Un animal en «grand danger d'extinction»
Le destin des dragons de Komodo se joue aussi à Lausanne

Et si tous les dragons de Komodo détenus dans le monde devenaient la propriété de l'Indonésie? Michel Ansermet, directeur d'Aquatis à Lausanne, s'engage pour que ces reptiles rarissimes soient davantage protégés. Récit.
Publié: 20.02.2022 à 06:09 heures
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Dernière mise à jour: 20.02.2022 à 11:18 heures
À Lausanne, Aquatis vient d'accueillir une dragonne de Komodo.
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Lauriane PipozJournaliste Blick

Un convoi spécial est arrivé à Aquatis il y a une semaine. A bord de celui-ci, Michel Ansermet, directeur de l’aquarium, accompagné de sa responsable du secteur reptiles, de deux vétérinaires et de Lara, une dragonne de Komodo. Cette digne représentante des plus grands lézards du monde — ces reptiles font en moyenne 2,6 m et pèsent entre 40 à 91 kg! — se trouve désormais à Aquatis et succède à Naga, décédé en septembre dernier.

Au bout du fil, Michel Ansermet informe Blick en exclusivité qu’il ne s’agit pas de la seule actualité lausannoise liée aux varans de Komodo. Le directeur d’Aquatis fait partie du «Komodo Dragon Species Committee» de l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA). Cette dernière, aidée de son équivalent américain, l’AZA, planche actuellement avec le gouvernement indonésien sur un nouveau projet.

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L’Indonésie, seul pays où l’on trouve encore ces reptiles dans leur milieu naturel, pourrait récupérer la propriété de tous les dragons en captivité — y compris des varans se trouvant en détention chez nous, et donc de Lara.

La reproduction de ces animaux fascinants – ils comptent parmi les rares vertébrés capables de se reproduire par parthénogenèse, c'est-à-dire sans mâle – serait ainsi coordonnée avec l’État, ce qui permettrait de mieux gérer les naissances. «Au sein des institutions européennes, celles-ci sont actuellement limitées, pour éviter la consanguinité, explique Michel Ansermet. Un tel accord permettrait de gérer plus facilement l’échange sanguin, en plus de rendre à cet État ce qui lui appartient, affirme le directeur. La propriété intellectuelle des varans doit revenir à la population locale!»

Tempête médiatique

Actuellement, l’EAZA et l’AZA ont la propriété des varans de Komodo. La restituer à l’Indonésie péjorerait-il les dragons? Le plus grand archipel au monde s’est récemment trouvé au centre d’une petite tempête médiatique liée à ces animaux.

Rappelons les faits. Quelque 10’000 touristes affluent chaque mois sur l’île de Komodo, principalement pour observer le célèbre reptile carnivore. Mais il y a deux ans, le gouverneur local a annoncé vouloir développer un complexe touristique dans le Parc national du même nom. Or, celui-ci, situé sur un groupe d’îles à l’est de Bali et protégé par l’UNESCO, est le seul endroit où on trouve ces reptiles dans leur milieu naturel.

L’Indonésie vient de rendre des comptes à ce sujet. Dans un rapport, qui sera prochainement rendu public et que Blick a pu consulter, les autorités assurent – étude à l’appui – que la structure touristique n’aurait qu’un «impact négligeable» sur la population, le comportement et la reproduction des dragons de Komodo.

Ce lieu d’une superficie 1817 km 2 a tout de même prévu mettre en place des quotas journaliers pour réguler le nombre de touristes, précise le document. A la base, le complexe touristique s’étendant sur trois grandes îles se targuait de pouvoir accueillir 50’000 touristes par mois. Il semblerait toutefois que la structure soit aujourd’hui prévue pour supporter environ 1000 touristes par jour – soit près de deux fois moins.

A notre demande, un porte-parole de l’IUCN explique que ce rapport devra être analysé en juin. Des recommandations seront ensuite émises sur cette base, mais ces décisions ne seront pas forcément contraignantes.

