«Cette verrerie, c'est ma vie»
La fermeture de Vetropack à Saint-Prex aura des conséquences sociales dramatiques!

La Suisse risque de perdre sa dernière usine de bouteilles en verre. Plus de 180 employés luttent pour leur survie. Ce village vaudois lutte pour l'image qu'il a de lui-même. Mais tout prend une dimension encore plus émotionnelle.
Publié: 27.04.2024 à 11:36 heures
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Dernière mise à jour: 27.04.2024 à 13:24 heures
Blick a rencontré à Saint-Prex neuf employés qui se battent pour leur usine.
Photo: Philippe Rossier
Robin Bäni et Philippe Rossier

Au bord du lac Léman se trouve une usine hors du commun. Une usine d'acier et de béton de 90'000 mètres carrés qui fait partie du paysage de la région depuis 113 ans. Le toit a des dents comme une lame de scie, comme des milliers d'entrepôts dans le pays. Mais l'usine de Saint-Prex dans le canton de Vaud n'est pas simplement une usine comme les autres – c'est la dernière de son genre en Suisse.

Le sort de la verrerie ne concerne pas seulement la région, mais toute la Suisse.
Photo: Philippe Rossier

La dernière usine suisse de bouteilles en verre devrait fermer définitivement ses portes cette année. Une procédure de consultation est ouverte. Et Vetropack, l'entreprise derrière la verrerie, veut aller de l'avant, la fin pourrait intervenir dès juillet. Ce sont plus de 180 collaborateurs qui seront mis à la porte.

Blick a rencontré neuf employés dans le village de Saint-Prex. L'un d'eux s'appelle Joao Ferreira, un verrier qui travaille depuis 29 ans dans la même entreprise. «Cette usine, c'est ma vie», s'exprime Joao en pointant du doigt le bâtiment derrière lui. Il effectue le quart de son travail dans «l'enfer», c'est comme ça qu'ils nomment la cuve de fusion incandescente à 1300 degrés, et où 340 tonnes de verre sont fondues chaque jour. «J'ai passé plus de temps ici que chez moi», assure Joao, qui parle au nom de nombre de ses collègues de travail.

«C'est notre ADN qui est en jeu»

Les verriers luttent pour leur survie. Et toute la localité pour son identité. «C'est notre ADN qui est en jeu», déclare Stéphane Porzi, syndic de la commune de Saint-Prex. Son père a passé toute sa vie dans cette usine, tout comme son grand-père avant lui. «Je suis un enfant de Vetropack», lance Stéphane Porzi. Et il est loin d'être le seul.

Le syndic de la commune, Stéphane Porzi, se tient dans la salle de la Paix. Autrefois, la verrerie avait construit cette salle pour que le village ait un lieu de rencontre.
Photo: Philippe Rossier

La fanfare locale, le club de gymnastique, le club de football, tous sont issus de la verrerie et y entretiennent des liens étroits. Qu'adviendra-t-il d'eux lorsque la fabrique fermera ses portes? «Je me fais peut-être trop de souci, s'inquiète Stéphane Porzi. Mais j'ai peur que tous les ouvriers doivent partir.»

Le four de fusion fonctionne encore à Saint-Prex. De jour comme de nuit. Jusqu'à 800'000 bouteilles en verre sont produites en 24 heures, surtout des bouteilles de vin que les viticulteurs achètent ensuite sur les bords du lac Léman. Mais le sort qui menace l'usine ne concerne pas seulement une région, mais le pays tout entier.

Fière de son système de recyclage

La Suisse est fière de son système de recyclage. Tout le monde ramène ses bouteilles aux conteneurs de tri. Le taux de collecte atteint 97%. Un vrai record! 300'000 tonnes de verre usagé sont ainsi collectées chaque année. La verrerie de Saint-Prex en recycle 100'000 tonnes. En dehors de cette usine, il n'y a pas d'usine de recyclage digne de ce nom en Suisse. Sans cette dernière entreprise, nous exporterions presque tout notre verre usagé à l'étranger.

A Saint-Prex, jusqu'à 800'000 bouteilles en verre sont produites en 24 heures.
Photo: Keystone

Cela entraîne une augmentation des transports et des émissions de CO2. «Cela a un effet négatif sur l'environnement», explique Corinna Baumgartner, scientifique de l'environnement à l'Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW). Ce qui est déterminant, c'est la distance à laquelle le verre usagé est déplacé. Mais souvent, ces flux d'exportation ne sont pas compréhensibles. «Le mieux serait de réaliser le processus de recyclage en Suisse».

Corinne Meier est consternée. La gestionnaire de données a passé toute sa carrière chez Vetropack, tout comme son père, d'une autre génération. «Je suis très triste, avoue Corinne Meier. Nous collectons assidûment des emballages vides et il faudrait ensuite les exporter sur des milliers de kilomètres? C'est complètement absurde.» Et c'est un fait, c'est bien l'entreprise Vetropack qui a introduit, il y a 50 ans, la collecte généralisée du verre usagé en Suisse.

