Si l’opposition de centre-droit remporte d’un cheveu ces élections législatives anticipées (29,49%), devançant les socialistes (28,66%) au pouvoir depuis huit ans, le scrutin a surtout été marqué par le score de Chega («ça suffit» en portugais). Avec 18%, la jeune formation d’extrême-droite réalise une poussée historique, cinq après son irruption sur la scène politique portugaise.
Un triomphe qui réjouit tout particulièrement Carlos Medeiros, ancien député du Mouvement Citoyens Genevois (MCG) et placé en 14ᵉ position sur la liste de Chega, à Lisbonne. S’il n’a pas été élu, l’inénarrable trublion de la politique genevoise, de retour dans ses terres natales depuis 2020, a le sourire aux lèvres. Au lendemain de la victoire de son parti, Blick lui a passé un petit coup de fil.
Carlos Medeiros, votre parti a réalisé un score historique. Alors, heureux?
Alors, ça oui! C’est la preuve que la stratégie du «tous contre nous» n’a pas fonctionné. Quand je dis tous, je parle des partis, mais aussi de tous ceux qui nous ont collé ces étiquettes de xénophobe, d’extrême droite ou encore de fasciste. Le peuple n'a pas suivi. On a fait des scores hallucinants, notamment dans le Sud, dans des bastions traditionnellement communistes. On va faire et défaire les alliances politique.
Ça vous plait ce rôle de faiseur de roi?
Absolument, absolument. Mais attention, ce n’est qu’une étape. Notre but, c’est d’être le numéro un de la droite. Il y a deux ou trois ans, tout le monde rigolait quand on affichait cet objectif. Aujourd’hui, je vous garantis que nous sommes très proches de devenir numéro un à droite. Et de pouvoir gouverner ce pays. Pas avec une majorité absolue, ce qui est très dur à obtenir. Mais sans Chega, il n’y a rien qui se passe. Nous obligerons cette droite traditionnelle à s’asseoir à la table des négociations.
Cette même droite, emmenée par le Parti social-démocrate (PSD), qui a déclaré qu’elle ne souhaitait pas s’allier avec vous? Vous allez faire comment?
Bon, vous savez, le leader du PSD, Luís Montenegro, a commencé par dire qu’il ne s’allierait pas avec nous. Puis, il y a eu des voix dissidentes dans son parti qui pensent qu’à long terme, faire alliance avec le Chega n’est pas contre-nature. Le gouvernement est très instable. Luís Montenegro risque bien de sauter et les mentalités vont évoluer.
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Lors de votre retour au Portugal, en 2018, vous aviez rejoint Aliança, une formation de centre droit pour finalement rallier Chega. Pourquoi?
Je n’ai pas été élu à Setubal comme député avec Aliança. J’ai rejoint Chega ensuite. Je m’y sens plus à l’aise. Une formation plus proche idéologiquement du MCG.
Le MCG s’est construit contre les frontaliers, le Chega contre les Gitans. Vous faites de la politique forcément contre les autres?
Non, absolument pas. Il n’est pas vrai de dire qu'on se construit contre les roms.
C’est pourtant sur la base de cette revendication que le parti a acquis sa notoriété.
C’est vrai. Il faut remettre cela dans un contexte. Quand André Ventura, le leader du parti, a commencé à parler des roms, il était élu dans une commune proche de Lisbonne où c’est vrai, il y avait beaucoup de roms. Le «problème» avec ces gens, c’est qu’ils sont peu, mais qu’ils se concentrent dans certaines régions. Avec des attitudes et des façons de faire, disons très claniques. Et ça crée des problèmes qui affectent concrètement la vie des Portugais.
Comment?
Les Gitans obtiennent énormément de subventions sociales. Ils font pression sur les petites mairies pour obtenir des logements sociaux et subventionnés, etc. Cela crée une distorsion avec les gens qui ne comprennent pas pourquoi eux ne touchent pas ces aides. Je l’ai vu à Setúbal où j’habitais avant
Vous avez vu quoi?
Des Gitans qui habitent dans des logements sociaux. Et devant la porte, ils garent leur Mercedes. Je vous laisse imaginer les Portugais qui se lèvent à 5h du matin pour aller travailler, qui gagnent 860 balles (le SMIC) et qui passent devant ces gens-là. Si Chega cartonne dans le sud du Portugal, c’est qu’il y a une grande communauté gitane. Mais encore une fois, ce n’est pas le problème principal pour Chega.
