Un expert anti-corruption explique l'attractivité de notre pays
Pourquoi les oligarques et les fortunes douteuses aiment-ils la Suisse?

Oligarques, avocats, sociétés boîtes aux lettres, hommes de paille... la Suisse est attrayante pour les personnes qui veulent éviter les sanctions. L'expert anti-corruption Mark Pieth explique les raisons de leur présence sur notre territoire. Interview.
Publié: 02.08.2024 à 18:10 heures
1/5
Sociétés-écrans, hommes de paille, avocats... la Suisse est attractive pour les personnes qui veulent éviter les sanctions, affirme l'expert anti-corruption Mark Pieth.
Photo: Blick
otto_hostettler.jpg
Otto Hostettler

Mark Pieth est enseignant de droit pénal à l'Université de Bâle. Reconnu pour son expertise dans la lutte contre la corruption, il nous livre dans une interview ses explications sur l'attractivité de la Suisse pour les oligarques et tous les hommes d'affaires qui souhaitent rester discrets et éviter les sanctions.

Mark Pieth, la Suisse reste aujourd'hui encore un lieu attractif pour les oligarques. Pourquoi?
Il ne s'agit pas seulement d'oligarques, mais aussi de personnes politiquement exposées et d'autres personnes riches qui disposent de fonds d'origine douteuse. Il est tout à fait courant que de tels investisseurs utilisent des prête-noms en Suisse pour gérer leurs fonds ou même pour contourner des sanctions. C'est ainsi depuis de nombreuses années, la situation juridique en Suisse y veille.

Concrètement, quel est le problème qui rend la Suisse si attrayante pour les oligarques ou les personnalités riches et douteuses?
Le problème est la combinaison du secret professionnel suisse des avocats et des sociétés qui ont leur siège à l'étranger.

«
«La prestation des avocats consiste à dissimuler l'ayant droit économique de la société derrière le secret professionnel de l'avocat»
»

Qu'est-ce que cela signifie?
Une société ayant son siège à l'étranger peut se faire représenter par un avocat suisse. Ce n'est pas un problème en soi. Mais si cette société achète par exemple un immeuble en Suisse, il se peut qu'un office du registre foncier ne puisse même pas déterminer qui est l'ayant droit économique, c'est-à-dire le véritable propriétaire. La Fédération suisse des avocats veille jusqu'à présent à ce que le secret professionnel des avocats ne soit pas assoupli.

Pourquoi la Fédération des avocats s'y oppose-t-elle?
De nombreux avocats vivent en créant des sociétés de domicile à l'étranger. Leur prestation consiste à dissimuler l'ayant droit économique de la société derrière le secret professionnel de l'avocat.

Vous parlez de sociétés de domicile. Il s'agit de sociétés boîtes aux lettres?
Oui, c'est la même chose. Une société qui a son siège chez un fiduciaire ou chez un avocat. Mais la société n'exerce aucune activité commerciale au lieu d'inscription.

«
«La "Lex Koller" peut être facilement contournée»
»

Le Conseil fédéral veut introduire en 2026 un registre selon lequel les propriétaires réels des sociétés devront être publiés.
C'est certainement un pas important pour la Suisse. Mais malheureusement, il ne devrait pas être public, les médias n'auraient pas accès à ce registre, seules les autorités le pourraient. A cela s'ajoute que ce registre est inefficace lorsqu'il s'agit par exemple d'une société dont le siège se trouve dans les Caraïbes.

Un autre problème est la «Lex Koller». Cette loi vise à empêcher que des étrangers lourdement dotés puissent acquérir des biens immobiliers en Suisse de manière illimitée. Cette réglementation est-elle efficace?
La «Lex Koller» peut être facilement contournée. L'exemple du Château Gütsch le montre bien. Les hôtels, en tant qu'établissements stables, sont exclus de cette législation. Cela a été délibérément formulé ainsi lors de l'introduction de la loi. Aujourd'hui, on constate que si des oligarques veulent parquer de l'argent en Suisse, il leur suffit d'acheter un complexe hôtelier. C'est une méthode bien connue.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la