Nombreux sont ceux qui ont dû pousser un ouf de soulagement après la décision de la BNS de mettre fin aux taux d'intérêt négatifs en Suisse. Huit ans après, la Banque nationale suisse relève donc son taux directeur de 0,75 point de pourcentage, ce qui l'amène désormais à plus 0,5%. Dans un entretien accordé à Blick, Thomas Jordan, président de la BNS, se dit soulagé et explique les raisons de la fin des taux négatifs introduits en 2014.
Lorsque les taux d'intérêt négatifs ont été introduits à l'époque, vous attendiez-vous à ce qu'ils restent aussi longtemps en place?
Non, nous ne nous y attendions vraiment pas. Nous pensions que cela passerait plus vite. Mais le contexte n'a pas évolué positivement, les crises se sont enchaînées et la pression sur le franc était permanente. Avec tout cela, la Banque nationale a dû maintenir le taux d'intérêt négatif jusqu'à présent.
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Cela fait longtemps que l'inflation n'a pas été aussi élevée en Suisse. Les taux d'intérêt n'auraient-ils pas dû augmenter davantage?
0,75 point de pourcentage est déjà un grand pas, bien plus grand qu'imaginé jusqu'à présent en matière de politique monétaire. De plus, nous n'excluons pas d'autres hausses de taux. Notre objectif est que l'inflation diminue et reste dans la zone de stabilité des prix, c'est-à-dire en dessous de 2%.
Quand cela sera-t-il le cas?
Selon nos prévisions, l'inflation devrait à nouveau baisser vers la fin de l'année prochaine pour atteindre environ 2% en 2024. Toutefois, beaucoup de choses peuvent encore se passer entre-temps. La situation internationale est très complexe. Elle dépend de l'évolution des prix de l'énergie et de la conjoncture internationale. Mais nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour que l'inflation revienne à 2% à moyen terme.
Qu'est-ce qui fait grimper l'inflation?
Ce sont toujours les prix de l'énergie. Le prix du pétrole a un impact important, tout comme l'électricité à l'avenir, pour laquelle des hausses de prix sont déjà annoncées. A partir de là, de plus en plus de composantes de l'indice national des prix à la consommation sont touchées par des augmentations. C'est ce qu'on appelle les effets de second tour. Le resserrement de la politique monétaire doit permettre de les réduire au maximum.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Sur quoi ces effets de second tour se font-ils sentir? Des biens comme les meubles ou les voitures vont-ils devenir encore plus chers?
Nous constatons déjà que les prix des meubles et des voitures augmentent. Les problèmes d'approvisionnement jouent également un rôle. En raison du Covid et de la guerre en Ukraine, certains biens et composants ne sont plus disponibles. Cela a des conséquences sur la production, il y a une pénurie et cela fait monter les prix. La hausse des tarifs de l'énergie se répercute également sur les prix d'autres biens. De ce fait, beaucoup d'entre eux deviennent plus chers.
Le taux directeur de la BNS est enfin redevenu positif. Ceux qui épargnent recevront-ils à nouveau des intérêts sur leur compte?
Au fil du temps, cela devrait certainement être le cas, mais c'est aux différentes banques de décider de la manière dont elles veulent rémunérer l'épargne. Les banques sont en concurrence les unes avec les autres et dépendent du fait que ceux qui épargnent leur apportent de l'argent, en ayant leur compte salaire chez elles par exemple. A moyen terme, cela fera également grimper les taux d'intérêt sur les comptes bancaires.
Cela semble plutôt absurde. La BNS doit payer immédiatement des intérêts aux banques, mais ceux qui épargnent n'en bénéficient pas?
Ce sont surtout les banques qui devraient répondre à cette question: pourront-elles faire face à la concurrence si elles ne paient pas plus d'intérêts à leurs épargnants? A partir de maintenant, il y aura toute une série d'effets domino qui feront que d'autres taux d'intérêt augmenteront.
La BNS est-elle inquiète de l'évolution du marché immobilier?
Le marché immobilier est depuis longtemps sur notre radar. Les prix ont fortement augmenté ces dernières années, les taux hypothécaires aussi, et ce avant même la décision actuelle sur les taux d'intérêt. Toutefois, les taux hypothécaires n'ont pas explosé, mais ont augmenté d'un à deux points de pourcentage. Cela devrait conduire à une normalisation de l'évolution des prix sur le marché immobilier. Néanmoins, d'autres facteurs jouent un rôle, par exemple la rareté de l'offre de logements en général.
Les prix des logements en propriété continuent pourtant d'augmenter de manière effrénée.
Il est encore trop tôt pour en juger. Si la politique monétaire change, cela n'aura pas d'influence sur les prix de l'immobilier dès demain. Cela aura de l'influence uniquement dans quelques trimestres.
La croissance de l'économie suisse sera moins forte que prévu ces prochaines années. Pour quelle raison?
L'économie internationale, et surtout européenne, s'affaiblissent. En Europe, c'est la conséquence directe du conflit en Ukraine. La hausse des prix de l'énergie pèse sur le moral des consommateurs et des producteurs. Mais même aux États-Unis, l'économie croît plus lentement. Cela a des répercussions directes sur la Suisse, pays exportateur.
Une récession est-elle imminente?
Pas pour le moment. L'économie suisse devrait croître de 2% cette année. L'année prochaine, la situation pourrait encore s'assombrir. Mais il y a toute une série de risques qui peuvent avoir une influence négative sur la croissance économique. Par exemple, si les prix de l'énergie augmentent encore fortement ou si la conjoncture se détériore à l'étranger. Ou encore si le Covid revient nous jouer des tours. Tout cela aurait un impact très négatif. Et dans ce cas, on ne pourrait plus tout à fait exclure que l'économie mondiale, et donc aussi l'économie suisse, ne glisse dans une récession.