Il s'agit d'une négociation sans précédent, même dans la Berne fédérale. Il s'agit tout de même de 16 milliards de francs – 11 milliards supplémentaires pour l'armée et 5 autres milliards pour la reconstruction de l'Ukraine. Les plans sont encore confidentiels. Mais dès cette semaine, des parlementaires du Centre et de la gauche veulent passer à la vitesse supérieure.
Et c'est une nouvelle fois le budget de l'armée qui revient sur la table. En 2022, le Parlement avait décidé en 2022 d'augmenter les dépenses de l'armée à 1% du produit intérieur brut (PIB) d'ici à 2030 en raison de la guerre en Ukraine. Le budget devait ainsi passer de 5,5 milliards à 10 milliards par an.
Sur les dépenses de l'Armée suisse
Mais comme les chiffres rouges menaçaient de surgir dans les années à venir, le Conseil fédéral a décidé d'activer le frein à l'endettement. Une mesure qui a poussé les élus du Centre – parti de la ministre de la Défense Viola Amherd – à revoir sa position sur les dépenses de l'armée. Une position qui a changé la donne: dorénavant, l'objectif financier de l'armée ne doit être atteint qu'en 2035.
Mais ces coupes mettent l'institution militaire dans en difficulté financière. A tel point que son chef Thomas Süssli s'est fendu d'une mise en garde contre la fin de l'armée. Alors que l'UDC et le PLR ont toujours été favorables à une augmentation des moyens de l'armée, le Centre revient sur sa position et se montre désormais favorable à une hausse budget militaire.
Le frein à l'endettement doit être contourné
De l'autre côté, il y a la gauche, qui s'engage pour la reconstruction de l'Ukraine. Le Conseil fédéral a certes déjà décidé de contribuer à hauteur de 5 milliards jusqu'en 2036. Seulement, en contrepartie, le budget de l'aide au développement devrait être réduit. Or, la gauche veut absolument éviter cela. Elle cherche une solution alternative.
Afin de regrouper les intérêts et d'atteindre les deux objectifs, le Centre et la gauche sont en train de négocier un accord au sein des commissions des finances et de la sécurité. Plusieurs sources le confirment. Une intervention est déjà prévue jeudi, pour la séance de la commission de sécurité du Conseil des Etats. Elle devrait être déposée par le Centre, ce qui aurait un effet moins dissuasif sur les partis bourgeois. L'objectif? Faire en sorte que ces 16 milliards de francs au total soient considérés comme des dépenses extraordinaires et qu'ils échappent ainsi au frein à l'endettement.
Pour qu'ils aient une chance d'obtenir une majorité, les deux objets doivent être liés dans une nouvelle loi fédérale, estiment la gauche et le Centre. Les bourgeois avaleraient certes une couleuvre en acceptant une hausse des fonds d'aide au développement, mais ils s'assureraient une hausse du budget de l'armée. Une idée qui ne réjouit pas particulièrement la gauche, laquelle est toutefois bien consciente qu'il s'agit d'une condition sine qua non au sauvetage de l'aide au développement. «Avec le frein à l'endettement, une augmentation rapide du budget de l'armée n'est actuellement pas envisageable. Les bourgeois doivent en prendre conscience», explique-t-on du côté du Centre et de la gauche.
Les tentatives précédentes ont été rejetées sur le plan juridique
Le Conseil fédéral autour de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter ne devrait guère être enthousiasmé par la proposition de la nouvelle alliance. Le conseiller aux Etats UDC Werner Salzmann avait déjà tenté l'année dernière d'exclure le budget de l'armée du frein à l'endettement pour quelques années. Mais les juristes de la Confédération étaient intervenus. Car les financements extraordinaires ne sont autorisés qu'en cas de «développements exceptionnels et non maîtrisables par la Confédération», lorsque la politique n'a de fait pas d'autre option. Ce qui n'est guère le cas du budget de l'armée.
Mais les partisans du deal financier ne se laissent pas déconcerter pour autant. «Le Conseil fédéral ne dit qu'une moitié de la vérité», soulignent-ils. «Si le Parlement souhaite modifier la Constitution, il le peut.» Après tout, le Centre et la gauche frisent la majorité.
«Cela créerait un précédent»
Le PLR et l'UDC ne se montrent toutefois pas très enthousiastes à l'égard de ce deal jusqu'à présent. «Le PLR ne participera certainement pas à cet accord», entend-on dire chez les radicaux. «On contourne tout simplement le frein à l'endettement. Cela créerait un précédent.» Un son de cloche que l'on entend également du côté de l'UDC.
Le Centre et la gauche savent que leur projet se heurtera au scepticisme du camp bourgeois au Parlement. Mais ils ne baissent pas les bras pour autant: «Nous échouerons peut-être, mais nous devons essayer. Nous devons investir l'argent maintenant. Il en va de notre sécurité», déclare un parlementaire impliqué dans l'accord.