Thierry Burkart veut s'en prendre aux fonctionnaires
«Il est grand temps de revoir nos priorités»

Martin Pfister à peine élu, le président du PLR Thierry Burkart pose cinq exigences au nouveau ministre de la Défense. Et pour financer le réarmement, le parti veut s'attaquer aux salaires des fonctionnaires. Entretien.
Publié: 15.06.2023 à 17:48 heures
|
Dernière mise à jour: 16.03.2025 à 06:09 heures
1/5
Entretien avec Thierry Burkart, président du PLR.
Photo: Samuel Schalch
1/5
Entretien avec Thierry Burkart, président du PLR.
Photo: Samuel Schalch
Bildschirmfoto 2024-04-02 um 08.40.24.png
RMS_Portrait_AUTOR_586.JPG
Reza Rafi et Céline Zahno


Thierry Burkart, avez-vous ressenti un peu de compassion lorsque Martin Pfister a été choisi mercredi comme nouveau conseiller fédéral qui reprendra le département de la Défense?
Non. Etre membre du gouvernement est un honneur, et diriger le département de la Défense est une mission très intéressante. La tâche est certes exigeante, mais elle offre beaucoup de marge de manœuvre aux politiciens qui veulent façonner les choses.

En êtes-vous si sûr? La ministre sortante, Viola Amherd, a énuméré lors de sa dernière conférence de presse une série de propositions pour financer l’armée, toutes rejetées par la majorité du gouvernement, y compris par des conseillers fédéraux du PLR.

Le rétablissement de la capacité de défense de la Suisse est avant tout une question militaire — mais pas uniquement. Il faut aussi une vision politique globale pour les années à venir, en collaboration avec les autorités civiles et les cantons. C’est ce que le conseiller fédéral Martin Pfister doit maintenant entreprendre. C’est crucial, car notre système exige un consensus pour obtenir des majorités.

Cet outsider fait son entrée et ne connaît pas encore les rouages politiques de la capitale. Pensez-vous qu’il en sera capable?

La fonction de conseiller fédéral est exigeante. Martin Pfister maîtrise les bases du fonctionnement de notre démocratie, mais il devra rapidement apprendre à gérer un département complexe, avec une administration immense composée de nombreux «fiefs». De plus, les débats parlementaires sont souvent rudes et il ne connaît pas encore les mécanismes du système bicaméral. C'est donc un gros défi qui l'attend, et il n’aura pas beaucoup de temps pour acquérir la force nécessaire. Mais je pense qu’il est important d’accorder d’emblée sa confiance à un nouveau membre du gouvernement.

«
La Suisse a besoin d’une stratégie globale de défense
»

Quels sont, selon vous, les points les plus urgents auxquels il faut s'attaquer au DDPS?
Il y a cinq points centraux. Le premier est le plus important: la Suisse a besoin d’une stratégie globale de défense. Le deuxième concerne les nominations au sein du département pour éviter un vide à la tête du commandement.

Vous faites référence au chef de l’armée et au directeur du renseignement qui quittent leurs fonctions?
Ce sont des postes clés. Il faut des personnes compétentes, capables d’assumer leur rôle devant le Parlement et l’opinion publique. Troisièmement, le système d’acquisition doit être amélioré et quatrièmement, il faut préserver notre industrie de l’armement.

Comment le faire?
C’est simple: la Suisse n’est pas seulement un pays neutre, elle pratique une neutralité armée, qui est la base de sa capacité de défense. Pour cela, une industrie de l’armement performante est indispensable, mais pour survivre, elle doit pouvoir exporter. Or, nous sommes en train de la condamner.

Et que proposez-vous?
Il faut assouplir les restrictions sur la réexportation afin que le matériel militaire puisse être revendu à d’autres pays occidentaux, c’est une proposition que j’ai faite il y a déjà trois ans. Là aussi, il faut un leadership politique du nouveau conseiller fédéral. Il est inacceptable que nos restrictions soient si fortes que plus personne ne veuille acheter nos équipements militaires, dans certains pays européens, la règle c'est désormais: «Pas de Chine, pas de Suisse».