Garder le contrôle sur le destin des dragons

Alors, y aurait-il un risque pour les varans de Komodo? Michel Ansermet se veut rassurant. Le comité de protection de l’EAZA ne lézardera pas pour autant: il gardera la main sur les dragons, notamment au niveau de leur reproduction. «Nous ne le ferons simplement plus pour nous-même, mais pour le pays d’origine», poursuit-il.

Michel Ansermet, directeur d'Aquatis, l'Aquarium-Vivarium de Lausanne.
Photo: Keystone

Les polémiques qui entourent ces animaux rarissimes ne l’inquiètent nullement. Au contraire. «Les gens ont bien raison de critiquer et de se poser des questions, s’exclame-t-il. Auparavant, les zoos gardaient simplement des animaux en détention. Mais depuis le début de cette dernière quinzaine d’année, beaucoup d’actions sont mises sur pied. Et pas uniquement pour des animaux phares comme les grands félins ou reptiles. Nous remettons des milliers d’autres espèces protégées — mais pas 'sexy’— dans la nature. On ne parle pas assez du travail qui est fait en coulisses.»

«Stabiliser les lieux»

L’ancien directeur du vivarium est par exemple engagé dans la commission du programme de conservation du varan de Komodo de l’EAZA. Cette dernière soutient depuis 10 ans un programme spécial nommé «Komodo Survival Program», réglant notamment le salaire de rangers dépêchés en Indonésie pour protéger ces reptiles.

«Nous voulons stabiliser les lieux, détaille le directeur. Nous finançons des séances d’informations destinées à la population locale afin qu’elle s’engage pour la protection de ce précieux dragon au lieu de le tuer. De plus, nous prenons en charge la castration des chiens domestiques, ainsi que des puces, pour localiser ces canidés qui s’en prennent aux dragons lorsqu’ils sont abandonnés.»

Pourtant, de nombreuses polémiques continuent d’entourer la détention et les programmes de conservation des dragons de Komodo. Rappelons que la Fondation Franz Karl Weber était montée au créneau à la fin de l’année dernière pour dénoncer la captivité de ces animaux protégés.

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Mais ces controverses ne sont pas fondées pour le directeur, même s’il reconnaît une certaine responsabilité dans celles-ci. «Les institutions scientifiques sont très mauvaises en communication, regrette-t-il. Nous avons par exemple laissé dire que nous ne remettions pas les animaux dans la nature, ce qui est entièrement faux puisque l’EAZA a permis de rapatrier des dizaines de dragons dans des parcs locaux.»

Plus que 3500 dragons dans la nature

Toutefois, il n’est pas encore possible de laisser le Varanus komodoensis sans structure, reconnaît-il. L’animal n’est pas adapté à ce retour à la nature et ce serait prendre trop de risques, notamment à cause du braconnage: «Les remettre dans ces parcs locaux évite leur capture», assure le directeur.

«Lara», nouvelle venue à Aquatis.
Photo: Michel Ansermet/Aquatis

Il ne reste actuellement que 3500 de ces dragons dans leur milieu naturel. Pour cette raison, le directeur tenait à recevoir dans son institution un varan, «en particulier une femelle»: «Il est capital d’effectuer mensuellement des contrôles des ovules de ces dragons de Komodo», explique-t-il.

Or, Aquatis pratique une approche spéciale, appelée «full contact» et impliquant des contrôles médicaux très fréquents. «Notre spécialisation rend ce suivi très strict plus facile, raison pour laquelle nous sommes particulièrement ravis d’accueillir Lara», se réjouit-il.

L’animal évoluait auparavant dans le zoo de Beauval, en France, où ses conditions de détention, dites de «zero contact», c’est-à-dire aucun contact entre les animaux et les êtres humains, étaient très différentes.

Pour aller à la rencontre de Lara, l’ancien directeur du Vivarium de Lausanne a fait 6h30 de route. Le grand reptile a ainsi connu une arrivée un tout petit peu moins royale que celle de son prédécesseur, premier varan de Komodo qui mettait les pattes en Suisse. Ce dernier était parvenu à Lausanne… à bord du jet de Christian Constantin il y a bientôt sept ans. Mais la gigantesque dragonne était tout aussi attendue.

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