Depuis le début de la guerre en Ukraine, des dizaines d’oligarques russes ont été sanctionnés. Certains de leurs avoirs en Suisse ont même été gelés. Parmi ces dizaines de noms, celui de Suleyman Kerimov est associé à de nombreuses affaires en lien avec la Suisse. Ce milliardaire proche du président russe, Vladimir Poutine, avait par exemple crashé une Ferrari lucernoise à Nice il y a plus de dix ans.
Des recherches menées par le «Tages-Anzeiger» révèlent désormais que l’oligarque a également réalisé des transactions financières via la Suisse. Le tatoueur lucernois Wolfgang L.* aurait joué un rôle important dans cette histoire. Il exploite un studio à Lucerne et aurait transféré en 2013 et 2014 un total de 200 millions de dollars à des entreprises de Suleyman Kerimov ou à des membres de sa famille.
Le tatoueur nie en bloc
Pour mener à bien l’opération, Wolfgang L. aurait utilisé une société écran dans les îles Vierges britanniques et un compte en dollars en Lettonie. Le «Tages-Anzeiger» a pu consulter les documents liés à la société et au compte par le biais d’une fuite de données. Dans les documents, le tatoueur y est mentionné comme le «véritable et unique ayant droit économique» de la société.
Wolfgang L. ne veut rien avoir à faire avec les transferts de millions et renvoie la responsabilité à son agent fiduciaire. Selon les recherches du journal, il s’agit de Nicolas T.*, un ami de l’oligarque russe. Le comptable a fait savoir que la société écran lui appartenait et qu’il aurait investi dans des projets communs avec l’oligarque par le biais de cette entreprise.
Le tatoueur Wolfgang L. n’est pas le seul de la région à avoir été impliqué dans ces affaires de déplacement d’argent. «Deux douzaines d’hommes de paille de la région de Lucerne» auraient également apporté leur aide, selon les sources dont dispose le «Tages-Anzeiger». La plupart d’entre elles ont un lien direct avec l’agent fiduciaire du tatoueur. Au total, des transactions à hauteur de 4 milliards de dollars auraient été effectuées par les intermédiaires lucernois.
Impossible de localiser les milliards déplacés
La plupart des intermédiaires sollicités n’ont pas voulu fournir d’informations. Un homme de paille affirme avoir conclu un contrat avec Nicolas T. qui le déchargeait de toute responsabilité. En contrepartie, il aurait reçu 4000 francs par an. Sur le papier, l’homme de paille dirigeait une société écran par laquelle un demi-milliard a été versé à Suleyman Kerimov et à son fils.
Nicolas T. a de son côté déclaré au «Tages-Anzeiger» que toutes ses sociétés étaient soumises à la loi suisse sur le blanchiment d’argent et qu’elles avaient été contrôlées en Suisse. Entre-temps, toutes les sociétés écran ont été liquidées. Dans le cadre de ces projets, l’agent fiduciaire assure n’avoir jamais aidé l’oligarque russe à «cacher ou à dissimuler des avoirs».
On ne sait pas exactement où se trouvent aujourd’hui les milliards de Suleyman Kerimov. Contactés, les avocats de l’oligarque n’ont pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.
*Nom connu de la rédaction
(Adaptation par Louise Maksimovic)