Une politologue décortique le système suisse
«Une démocratie directe n'est pas automatiquement plus juste»

Dans une démocratie directe, une justice commune devrait être assurée pour toutes et tous. Mais qu'en est-il dans les faits? La politologue Tabea Palmtag explique quels sont les thèmes qui polarisent, et quand cela peut devenir dangereux.
Publié: 11.12.2024 à 05:49 heures
|
Dernière mise à jour: 11.12.2024 à 07:02 heures
1/2
«Comprendre d'autres réalités de vie permet d'être plus ouvert aux différentes conceptions de la justice.»
Photo: Keystone
conny_schmid.jpg
jasmine_helbling_0.jpg
Conny Schmid et Jasmine Helbling

Tabea Palmtag, vous avez grandi en Allemagne et vous vivez en Suisse depuis bientôt dix ans. Quel pays est le plus juste selon vous?
Les deux pays sont des démocraties qui accordent une grande importance au principe d'égalité. Selon la loi, tous les citoyens ont les mêmes droits et peuvent participer aux décisions politiques. En Allemagne, de manière indirecte, en élisant un Parlement. En Suisse, directement, par le biais de référendums par exemple.

Mais nous votons tout de même plus souvent...
Oui, mais ça ne veut pas dire que les résultats de ces votes ont toujours des conséquences justes. Cela se ressent d'ailleurs au niveau de la catégorie sociale des participants. Les personnes à faible revenu et peu qualifiées votent par exemple moins souvent. En outre, de nombreuses personnes qui vivent ici n'ont pas de passeport suisse. Ils n'ont pas leur mot à dire, même s'ils respectent toutes les règles.

Comment les gens décident-ils de ce qui est juste?
Le plus souvent spontanément, à l'instinct, mais cela dépend fortement de leur position sociale, s'ils sont riches ou pauvres, hommes ou femmes, jeunes ou vieux. Généralement, la perception est également influencée par les médias ou les leaders d'opinion politiques. L'injustice est un thème émotionnel, et la politique le sait bien.

L'UDC trouve d'autres choses injustes que le PS défend, et inversement...
Oui, mais ce fossé gauche-droite se manifeste également dans d'autres pays. Les électeurs de droite trouvent toutes sortes d'inégalités – entre hommes et femmes par exemple – moins, voire pas du tout problématiques. Ils acceptent le concept de hiérarchies ainsi que celui de la méritocratie: celui qui fait plus doit recevoir plus. De son côté, la gauche accorde plus d'importance à l'équité: la répartition des richesses doit tenir compte des conditions de vie individuelles. Prenons le partage d'un gâteau: qui prend la plus grosse part? La personne qui a payé les ingrédients ou celle qui n'a rien mangé de la journée? Les deux principes ont leur raison d'être, même si elles entrent en conflit.

Qui est généralement le plus insatisfait?
Celui qui possède le moins de sécurité sociale. L'inégalité économique est considérée comme un problème majeur dans tous les groupes de population. En revanche, les injustices qui ne concernent que des groupes précis sont plus largement contestées. C'est le cas des droits LGBTQIA+.

Quand la polarisation devient-elle dangereuse?
Lorsqu'une grande majorité de la population perçoit les choses comme injustes et immuables, cela pose problème. Le mécontentement qui en résulte peut se traduire par la résignation, le repli sur soi ou, bien souvent, la colère.

Est-il possible de traiter tout le monde de manière équitable dans une société où les valeurs sont si différentes?
C'est une exigence qu'il faut se poser dans une démocratie. Mais dans la pratique, elle n'est pas réaliste. On n'arrivera jamais à une situation où tout le monde est d'accord sur ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. L'avantage de la démocratie directe en Suisse, c'est que le système nous oblige à nous asseoir autour d'une table avec ceux qui ne pensent pas comme nous et à chercher ensemble des solutions. Mais je remarque que la Suisse investit beaucoup moins dans l'éducation politique que l'Allemagne, alors qu'il faut être bien informé pour s'inscrire pleinement dans une démocratie. Cela désavantage en particulier les personnes dont les parents n'ont pas eu le droit de vote ou qui n'ont été naturalisées qu'à un âge tardif. 

Notre sondage montre une grande insatisfaction vis-à-vis de l'élite politique et économique...
Cela ne me surprend pas. Ce qui n'est pas clair, c'est à qui les gens pensent. Le CEO d'une banque, le Conseil fédéral? Je pense qu'il s'agit plutôt d'un mécontentement général par rapport à la situation actuelle. Mais l'avantage d'une démocratie directe, c'est que les citoyens ont la possibilité de mettre les politiques face à leurs responsabilités, de dénoncer les injustices et de changer les choses.

Que peuvent faire les individus pour une Suisse plus juste?
Sortir de sa propre bulle. Chercher l'échange, écouter d'autres opinions, discuter. Comprendre d'autres réalités de vie permet d'être plus ouvert aux différentes conceptions de la justice. C'est élémentaire. 

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la