En Suisse, le nombre de jugements rendus par les tribunaux ne cesse de diminuer. Alors qu'il y avait encore 9051 jugements en 2015, il n'y en avait plus que 7946 en 2023, soit le nombre le plus faible jamais enregistré. Et ce, bien que la population ait augmenté de 8,2% durant cette période. En revanche, l'ordonnance pénale est de plus en plus populaire: en 2023, près de 95'000 cas ont été réglés par ordonnance pénale – soit 260 par jour.
Depuis 2011, les procureurs peuvent prononcer de leur propre chef des peines d'emprisonnement ou des jours-amende allant jusqu'à six mois souvent accompagnées d'amendes fermes en cas de sursis. Ceci afin de désengorger les tribunaux. En réalité, pratiquement toute la justice pénale a ainsi été externalisée vers les procureurs – ce type de procédure représente aujourd'hui plus de 92% de tous les jugements pénaux, et même 95% dans certains cantons.
Les ordonnances pénales ne concernent pas seulement les délits routiers ou les vols, mais aussi les escroqueries, les violences domestiques et même les homicides par négligence. Les procureurs mènent l'enquête et déterminent la peine. Pour cela, ils n'ont même pas besoin d'entendre la personne accusée. En l'absence d'opposition, l'ordonnance pénale entre en vigueur au bout de dix jours.
Marc Thommen, professeur de droit pénal à l'université de Zurich, qui a mené une étude à grande échelle sur la procédure de l'ordonnance pénale, déclare: «Les procureurs sont extrêmement puissants en Suisse.» Les trois quarts des prévenus qui doivent aller en prison ont par exemple été condamnés par ordonnance pénale – ils n'ont donc jamais vu un juge. «Au niveau international, ce chiffre est accueilli par de l'incompréhension.»
La justice est surchargée
Un renversement de la tendance n'est pas en vue, car la justice est toujours surchargée. Le nombre d'affaires criminelles ouvertes augmente d'année en année, comme l'a écrit Tamedia. En 2022, il y avait 113'064 affaires ouvertes. Les ressources manquent. Les ordonnances pénales sont le remède le plus efficace: elles sont rapides (la moitié est réglée en trois mois), bon marché et discrètes – il n'y a pas d'audience publique et le jugement arrive par la poste.
Mais «le prix à payer pour un règlement rapide est élevé», explique l'expert Marc Thommen. Dans neuf cas sur dix, il n'y a pas eu d'audition par le ministère public avant le prononcé de l'ordonnance pénale et les prévenus n'ont pas été défendus – alors que la loi leur permettrait de se défendre gratuitement.
Dans le cas d'un délit tel qu'une infraction grave au code de la route, où les preuves sont claires, il n'est peut-être pas nécessaire de procéder à une audition, continue Marc Thommen, mais dans le cas de délits entre quatre yeux tels que la violence domestique, c'est beaucoup plus compliqué.
Arrêté par erreur
Un exemple particulièrement flagrant a été rapporté par le média zurichois «Das Lamm». En février 2021, un Italien est arrêté lors d'un trajet en bus à la frontière suisse et incarcéré dans une prison bâloise. Il y reste près de trois mois. Il n'en apprend la raison que bien plus tard: en 2018, une ordonnance pénale avait été émise contre lui pour infraction à la loi sur les étrangers et pour un délit lié à la drogue. Il a donc également été expulsé du pays.
L'Italien n'a jamais vu cette ordonnance pénale, car elle a été envoyée à une ancienne adresse en Italie et reçue par son oncle, avec lequel il n'a plus de contact. Ce n'est qu'avec l'aide d'une avocate qu'il a pu se faire entendre. Un tribunal l'a ensuite déclaré innocent et lui a accordé un dédommagement de 21'000 francs.
Beaucoup plus de condamnation que d'acquittement
Seule une ordonnance pénale sur cinq est traduite, et elles sont toujours notifiées de manière fictive. On ne peut pas savoir si le prévenu a vu le jugement, et encore moins s'il l'a compris. «Ainsi, l'effet d'apprentissage – un pilier important du droit pénal – est inexistant», déclare le spécialiste.
Et ce n'est pas tout: l'obstacle à une condamnation est plus bas que celui à un acquittement. Une ordonnance pénale ne doit pas être motivée, alors qu'un non-lieu l'est – la plupart du temps, il doit même être approuvé par le chef de la personne. Une mauvaise incitation, selon Marc Thommen: «Imaginez: avec qui préféreriez-vous vous disputer, avec votre supérieur ou avec un prévenu»?
Les avocats de la défense issus de la pratique critiquent régulièrement le fait que les procureurs envoient certaines ordonnances pénales comme des «coups d'essai». A juste titre, comme le montrent les chiffres: Dans un cas d'opposition sur dix, le procureur a ordonné un non-lieu et la peine a été supprimée.