Un expert outré dénonce
«Si on surtaxe le 3ᵉ pilier, on marche sur la tête!»

La Confédération envisage d'augmenter la taxation sur le troisième pilier, une épargne retraite privée. Cette mesure, qui pourrait rapporter 250 millions de francs par an, suscite la polémique. L'expert en assurances sociales Pierre-Yves Carnal fustige le projet.
Publié: 22.10.2024 à 16:52 heures
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Dernière mise à jour: 22.10.2024 à 19:23 heures
«Une grande partie de la population est concernée par le 3e pilier», indique Pierre-Yves Carnal. Cette épargne n'est pas l'apanage des plus riches, et la classe moyenne pourrait souffrir de cette augmentation de la taxation.
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Coup de poignard dans les finances des Suisses ou idée de génie pour sauver les caisses publiques? Pour combler son déficit budgétaire, la Confédération envisage d'augmenter la taxation sur le troisième pilier, au moment de l'encaisser.

Ce projet, soutenu par Karin Keller-Sutter, la ministre libérale-radicale (PLR) des Finances, pourrait rapporter 250 millions de francs supplémentaires par an et viserait principalement les hauts revenus, estime la gauche. La droite, elle, y voit une menace pour le système de prévoyance suisse, basé sur trois piliers (1ᵉʳ: l'AVS; 2e: la prévoyance professionnelle; 3e: l'épargne privée).

3e pilier: On vous explique tout

Le troisième pilier est avantageux fiscalement car les cotisations que vous y versez sont déductibles de votre revenu imposable, ce qui réduit vos impôts pendant que vous épargnez. Ensuite, lorsque vous retirez cet argent à la retraite, il est taxé à un taux plus bas que votre revenu habituel, ce qui vous permet de payer moins d’impôts à ce moment-là aussi. Si les autorités décident d'augmenter fortement la taxation du troisième pilier au moment de la retraite, les épargnants paieraient alors plus d'impôts lorsqu'ils retirent leur argent. 


Le troisième pilier est avantageux fiscalement car les cotisations que vous y versez sont déductibles de votre revenu imposable, ce qui réduit vos impôts pendant que vous épargnez. Ensuite, lorsque vous retirez cet argent à la retraite, il est taxé à un taux plus bas que votre revenu habituel, ce qui vous permet de payer moins d’impôts à ce moment-là aussi. Si les autorités décident d'augmenter fortement la taxation du troisième pilier au moment de la retraite, les épargnants paieraient alors plus d'impôts lorsqu'ils retirent leur argent. 


Qu'en pensent les experts? Pierre-Yves Carnal, spécialiste des assurances sociales et auteur de l'ouvrage «Le troisième pilier en Suisse » (Éd. Loisirs et pédagogie, 2022), partage ses impressions sur ce projet. Interview.

Pierre-Yves Carnal, taxer ainsi le 3ᵉ pilier, c'est une bonne idée?
Non, on marche sur la tête. Je suis outré et surpris. Le troisième pilier a toujours été présenté comme une solution d'épargne privée complémentaire. Si ses avantages fiscaux disparaissent, quel sera encore son intérêt pour les épargnants suisses ?

Cette mesure découragerait-elle les citoyens qui aimeraient épargner pour leur retraite?
Le 3ème pilier est lié étroitement à la fiscalité, sans avantages fiscaux, il perd de l’intérêt. Nous sommes en démocratie, si les gens sont incités à ne plus alimenter de troisièmes piliers parce que les avantages fiscaux sont réduits, il faudra développer le 1er et le 2ème pilier. Mais ce seront de très longues batailles politiques, et les réformes sont très difficiles à faire passer...

Pierre-Yves Carnal, spécialiste en assurances sociales et auteurs d'ouvrages de référence sur le sujet.

Ce projet risque-t-il d'affaiblir l'ensemble du système des trois piliers, au cœur de la prévoyance vieillesse suisse?
Oui. Si l’on touche à l’un de ces piliers, le système en soi est blessé. Notre philosophie repose sur la solidarité et la responsabilité individuelle, et ce projet porte atteinte à ce sacro-saint principe. Les trois piliers doivent fonctionner en parallèle.

Comment justifier auprès des citoyens que l'argent mis de côté pour leur retraite, souvent au prix de sacrifices, pourrait être fortement taxé?
Ce n'est vraiment pas une bonne idée. La seule justification que je vois, pour Karin Keller-Sutter, c'est l'idée de faire participer tous les citoyens à l'équilibre du budget fédéral, mais c'est une justification bien maigre.

La gauche estime que cette mesure vise surtout les hauts revenus. Qu'en est-il de la classe moyenne?
Ce n'est pas du tout le cas. Le troisième pilier permet à tout le monde de mettre de côté, même de petites sommes. C'est vrai que plus le revenu est élevé, plus les avantages fiscaux sont importants. Mais la classe moyenne sera également touchée. Si l'on choisit le 3e pilier bancaire, c'est une option très flexible, il est même possible d'interrompre les versements. Cela concerne donc une grande partie de la population.

Si cette proposition est mise en œuvre, quelles seraient les conséquences pour l'industrie bancaire et assurantielle en Suisse?
Les gens seront freinés dans leur envie d'épargner, et cela aura un impact négatif sur l'industrie du troisième pilier, notamment les banques et les assurances. Ces dernières proposent déjà le pilier libre, qui a d’autres objectifs que le 3e pilier. Elles pourraient réorienter la politique bancaire et d’assurance, possiblement, sur ces produits.

L'ouvrage de Pierre-Yves Carnal, «Le troisième pilier en Suisse», éd. Loisirs et Pédagogie, 2022.

La gauche estime que renforcer le premier pilier serait plus bénéfique pour la population. Cela pourrait-il compenser la perte de popularité du troisième pilier?
Renforcer le premier pilier est une bonne chose, on vient d'ailleurs de le faire avec la 13e rente. Mais cela ne suffira pas à répondre à tous les besoins de prévoyance. Le premier et le deuxième pilier ne permettent pas d'atteindre l'objectif de 60% du revenu antérieur, et les réformes de ces piliers sont politiquement très difficiles à faire passer. L'AVS sera une bataille très importante, on voit les rapports de force et les arguments de chacun.

Les gens risquent-ils de cacher leur argent sous le matelas?
C'est un risque, oui. Avec toutes ces incertitudes, certains pourraient choisir cette solution. La proposition d'augmenter la taxation sur le troisième pilier est une atteinte au système, alors que nous faisons face à des défis suffisamment importants, comme celui du vieillissement démographique. Déstabiliser le système n’est pas une bonne idée actuellement.

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