La justice genevoise a parlé: Tariq Ramadan est acquitté de viol. «Encore heureux!», lance l'un de ses soutiens à la fin du procès, en sortant du Tribunal correctionnel de Genève. Une jeune femme, debout à côté de lui, l'entend et rétorque par une grimace.
Si le verdict du procès de l'islamologue suisse avait été prononcé par un jury composé de citoyens ordinaires (une pratique usuelle aux États-Unis), aurait-il été le même que celui énoncé par le juge mercredi?
Nous ne le saurons jamais. Blick a cependant tenté de prendre la température, en interrogeant, de manière anonyme et non exhaustive, les très nombreuses personnes venues s'asseoir sur les bancs du public ce mardi 24 mai.
Qui sont ces quidams, et pourquoi ont-ils pris la peine de venir au tribunal — un mercredi matin qui plus est? Que leur inspire l'acquittement de celui qui était accusé d'avoir abusé de Brigitte, comme l'appelle la presse, dans la chambre 511 d'un hôtel genevois en 2008?
Entre les femmes voilées en pleurs, les simples curieux et les étudiants en droit qui n'auraient «manqué ça pour rien au monde», immersion dans le décor presque surréaliste du procès qui émeut Genève depuis deux semaines.
«C'est un complot»
Quelques minutes avant le début de la session, prévue à onze heures du matin, la cour intérieure du tribunal grouille d'avocats, de journalistes, mais aussi et surtout de quidams.
Ali* habite à Genève. Il suit les faits et gestes de l'islamologue depuis longtemps, et ne mâche pas ses mots quant à ce qu'il attend du juge aujourd'hui: «On peut le critiquer politiquement, Tariq Ramadan, certes. Mais là, j’ai suivi tout le procès, et j’ai l’impression que ce qu’il s’est passé, c’est plutôt une sorte de relation sado-masochiste consentie — que Brigitte essaie de faire passer pour un viol. Les avocats l’ont dit: il n’y a aucune preuve matérielle. Je pense qu’il sera acquitté.» Ce sera effectivement le cas.
Il ajoute: «Pour moi, c’est un complot. Des gens qui se sont mis d’accord pour charger Tariq Ramadan (ndlr: en référence aux plaignantes qui attendent encore leur procès en France, pour des motifs similaires).»
Un homme qui se tient à ses côtés admet, quant à lui, être là par «simple curiosité». «L’aspect un peu théâtral de ce procès m’amuse. C’est un peu comme prendre un prêtre en flagrant délit au bordel.»
«Rater ça? Pour rien au monde!»
Toujours avant la lecture du verdict, on constate que beaucoup d'observateurs sont des jeunes gens. Des étudiants en droit, en l'occurrence. L'un d'eux explique: «On vient régulièrement voir des procès. Et celui-ci a tellement été médiatisé qu’on ne l’aurait manqué pour rien au monde!»
Il va être condamné, ou pas, Tariq Ramadan? Le même étudiant balbutie: «C’est vraiment difficile à dire. Les deux versions se tiennent, je trouve. J’aurais été bien emprunté, si j’avais dû trancher ce cas.»
Un peu plus loin, dans un coin de la cour, on s'approche de deux jeunes femmes, futures avocates en fin de cursus. Elles ont la vingtaine. La première nous souffle: «Je dois avouer que, comme beaucoup de gens de mon âge, je n’avais jamais entendu parler de Tariq Ramadan avant les polémiques avec son frère, et puis ses propres ennuis avec la justice… Donc je l’associe surtout à tout cela.»
Son amie hoche de la tête, et ajoute: «Moi, je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à ce que tu me motives à venir ici avec toi!»
Les pleureuses
À 10h55, la cour intérieure s'est complètement vidée. La salle d'audience est comble. On aperçoit même quelques visages dépasser de l'esplanade qui surplombe le parterre de civils. Pas une place de libre sur les bancs.
D'abord, la motivation du jugement et les éléments centraux sont rappelés. Les trois jours de procès sont résumés. Puis, une vingtaine de minutes plus tard, le verdict tombe: la justice affirme «ne pas être en mesure de se forger une intime conviction de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable». Invoquant, entre autres, le manque de preuves matérielles, et le risque élevé d’altération des témoignages.
Face à cela, la plaignante, Brigitte, quitte brusquement la salle. Ses avocats annoncent qu'elle fera appel. Quelques femmes voilées, assises dans le public, sont quant à elles émues aux larmes. Très rapidement, la foule quitte la salle, et se retrouve à nouveau dans la cour intérieure du tribunal.
Une jeune femme, qui nous dit qu'elle «fait des cours» avec Tariq Ramadan, sanglote — elle ne veut pas s’exprimer plus que ça. Derrière elle, deux femmes voilées pleurent bien plus ostensiblement en se prenant dans les bras. Elles étaient assises tout devant, dans la tribune du public lors du verdict, larmoyantes du début à la fin.
«En France, c'est pas pareil»
Dans la foule qui se dissipe gentiment, on aperçoit à nouveau Ali, qui espérait un acquittement: il est satisfait. «Je n’avais pas vraiment de doutes, d’ailleurs, quant à ce verdict», affirme-t-il.
Les dernières personnes à traîner par là sont deux fidèles disciples de l’islamologue. Les deux hommes disent être venus de France exprès pour suivre le procès. Ils acceptent de nous parler, «s’il n’y a pas de noms ni de photo».
Le premier confie: «On est soulagés. On espère que les accusations qui pèsent encore sur lui en France connaîtront le même dénouement. Car c’est juste inhumain, ce qui lui arrive. D’autant plus qu’il est déjà malade (ndlr: Tariq Ramadan affirme souffrir d’une sclérose en plaques)»
Son compagnon enchaîne: «La justice suisse est une justice saine! Chez nous, en France, c'est pas pareil, j’ai l’impression que les juges prennent parfois en compte des éléments médiatiques qui ne devraient pourtant pas les influencer…»
*Pour garantir la liberté d'expression des intervenants, ces derniers ont été anonymisés.