«Un moment dangereux»
L'ex-chef de la BNS critique les sanctions suisses contre la Russie

La Suisse vient d'annoncer qu'elle reprendrait en grande partie le cinquième paquet de sanctions de l'Union européenne contre la Russie. Philipp Hildebrand critique cette décision, dans laquelle il voit une rupture avec la neutralité.
Publié: 16.04.2022 à 15:26 heures
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Dernière mise à jour: 16.04.2022 à 15:34 heures
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Dans une interview parue dans la presse économique, Philipp Hildebrand met en garde contre les effets néfastes des sanctions contre la Russie.
Photo: Keystone
Ulrich Rotzinger

Pour la cinquième fois depuis le début de la guerre en Ukraine, la Suisse s'aligne sur les sanctions de l'UE à l'encontre de la Russie. Cette fois-ci, il s'agit notamment de l'interdiction d'importer du charbon et d'autres biens dont la vente à l'étranger renfloue les caisses du Kremlin. Et ce cinquième paquet de sanctions pourrait bien ne pas être le dernier, puisque d'aucuns évoquent un embargo sur le pétrole russe.

Philipp Hildebrand, ancien patron de la BNS et candidat malheureux au Secrétariat général de l'OCDE, ne voit pas cela d'un bon œil. «C'est justement en Suisse – en tant que petite économie ouverte – qu'il faut bien réfléchir à la manière dont nous nous positionnons dans ce monde», déclare l'ex-patron de la Banque nationale suisse dans une interview accordée à la «Handelszeitung». Il souligne que 35 pays, dont la Chine et l'Inde, représentant environ la moitié de la population mondiale, n'ont pas soutenu la résolution de l'ONU contre la Russie.

Critique des sanctions contre la Russie

L'homme d'affaires est vice-président depuis 2012 du plus grand gestionnaire de fortune du monde, BlackRock. Il critique les sanctions contre la Russie, qu'il considère comme une rupture de la neutralité suisse: «La neutralité a été sapée, et ce sans modification de la Constitution et sans base juridique claire.» Selon lui, cela affectera aussi bien la place financière helvétique que la possibilité du pays de fournir des «bons offices» diplomatiques.

Voit-il une erreur dans la reprise des sanctions, veut savoir le journal économique? «Ce qui me préoccupe, c'est l'arbitraire avec lequel on a parfois procédé. Qui décide quels comptes doivent être fermés, ce qui oblige parfois les entreprises à fermer parce qu'elles n'ont plus accès aux banques et ne peuvent plus payer les salaires? Qui décide qui est proche de Poutine?», s'interroge Hildebrand.

Il perçoit une grande inquiétude chez les clients des banques suisses: «Ceux-ci ont compté pendant des années sur la constance et la sécurité juridique de la Suisse.»

Résurrection des États-Unis en tant que superpuissance

L'ancien banquier affirme en outre qu'il observe «une résurrection extrême de la superpuissance américaine». Il ne croit pas à l'apparition d'une Europe forte, estimant que cette idée d'un troisième pôle mondial centré en Europe «est fortement ébranlée».

Philipp Hildebrand estime pour cette raison que la Suisse ne devrait pas s'empresser d'ouvrir un nouveau cycle de discussions avec l'Union européenne. Il pense qu'une petite économie ouverte doit «réfléchir très attentivement à la manière dont nous nous positionnons dans ce monde».

D'autant plus, ajoute-t-il, que la situation actuelle de la guerre en Ukraine et la possibilité d'une troisième guerre mondiale l'inquiètent beaucoup: «Nous sommes actuellement dans l'un des moments les plus dangereux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, surtout quand on se trouve au cœur de l'Europe.»

Vous trouverez l'intégralité de l'interview ici.

(Adaptation par Jocelyn Daloz)

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