La Suisse risque de perdre sa dernière usine de bouteilles en verre. Blick s'est entretenu avec le professeur d'économie de l'Université de Saint-Gall Reto Föllmi pour comprendre la chute de cette industrie.
Monsieur Föllmi, la Suisse risque de perdre sa verrerie. Le site pourrait être fermé dès le mois de juillet. Quelles en seraient les conséquences?
Les quelque 180 employés de cette usine seraient directement concernés. Mais pour la Suisse dans son ensemble, les conséquences seraient minimes.
Pourquoi cela?
La Suisse sera approvisionnée en bouteilles en verre par les pays voisins, comme c'est déjà le cas en grande partie.
La fermeture de cette usine n'est pas un cas isolé. L'industrie de l'acier et de l'aluminium est également sous pression.
Toutes les industries qui fabriquent des produits à faibles marges sont sous pression en Suisse. Cela concerne aussi l'industrie des machines et celle du textile. Résultat: notre économie s'oriente vers des produits spécialisés.
Pouvez-vous développer?
Une bouteille peut être produite à l'étranger à bas prix. Il n'est pas nécessaire de disposer d'une main-d'œuvre hautement qualifiée, comme celle dont la Suisse dispose. C'est pourquoi la production de masse d'acier et de verre est délocalisée. Dans d'autres secteurs, les professionnels peuvent encore offrir une plus-value, comme dans l'industrie chimique. Puisque la quantité ne suffit pas pour faire des bénéfices, nous misons sur la qualité. Mais tout le monde n'est pas prêt à en payer le prix.
C'est-à-dire?
Pour les bouteilles en verre, les clients ne veulent pas payer un supplément pour la qualité suisse. Ils préfèrent importer des bouteilles bon marché de l'étranger. Les États-Unis ou l'Union européenne (UE) soutiennent certaines industries clés à coups de milliards. La Suisse ne le fait pas. Pour les entreprises helvétiques, il est évidemment très difficile de devoir concurrencer avec des entreprises dopées, c'est-à-dire subventionnées. On fait face à des inégalités de traitement. Mais notre économie en profite.
Dans quelle mesure?
Cela nous permet d'acheter à l'étranger des biens bon marché qui ont bénéficié de subventions financées par les contribuables des pays producteurs. Les économies ainsi réalisées peuvent être investies dans notre industrie spécialisée. Cela favorise la prospérité.
Mais le transport nécessaire pour l'importation de bouteilles en verre nuit à l'environnement.
La proximité géographique n'est pas un gage de respect de l'environnement. Trois petites verreries en Suisse consomment plus d'énergie et de ressources qu'une grande centrale à l'étranger. Cela peut être plus écologique, malgré le transport.
Quid de la dépendance accrue envers l'étranger?
Nous sommes de toute façon dépendants de l'étranger. Il est impossible de maintenir toute la chaîne de création de valeur à l'intérieur du pays. Nous sommes condamnés à faire du commerce. Plus il y a de pays qui commercent avec nous, plus notre approvisionnement est sûr. Nous pouvons ainsi nous rabattre sur d'autres acteurs si un pays connaît des difficultés d'approvisionnement.
Ne serait-il pas plus judicieux de subventionner nos industries pour qu'elles restent ici?
La petite Suisse ne peut pas et ne doit pas participer à la course mondiale aux subventions. Pendant la pandémie, les demandes de soutien étatique sont devenues plus acceptables, mais cette solution n'aide qu'à court terme.
L'État aide pourtant déjà d'autres secteurs, comme les agriculteurs.
Dans le meilleur des cas, cela aide les agriculteurs et nuit à tous les autres acteurs économiques. Le reste de l'économie et les consommateurs sont perdants. Quelqu'un en paie forcément le prix.
Une intervention politique au niveau fédéral demande une stratégie industrielle nationale en faveur du verre. Est-ce utile?
Non, la production de bouteilles en verre n'est pas pertinente pour la politique de sécurité de l'approvisionnement. Si l'État intervient au cas par cas, c'est toute l'industrie qui finira par mourir.
La désindustrialisation déjà en cours va-t-elle être totale?
Non, la Suisse compte de nombreuses entreprises industrielles innovantes. Mais nous ne pouvons pas couvrir tous les pans de l'industrie. Nous n'avons par exemple pas d'industrie automobile, mais cela n'empêche pas la Suisse d'être florissante. Et ce, parce que nous nous sommes recentrés sur les facteurs du succès helvétique: des produits à haute valeur ajoutée et une population bien formée.