avait fait appel de la décision de naturalisation devant toutes les instances judiciaires, jusqu'au Tribunal fédéral et avait fini par obtenir gain de cause. En effet, le Tribunal avait jugé que le rejet de sa demande était «arbitraire» et «sans fondement», et que les «légers déficits» de son intégration économique avaient été fortement surestimés.
Un obstacle inattendu
Talal a donc considéré que l'affaire était close. La plus haute instance judiciaire avait après tout ordonné que la commune de Romanshorn lui accorde le droit de cité communal et le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) avait également autorisé sa naturalisation fédérale. Il ne lui manquait plus que le dernier maillon de la chaîne: le droit de cité cantonal.
C'est alors que Talal est tombé des nues: la commission de justice a demandé au parlement de Thurgovie, par six voix contre cinq, de refuser sa naturalisation. Dans un rapport daté du 5 février 2025, la majorité de la commission présentait exactement le même argument jugé sans fondement par le Tribunal fédéral: la dette envers la commune. Aux yeux de la commission de justice, l'obligation de respecter ces dispositions cantonales semblait donc prévaloir sur l'arrêt du Tribunal fédéral.
Selon l'avocat de Talal, un arrêt du Tribunal fédéral est sans appel. D'après lui, un canton ne peut pas refuser la naturalisation sauf si, après l'autorisation de la Confédération, de nouveaux faits qui ne justifient pas l'octroi de la nationalité sont apportés. De plus, la minorité de la commission a souligné que la séparation des pouvoirs ne pouvait pas être contournée et que le canton devait s'en tenir à la décision du Tribunal fédéral. Interrogée, Michèle Strähl-Obrist, la présidente de la commission, a déclaré ne pas vouloir réagir à la procédure en cours.
Talal refuse d'abandonner
L'affrontement final aura donc lieu le 19 février. La majorité du parlement thurgovien suivra-t-elle la proposition de la commission? Ou s'en tiendra-t-elle à l'arrêt du Tribunal fédéral? Talal n'assistera pas en personne à cette décision car il a depuis quitté Romanshorn. Ce lieu est devenu trop chargé en émotions pour lui. «J'étais très engagé dans ma communauté et je connaissais beaucoup de personnes. Pendant mon processus de naturalisation, j'ai pris mes distances et aujourd'hui je ne m'y sens plus à l'aise.»
Il suivra donc cette décision en distanciel. «J'espère que tout sera enfin terminé mercredi pour que je puisse tourner la page.» Trois bouteilles d'Appenzeller sont déjà prêtes pour trinquer avec ses amis s'il obtient enfin son passeport rouge.
Mais que lui arrivera-t-il si le parlement thurgovien s'y oppose? L'autorisation de naturalisation accordée par le Tribunal fédéral expire en mai. Talal devra donc porter à nouveau la décision devant la plus haute juridiction. «Abandonner n'est pas une option», affirme-t-il. «C'est comme l'ascension de l'Everest: une fois que l'on a atteint les 8000 mètres d'altitude, on ne fait plus demi-tour.»