Supprimer les barrières commerciales, supprimer les droits de douane et favoriser les exportations pour créer des emplois et de favoriser la croissance: voilà à quoi sert le libre-échange, du moins selon l'État. C'est seulement après plusieurs années qu'on pourra savoir si l'accord commercial conclu entre la Suisse (dans le cadre de l'AELE – Association européenne de libre-échange) et l'Inde aura atteint ces objectifs.
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La Suisse s'est réjouie d'avoir conclu cet accord en mars. Mais que se passerait-il si cet accord ne débouchait concrètement sur aucun libre-échange au sens défini plus haut? Selon l'expert en libre-échange Patrick Ziltener «un tel accord commercial ne correspond pas au concept exact de libre-échange». Ce professeur de l'université de Zurich a analysé en détail l'accord pour le compte l'organisation Suisse pour l'export Switzerland Global Enterprise et a dispensé des séminaires pour conseiller des entreprises d'export.
Un accord de libre-échange à l'impact limité
Un exemple de la limite de cet accord? On y trouve pas moins de 27 tarifs douaniers pour le café exporté vers l'Inde. Ces tarifs portent sur des grains de première qualité, des produits décaféinés et du café bon marché. Et pourtant, sur ces 27 tarifs, l'accord ne prévoit qu'une seule exemption tarifaire aux frais de douane: celle des capsules de café.
Nespresso a sans doute fait un bon travail de lobbying auprès du conseiller fédéral Guy Parmelin. Tous les autres torréfacteurs de café suisses – de la petite entreprise traditionnelle bernoise Blaser Kaffee à Delica de Migros, tous ceux-ci sont exclus des mesures de libre-échange pour le commerce en Inde.
On pourrait objecter que le café torréfié n'est pas un secteur d'exportation important pour la Suisse. Alors voilà un second exemple: les pièces d'appareils high-tech. On trouve le détail pour ces pièces dans le catalogue des douanes, sous les numéros de tarif 84 à 89. Pas moins de 2379 lignes tarifaires sont recensées dans l'accord, dont par exemple les pompes high-tech pour les centrales nucléaires ou encore les pièces de sous-traitance pour les voitures et les vélos électriques.
Le problème? Dans ces domaines, environ un tiers de tous les produits sont exclus du libre-échange. C'est beaucoup! Et enfin, pour le secteur agricole: là, c'est la moitié (49%) de toutes les catégories tarifaires qui sont exclues du libre-échange.
Comment le conseiller fédéral Guy Parmelin peut-il encore parler d'un accord de libre-échange avec l'Inde? Il est effectivement problématique, selon le professeur d'université Patrick Ziltener, car il postule un libre-échange avec un impact limité. «Il envoie un mauvais signal pour les futurs accords de libre-échange.»
Beaucoup plus de libre-échange avec la Chine
Patrick Ziltener connaît les rouages du libre-échange sur le bout des doigts. En 2009, il avait négocié l'accord de libre-échange avec le Japon, mandaté autrefois par l'ex-ministre de l'Économie Doris Leuthard. Il connaît également très bien l'accord de libre-échange avec la Chine, puisque c'est lui qui l'a évalué deux fois dans le cadre d'une étude d'efficacité, la dernière date d'automne 2023.
Comparant de manière exclusive des résultats des deux accords de libre-échange de la Chine et de l'Inde, il montre que Guy Parmelin a obtenu beaucoup moins d'avantages avec l'Inde que ce qu'avait obtenu l'ancien ministre de l'Économie Johann Schneider-Ammann avec la Chine il y a dix ans. Deux chiffres de comparaison importants:
- En 2014, la Chine a supprimé plus de 69% de tous les droits de douane en l'espace d'une décennie. L'Inde ne veut supprimer que 41% de tous les tarifs douaniers au fil des ans.
- La Chine a maintenu 6% de tous les tarifs douaniers. Pour l'Inde, c'est 17% de tous les tarifs qui ne sont pas touchés.