Qui est?
La lutte contre la corruption. C’est endémique. Je n’ai jamais vu ça, ça a toujours existé, mais aujourd’hui ça atteint des niveaux stratosphériques avec la gauche qui était au pouvoir.
Durant sa campagne électorale, Chega a promis de «nettoyer» le Portugal.
C’est le moment de réfléchir. De profiter de notre puissance de feu pour faire passer nos idées, réduire les impôts, diminuer la bureaucratie. Un million de personnes a voté pour nous. On ne peut pas dire qu’elles sont toutes racistes ou xénophobes pour ne pas tenir compte de nos propositions. À Genève, j’ai vécu déjà cette situation avec Eric Stauffer (ndlr: l’ancien président du MCG). On présentait de beaux projets au Grand Conseil. Les autres élus, de gauche ou de droite, nous disaient à l’apéro que nos propositions tenaient la route, mais qu’ils ne les soutiendraient pas, car elles venaient d’un parti comme le nôtre.
Vous n’en avez pas marre d’être traité de xénophobe ou de fasciste?
Non. Déjà, je ne suis pas du tout xénophobe. Je suis né dans un quartier à Lisbonne du centre-ville, un quartier multiculturel comme on dit. J'avais des amis noirs, etc. Je m’en fous de la couleur. Ce qui m’intéresse, c'est ce que la personne veut, ce qu’elle a. J’ai des convictions avec lesquelles je ne triche pas, quitte à ne pas être élu. Je sais qui je suis, ma famille et mes amis savent qui je suis. Et je suis loin d’être xénophobe
.
On disait le Portugal immunisé contre l’extrême-droite. Or, 50 ans après la Révolution des œillets, le pays vire à droite. Il y a une nostalgie de l’ancien régime?
Non, non et non. C'est un mythe. On ne veut pas revenir à Salazar. Il a fait un truc de bien: ne pas piquer dans la caisse! Pour le reste… Avec ces idées rétrogrades, on a pris 30 ans de retard. On ne veut pas revenir en arrière. J’accepte l’étiquette populiste. Comme je l’avais déjà fait au MCG, à Genève. Vous savez ce que je leur répondais à Genève?
Allez-y.
Si être populiste signifie être proche du peuple, alors oui, je suis un populiste. Je l’accepte sans problème. Je ne suis pas fasciste. Alors oui, on attire des franges un peu plus extrémistes, au MCG comme à Chega. Mais de façon naturelle, ces gens s’éloignent du parti, car ils nous considèrent trop mous. Nous sommes profondément démocratiques. On veut changer les choses qu’on estime qu’on peut changer.
Par exemple?
On nous reproche de prôner la castration chimique. Mais elle existe en Suisse aussi! La Suisse, c’est un pays fasciste? Et la perpétuité, elle existe aussi en Suisse. Pays fasciste? Non, il faut arrêter avec ces histoires. On nous reproche de faire des discours de café du commerce. C’est faux. Nous sommes les porte-paroles des gens de la rue dont les voix ne sont pas portées par les autres partis.
Vous regardez un peu ce qui se passe au MCG?
Oui, bien sûr, je suis de loin.
Dans un contexte de poussée de l’extrême-droite en Europe, pourquoi cette formation anti-frontaliers ne connait pas le même succès que Chega?
En Suisse, nous avons l’UDC, qui est quand même, je ne dirai pas, populiste, mais disons que l’UDC agrarienne d’il y a 20 ans n’est plus celle d’aujourd’hui. L’UDC occupe l’espace politique avec des thématiques populistes. Si le MCG ne parvient pas au même structure, c'est en partie à cause de la place de l’UDC. Et puis, la structure politique en Suisse est beaucoup plus compliquée. J’ajoute aussi que j’ai été très heureux du score du MCG aux dernières élections fédérales.
Vous étiez en 14ᵉ position sur la liste de Chega. Vous n’avez pas été élu, vous allez revenir en Suisse?
Non, mais c’était plutôt prévisible. Le leader m’avait prévenu qu’il avait d’autres plans pour moi. Les européennes vont arriver et les communales dans deux ans. Au Portugal, j’étudie le droit. Je suis en troisième année. Si tout se passe bien, je serai juriste. J’ai mes affaires ici. Bon, j’ai mes enfants qui sont à Genève. La Suisse reste toujours mon pays de cœur. Mais dans l’immédiat non, je vais continuer au Portugal.