«Je suis très triste», avoue Corinne Meier.
Photo: Philippe Rossier

Et Saint-Prex est le lieu où Vetropack est né. Le pionnier Henri Cornaz a construit la verrerie en 1911. Il a aussi construit des logements pour les ouvriers, une salle pour la commune et il a même fondé sa propre église. C'est avec la verrerie que le village a pris son essor économique.

Dès 1959, Vetropack domine le marché suisse du verre d'emballage. Plus tard, c'est l'expansion à l'étranger: Autriche, Italie, République tchèque, Croatie, Slovaquie, Ukraine et République de Moldavie. L'entreprise grandit et compte désormais 4000 collaborateurs. Ce n'est qu'en Suisse que les affaires vont mal. Il y a trente ans, Vetropack ferme une verrerie à Wauwil (LU). En 2002, c'est au tour de l'usine de Bülach (ZH). Il ne reste plus qu'une seule verrerie dans le pays: celle de Saint-Prex. Et voilà que l'histoire de cette usine, où tout a commencé, prend brusquement fin.

La lutte a pris de l'ampleur

Le syndic de la commune Stéphane Porzi ne veut pas y croire, ni perdre l'espoir qu'une fermeture puisse être évitée. «Mais malheureusement, en tant que commune, nous n'avons pas le pouvoir de décision nécessaire.» Un village de 5900 âmes se bat pour son usine. Mais entre-temps, cette lutte a pris une dimension plus importante, elle s'est généralisée et a atteint la Berne fédérale.

Une verrerie n'est pas une grande banque que le Conseil fédéral sauve par le droit d'urgence. La Suisse n'a tourné son regard vers Saint-Prex que pendant un bref instant, lorsque la fermeture prévue a fait la une des plus grands quotidiens. Le sort de l'usine aurait été oublié depuis longtemps si le canton de Vaud n'avait pas mis tout son poids politique dans la balance.

Maillard et Broulis ensemble

C'est d'abord un leader de gauche qui est entré en scène: le patron des syndicats Pierre-Yves Maillard. En tant que conseiller aux Etats vaudois, il a rendu visite avec son collègue Pascal Broulis, un radical, aux employés inquiets de Vetropack. La solidarité de Pascal Broulis avec les travailleurs de Saint-Prex a marqué le début d'une alliance inhabituelle, dans laquelle les libéraux-radicaux exigent soudain davantage d'engagement de la part de l'Etat. Même la conseillère d'Etat vaudoise PLR et cheffe de l'économie, Isabelle Moret, s'est jointe à la lutte des ouvriers et a demandé «d'examiner toutes les options pour préserver les emplois».

La solidarité ne s'est pas arrêtée là. Le Grand Conseil vaudois a adopté une résolution qualifiant la fermeture prévue de «contraire au bon sens». Le point culminant a été atteint la semaine dernière, lorsque les 19 conseillers nationaux vaudois ont signé une intervention. Ils y demandent au Conseil fédéral de développer une stratégie industrielle nationale en faveur de la production de verre. Une Sainte-Alliance est née dans le canton de Vaud, formée de membres de tous les camps politiques.

«Je n'ai pas de plan B»

Mais l'aide arrive-t-elle trop tard? Vetropack ne peut pas s'exprimer sur le sujet dans le cadre de la procédure de consultation en cours, fait savoir le service de communication. En lisant le communiqué de presse de l'entreprise, on a l'impression qu'une fermeture est inéluctable. Il est écrit que différents scénarios de développement ont été examinés. Mais «aucun d'entre eux n'a jusqu'à présent abouti à un résultat économique positif». L'avenir de l'usine doit être décidé maintenant, car la cuve de fusion doit être remplacée en raison de son âge. Cela devrait coûter 30 millions de francs. «Ce n'est pas envisageable dans les conditions actuelles.»

«Je suis choqué qu'ils veuillent fermer l'usine», tonne Joao Ferreira. Mais le verrier ne pense pas à abandonner. Chercher un nouveau travail? Déménager? «Je n'ai pas de plan B», se contente de dire Joao. Il investit actuellement son énergie autrement. En tant que chef du groupe des travailleurs, il représente les employés dans la procédure de consultation, en collaboration avec le syndicat Unia. Son équipe élabore des solutions pour que l'usine soit maintenue. Ils veulent réduire les coûts, consommer moins d'énergie, monter des panneaux solaires. Mais les ouvriers ne peuvent que faire des propositions. En fin de compte, c'est la direction qui prendra la décision.

«Les propositions doivent suffire», explique Gian-Piero Calzola, l'un des responsables des lignes de production de la verrerie. «Nous sommes une grande famille, tout le monde est lié à tout le monde», poursuit-il. Lui aussi travaille sur ce site depuis trois générations. Ce que signifierait la fin de l'usine, il ne peut pas l'imaginer.

Gian-Piero Calzola n'ose pas imaginer ce que signifierait une fin.
Photo: Philippe Rossier

Les ouvriers et les ouvrières de Saint-Prex sont devenus une communauté à part entière. «J'adore mon travail», assure le verrier Joao Ferreira. Selon lui, c'est tout un art de transformer le verre liquide en une belle bouteille. Sur le site de l'usine, il y a un musée consacré aux différentes formes de verre, ainsi qu'à l'histoire de Vetropack. Ce musée est peut-être tout ce qu'il restera.

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