Pas de rasage obligatoire quotidien. Pas de bottes de combat. Pas d’élastiques de jambe ou d’appel du matin. A la caserne d’aviation de Payerne, une recrue bénéficie d’un traitement particulier. Du favoritisme? Lisez plutôt: le «soldat» Enea est… un ibis chauve. Cet oiseau rarissime a élu domicile chez les militaires depuis quelques mois, a appris Blick. Et il s’y plaît bien.
Vous ne connaissez pas cette espèce? C’est normal. Faire une telle rencontre est plutôt inhabituel. Ce grand oiseau dégingandé, pourvu d’un bec énorme et d’une houppette est actuellement classé en voie de disparition par BirdLife, l’association suisse de protection des oiseaux. Sa population sauvage est estimée à 700 individus et celle-ci a plutôt pour coutume de vivre dans le sud du Maroc et en Turquie que dans le brouillard broyard.
Et pourtant. Enea semble très bien s’en accommoder. Il traîne avec les militaires depuis le mois de mai selon Animal Tracker, une application GPS mise au point par l’Université de Constance, en Allemagne. Et les recrues se sont amourachées de ce drôle de bipède.
Chaque matin, tous cherchent à l’apercevoir avant l’appel. Sa silhouette se découpe souvent sur les fenêtres de l’étage. Parce qu’Enea est de nature curieuse. «Mais mieux vaut faire attention: il tente de glisser son bec dans l’entrebâillement pour venir voir ce qui se passe dans les dortoirs», rigole cet astreint, qui le considère comme une sorte de mascotte. Un ancien soldat, aujourd’hui de retour à la vie civile, suit encore les mouvements d’Enea via Animal Tracker. «Je l’ai dans mes favoris», s’amuse-t-il.
«Il est le bienvenu»
L’armée s’accommode plutôt bien de sa présence, assure à Blick Stefan Hofer, porte-parole. Ce dernier ne pense toutefois pas que l’oiseau pourra accéder à un statut aussi privilégié que le brigadier Broccoli, le chat star de la caserne de Lyss mort en août dernier. «En considération de ses caractéristiques migratoires, il serait difficile de le définir comme une future mascotte. Mais il est le bienvenu et tout le personnel ainsi que les troupes sont invités à ne pas le déranger pendant son séjour.»
Est-ce si étrange de le voir s’approcher de l’homme? Non, éclaire Chloé Pang, chargée de presse de la Station ornithologique suisse. «C’est un oiseau assez sociable qui n’est pas timide. Il lui arrive donc de fréquenter des lieux où l’homme est présent.»
Au sein de la caserne, des dispositions ont été mises en place pour veiller à son bien-être. Un écriteau contient quelques règles comme l’interdiction de le nourrir ou de trop s’approcher. «La place d’armes a été informée du programme de réintroduction ainsi que des règles comportementales à tenir afin d’assurer une cohabitation correcte», détaille Stefan Hofer. Son passage est également soigneusement suivi par des spécialistes.» Ces derniers évitent cependant de faire de la publicité pour «éviter une surcharge due à l’intérêt de 'spotters’», photographes passionnés.
Exterminé au XVIIe siècle
Oui, parce que cet oiseau insolite a été réintroduit en Europe ces 20 dernières années (lire encadré ci-dessous). «L’ibis chauve nichait encore en Suisse au XVIe siècle, avant d’être exterminé en Europe au XVIIe siècle, probablement par des persécutions directes (l’oiseau et ses œufs étaient des mets très appréciés à l’époque, ndrl.) ou à cause des changements climatiques», explique Chloé Pang.
La porte-parole reprend: «Les individus que nous voyons de temps à autre en Suisse sont issus de programmes de réintroduction internationaux. Les ibis chauves réintroduits en Autriche et en Allemagne migrent vers l’Italie et il leur arrive de contourner les Alpes à l’ouest en passant par le Plateau suisse».
Les dernières colonies sauvages d'ibis chauves vivent au Maroc. Elles comptent tout juste 150 couples, selon les recherches de Terre & Nature. En Europe, cet oiseau est réintroduit depuis le début du XXIe siècle. Le premier programme a été initié en Andalousie en 2003.
Le second, fruit d'une collaboration austro-allemande, est réalisé à Constance depuis 2017, tout près de la Suisse. Il est financé par la Commission européenne ainsi que par plusieurs parcs zoologiques. L'objectif? Permettre aux ibis chauves de réintégrer leur milieu naturel initial. Pour leur réapprendre à migrer, de grands moyens sont déployés: en automne, les oiseaux sont même accompagnés au-dessus des Alpes par un ULM. Le «soldat» payernois Enea est issu de ce programme.
Les dernières colonies sauvages d'ibis chauves vivent au Maroc. Elles comptent tout juste 150 couples, selon les recherches de Terre & Nature. En Europe, cet oiseau est réintroduit depuis le début du XXIe siècle. Le premier programme a été initié en Andalousie en 2003.
Le second, fruit d'une collaboration austro-allemande, est réalisé à Constance depuis 2017, tout près de la Suisse. Il est financé par la Commission européenne ainsi que par plusieurs parcs zoologiques. L'objectif? Permettre aux ibis chauves de réintégrer leur milieu naturel initial. Pour leur réapprendre à migrer, de grands moyens sont déployés: en automne, les oiseaux sont même accompagnés au-dessus des Alpes par un ULM. Le «soldat» payernois Enea est issu de ce programme.
Mais pourquoi a-t-il atterri à Payerne, non loin d’un aérodrome? Posons une hypothèse: les sites militaires disposent d’une proportion trois fois plus élevée de pâturages que le reste du territoire suisse. Des espèces animales sur «liste rouge» s’y trouvent donc plus fréquemment, ce qui pourrait en partie expliquer la présence d’Enea à cet endroit en particulier.