Et quel est le cinquième point?
Les problèmes de gouvernance chez Ruag, dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines.

Martin Pfister a dit au préalable qu'il pourrait imaginer de lier à nouveau plus étroitement Ruag à la Confédération.
Il est essentiel de trouver la meilleure structure organisationnelle pour assurer la survie de Ruag, tout en garantissant son rôle de soutien à notre capacité de défense. Je ne veux pas anticiper la meilleure solution, mais nous sommes ouverts aux propositions du Conseil fédéral.

Votre sœur siège au conseil d’administration de Ruag International. Certes, il s’agit d’une entreprise distincte, mais le scandale de corruption a-t-il eu un impact là-bas aussi?
Ruag International et Ruag ont été séparées il y a plusieurs années, et le scandale concerne Ruag, Ruag International n’a rien à voir avec l’armement. Deux précisions néanmoins: premièrement, je ne parle jamais de ces sujets avec ma sœur. Deuxièmement, lorsque la vente de la filiale Beyond Gravity a été discutée au Conseil des Etats, j’ai quitté la salle pour éviter tout soupçon de conflit d’intérêts.

«
Des fonds destinés à l’armée ont été redirigés vers d’autres secteurs, sous prétexte qu’il n’y aurait plus jamais de guerre en Europe. Il est temps de revoir nos priorités
»

A propos des conflits: on parle régulièrement du profond fossé qui existe au sein de du Conseil fédéral et qui rend difficile la recherche de solutions communes. Avez-vous l'espoir qu'un nouveau départ soit possible avec Martin Pfister?
Comme l'adage le dit: «A force de répéter des rumeurs, elles deviennent des vérités supposées.» Les bruits de couloir circulent et prennent de l’ampleur. Je fais confiance au conseiller fédéral Martin Pfister pour apporter un travail solide et rigoureux au gouvernement, ce qui lui permettra de gagner en crédibilité et de collaborer avec les autres départements pour prendre les décisions nécessaires. Il faut aussi accepter qu’un certain degré de confrontation fasse partie du fonctionnement du Conseil fédéral.

La Suisse veut renforcer son armée. Pourtant, la ministre des Finances, Karin Keller-Sutter (PLR), freine régulièrement son financement. A-t-elle bloqué les efforts de réarmement jusqu’à présent?
On ne doit pas opposer politique de sécurité et finances saines, au contraire. Certains pays européens, déjà lourdement endettés, empruntent encore davantage pour financer leur armement, c’est une stratégie risquée qui pourrait avoir de graves conséquences économiques. En temps de crise, nous devons être résilients. Or, cela n’est possible que si nous conservons une marge de manœuvre, tant en matière de sécurité que de finances. Ces 35 dernières années, des fonds destinés à l’armée ont été redirigés vers d’autres secteurs, sous prétexte qu’il n’y aurait plus jamais de guerre en Europe. Il est temps de revoir nos priorités. Et ce n’est pas une position récente: je le dis depuis des années, bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Si l’on revoit les priorités et que l’argent manque, seriez-vous ouvert à de nouvelles recettes fiscales?
Nous sommes convaincus qu’il faudra plus de moyens. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des citoyens, simplement parce que la politique est incapable de réduire certaines dépenses.

«
Le salaire moyen est désormais de 130'000 francs. Nous examinons actuellement comment supprimer les différences entre un emploi à la Confédération et un emploi dans le secteur privé.
»

Quand vous parlez de priorisation, vous parlez aussi de coupes budgétaires.
Oui, c'est comme dans un ménage familial qui doit faire des choix lorsque des dépenses incontournables se présentent. Un exemple: ces trois dernières années, l’administration fédérale a créé 450 postes à plein temps par an, avec des salaires bien au-dessus de la moyenne. Autre exemple: l’aide au développement a énormément augmenté ces dernières décennies, aux dépens de l’armée.