Le Seco a une autre définition
Guy Parmelin s'appuie sur le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), en charge du dossier et sous la direction d'Helene Budliger Artieda. Le Seco a une autre définition du libre-échange que notre expert Patrick Ziltener. Il affirme que l'on s'est focalisé sur l'allègement des droits de douane du commerce actuel. Le Seco n'a essayé d'obtenir des améliorations que pour ce commerce. Et il y est visiblement parvenu: 95% des catégories d'exportation existantes ont bénéficié d'un rabais ou d'une exonération de droits de douane, indique l'office fédéral.
C'est pour cette raison que l'exportation de montres vers l'Inde a la part belle. Elle est en grande partie exemptée de droits de douane. Et pour la construction de machines et d'installations, des réductions ou des exonérations substantielles de droits de douane ont également été obtenues. Et même pour certains produits suisses importants, comme Nespresso et les stylos à insuline de la société soleuroise Ypsomed. Cette dernière a obtenu une réduction des droits de douane de moitié en cinq ans. Mais cette réduction est toujours inférieure à celle du libre-échange avec la Chine.
Le Conseil fédéral ne fait que promouvoir le «vieux commerce»
Le professeur ne conteste pas ces résultats importants de la négociation: le Seco a obtenu ce qu'il pouvait avoir, dit-il. Mais il critique le fait que l'office fédéral ne s'engage que pour ce qu'on appelle le «vieux commerce». Celui à venir, par exemple le café torréfié de Blaser avec une valeur élevée, les pompes suisses à haute performance pour les centrales nucléaires ou encore les vélos électriques suisses ne profiteront pas du libre-échange.
Le fait que le Seco ne comptabilise pas seulement l'exonération des droits de douane, mais aussi les simples rabais douaniers comme un résultat concret, «mérite discussion», tempère-t-il. Ils représentent 3% de tous les tarifs douaniers avec l'Inde. «Il ne s'agit pas de libre-échange. Ce sont plutôt des avantages tarifaires négociés», selon lui.
Le Seco sur la défensive
Comment le Seco répond-il à ces critiques? Tout d'abord, il accepte le constat de Patrick Ziltener pour qui l'accord de libre-échange s'est focalisé sur les droits de douane à l'exportation du commerce précédent. Le premier objectif est «toujours de maximiser les préférences tarifaires pour les exportations bilatérales et le deuxième objectif est de maximiser les exportations potentielles», explique la porte-parole du Seco Antje Baertschi. Le Seco accepte également le constat de Patrick Ziltener selon lequel le libre-échange n'est pas développé dans le domaine agricole.
Mais le secrétariat d'État se vante d'avoir «obtenu des concessions pour de nombreux produits importants, comme les boissons énergétiques, le vin, le chocolat et les capsules de café». Pour le reste, il a fait ce qui était politiquement réaliste pour que les agriculteurs suisses se tiennent tranquilles.
Selon l'office fédéral de Guy Parmelin, se concentrer sur l'«ancien commerce» – le libre-échange classique – est judicieux du point de vue économique, car c'est là que la Suisse a ses forces. Dans les catégories de construction d'appareils mentionnées par Patrick Ziltener (les lignes tarifaires 84-89), la Suisse a obtenu un rabais ou une exonération pour presque toutes les exportations actuelles (selon le Seco: «99,98%»). C'est beaucoup!
Le fait que le secrétariat d'Etat n'ait pas obtenu d'exonération de droits de douane dans certaines catégories, mais seulement des rabais de droits de douane, est également important, car «même des préférences tarifaires mineures favorisent le commerce» lorsque les marges sont faibles, explique l'office.
Pas vraiment du libre-échange
Tous ces arguments ne convainquent pas Patrick Ziltener. Il devient plus catégorique: «Si la Suisse prend vraiment le libre-échange au sérieux, elle ne doit pas se focaliser uniquement sur les tarifs douaniers, où elle obtient actuellement le plus, mais elle doit travailler à la réduction de tous les droits de douane. Elle envoie ainsi un signal aux pays qui veulent négocier avec la Suisse.»
La Suisse a elle-même montré l'exemple: elle a récemment supprimé tous les droits de douane industriels pour les importateurs, y compris pour l'Inde.