Se faire retirer son permis… alors qu'on est tranquillement posé sur son canapé. Ça paraît dingue, mais c'est bel et bien arrivé à un Thurgovien de 38 ans. Cette pratique établie, y compris en Suisse romande, en étonne plus d'un.
Mais pas Maëlle Roulet, avocate au sein de l'étude Roulet Avocats. «En cas de doute sur l’inaptitude à la conduite, les autorités administratives peuvent retirer à titre préventif le permis de conduire et obliger la personne à se soumettre à une expertise», affirme-t-elle à Blick.
Rappel des faits
Reprenons depuis le début. Le fêtard thurgovien en question, fraîchement papa, célébrait l'événement chez lui avec un ami, en septembre dernier, comme nous l'apprend «20 minutes» ce jeudi 1ᵉʳ février. Vers 22h, les policiers ont débarqué pour tapage nocturne. Les deux noceurs ont été soumis à un alcootest. Résultat: 2,2 pour mille dans le sang. Les agents font promettre aux deux gaillards qu'ils feront moins de bruit et repartent.
L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais à peine quelques jours plus tard, le jeune papa reçoit une lettre du service des automobiles. Et là, c'est la stupéfaction. Il se fait retirer son permis de conduire «à titre préventif». Lui qui l'avait obtenu il y a près de 20 ans et qui n'avait jamais reçu la moindre amende ou provoqué d'accident. L'homme n'a plus le droit de conduire depuis cinq mois et doit maintenant prouver auprès d'un médecin qu'il n'est pas alcoolique pour le récupérer. Tout ceci à ses frais.
Comment est-ce possible, alors qu'il n'était pas au volant et même pas sur l'espace public? Le service des automobiles de Thurgovie a estimé qu'une personne supportant aussi bien un taux d'alcool si élevé était jugée inapte à la conduite, car représentant un danger pour elle-même ou autrui, sur la route. «Ces mesures ne surviennent pas uniquement dans une situation où la personne se trouve au volant. Elles peuvent aussi avoir lieu en dehors du contexte routier, par exemple sur dénonciation d’un médecin», relève l'avocate.
Pour dire, cela est même déjà arrivé à un piéton, contrôlé avec un taux d’alcool particulièrement élevé. Il présentait peu de signes d'ivresse, ce qui pouvait générer des doutes sur sa capacité de conduite. «Il était donc justifié de lui retirer son permis dans l'attente du résultat d'expertise», précise notre interlocutrice genevoise.
À la limite de l'abus de pouvoir
Mais à quel moment peut-on être soumis à un alcootest lorsqu'on est, certes bien éméché, mais simplement affalé sur son canapé? Jusqu'ici, l’alcootest était une mesure de contrainte classée dans les «examens de la personne» dont la mise en œuvre était en principe soumise à l’ordre d’un procureur. Mais la donne a changé. «Depuis 2022, le Code de procédure pénale suisse prévoit une exception, détaille la spécialiste du bout du Léman. Pour établir l’incapacité de conduire, la police peut procéder à un alcootest sans le consentement d’un procureur, s’il existe un soupçon concret d’infraction.»
Seulement, dans le cas qui nous intéresse, il n'est mentionné à aucun moment un quelconque soupçon d'infraction. Pour Maëlle Roulet, il s'agit d'un cas limite. «Si un juge admettait que l’alcootest était légal dans ce contexte, cela reviendrait à habiliter la police à contrôler toute personne qui est soupçonnée d’une infraction de tout type, comme en l’occurrence une amende d’ordre pour tapage nocturne», explique-t-elle.
Or, la base légale, en vigueur dans le Code de procédure pénale depuis 2022, mentionne que la police est autorisée à effectuer un alcootest «pour établir l’incapacité de conduire». L'avocate conclut donc: «Selon mon interprétation, il faudrait que la police soit face à un soupçon d’un cas d’incapacité de conduire précis, par exemple face à une personne alcoolisée qui a ses clés de voiture dans la main et se dirige vers son véhicule.» Ce qui ne semble pas être le cas dans notre histoire.