Vous critiquez la croissance des effectifs de la fonction publique. Pourtant, le PLR et l’UDC ont une majorité au gouvernement et un Parlement bourgeois. Pourquoi ne pas l’avoir stoppée?
Le Conseil fédéral vient de proposer un plan d’économies, des mesures sont sur la table. Le vrai problème se situe au Parlement, où de nombreux groupes d’intérêt défendent leurs acquis.

Selon vous, faut-il instaurer un moratoire sur l’augmentation des effectifs de l’administration fédérale?
Je m'inquiète en particulier du fait que les employés de la Confédération gagnent plus que la moyenne: le salaire moyen, sans tenir compte des cadres supérieurs, vient d'atteindre un nouveau record, il est désormais de 130'000 francs. Nous examinons actuellement comment supprimer les différences entre un emploi à la Confédération et un emploi dans le secteur privé. Aujourd'hui, les employés de la Confédération bénéficient d'une législation spéciale avec une protection des travailleurs supérieure à la moyenne. Quant au plafonnement des postes à la Confédération, il a déjà existé. Je pense qu'il serait bon d'examiner la possibilité de limiter à nouveau le nombre de postes par un plafond fixe. 

L'UE a récemment décidé d'un programme de réarmement massif. L’Allemagne prévoit de suspendre son frein à l’endettement. Dans la «SonntagsZeitung», des politiciens allemands ont critiqué la Suisse pour la faiblesse de son réarmement. 1% du PIB suffira-t-il à long terme?
En tant que membre de la délégation suisse à l’OSCE, je connais le climat en Europe. Un député écologiste autrichien m’a récemment dit que son pays, bien que neutre, devrait consacrer au moins 2% du PIB à sa défense. La Suisse, pays riche, peine à atteindre 1%. Si nous négligeons notre sécurité en comptant sur nos voisins, ceux-ci risquent d’exiger une compensation financière.

Vous êtes donc d'accord pour dire qu'un pour cent du PIB ne suffit pas?
Cela doit être évalué dans la stratégie globale de défense que nous demandons. Ce document définira les dépenses nécessaires et les priorités en fonction des menaces.

Martin Pfister a été élu mercredi, il ne prendra ses fonctions que le 1er avril. Que lui recommanderiez-vous pour cette période?
Se plonger rapidement dans les dossiers et rencontrer de nombreuses personnes clés afin d’acquérir les connaissances nécessaires pour débuter son mandat avec succès et efficacité.

Lors des dernières élections nationales, vous étiez à égalité avec le Centre. Depuis, vous avez perdu des sièges, notamment le week-end dernier à Soleure. Jusqu’à présent, vous avez réussi à conserver les deux sièges du PLR au Conseil fédéral — mais n’êtes-vous pas en train de perdre du terrain?
Les élections de 2027 décideront du deuxième siège du PLR. Si Le Centre est devant nous à ce moment-là, nous n’aurons plus de légitimité pour revendiquer deux sièges en cas de vacance.

La population aura donc son mot à dire sur la composition du Conseil fédéral en 2027?
C’est en partie vrai. Les électrices et électeurs doivent simplement être conscients que cela donnerait alors une majorité au centre-gauche au sein du Conseil fédéral. Si c’est ce que souhaite la population suisse, il faudra l’accepter.

Participerez-vous activement aux élections en tant que président du parti?
Je veux gagner les prochaines élections avec le PLR. Je me bats chaque jour pour cela avec une équipe forte, mais on ne sait jamais de quoi demain sera fait. J'ai déjà dit à plusieurs reprises que je quitterai toutefois cette fonction au plus tard après les élections de 2027 en raison de la présidence du Conseil des Etats en 2028-2029.


Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la