«Caisse malade? Caisse maladière?»… La socialiste bernoise Evi Allemann a plus d’une fois cherché ses mots, dans la langue de Molière, face à un public (principalement) genevois, ce lundi 6 novembre en début de soirée. Elle n’était de loin pas la seule: parmi les six candidats du Parti socialiste (PS) à la succession d’Alain Berset, présentés au public — enfin, surtout aux militants socialistes et à la presse — à l’espace Icebergues, seul le vaudois Roger Nordmann était dans sa zone de confort linguistique.
Les Latins en large minorité: une esquisse de ce qui attend le Conseil fédéral, une fois qu’Alain Berset aura quitté sa fonction? Est-ce de fait un homme alémanique qui sera l’heureux élu pour lui succéder, à l’issue du vote du groupe parlementaire le 25 novembre, puis de celui de l’Assemblée fédérale le 12 décembre?
C’est ce que Blick a tenté de savoir, en assistant à ces auditions publiques, mais aussi en allant prendre la température auprès des ténors du parti à l’apéro. On ne présente plus les candidats, à qui nous avons déjà consacré un article. Daniel Jositsch (Zurich), Matthias Aebischer (Berne), Jon Pult (Grisons), Roger Nordmann (Vaud), Evi Allemann (Berne) et Beat Jans (Bâle-Ville) ont tous été conviés pour répondre aux questions de leur camarade et ex-conseillère nationale genevoise Maria Bernasconi.
Ouvrir la rencontre à la population?
Interrogé après coup, un verre à la main, quant à l’utilité réelle de ce genre de rassemblements, Carlo Sommaruga, candidat genevois sortant au Conseil des États, admet que «le parti pour tous, sans privilège» pourrait faire mieux, en termes de «populaire».
Il précise: «Cette démarche du tour de Suisse permet d’être au contact des militants. Mais il faudrait peut-être mieux l’ouvrir à la population…» La soirée était en théorie ouverte au public, mais seuls les journalistes et les militants ont reçu une invitation. Quelques Vert-e-s étaient également de la fête. À commencer par la genevoise Lisa Mazzone, venue rappeler sa candidature au Conseil des États — sur une liste commune avec le socialiste Carlo Sommaruga.
Les thèmes qui comptent
Pendant une heure et demie, la maîtresse de cérémonie, Maria Bernasconi, a auditionné les candidats sur un certain nombre de thèmes d’actualité. L’occasion de partager leur vision, et leurs solutions à ce qui «préoccupe la population».
Coûts de la santé, pouvoir d’achat, égalité, climat, Union européenne… Sans grande surprise, l’exercice rhétorique s’est révélé être assez lisse: tous répondent peu ou prou la même chose, impeccablement alignés sur la ligne du parti à la rose.
Une question venue du public à la fin des présentations a cependant jeté un froid sur l’assemblée. «Qu’en est-il de l’aide aux médias, à l’heure des vagues de licenciements dans la presse écrite?» Aucun candidat n’a su répondre à cette interrogation sans détours.
À noter que Maria Bernasconi a eu un mot pour féliciter Evi Allemann, cette «mère de deux enfants», de se porter candidate à un tel poste — ce que la modératrice a qualifié d'«assez rare». «Si c’était un 'vieil homme blanc' de l’Union démocratique du centre (UDC) qui avait dit un truc pareil, ç’aurait mal passé», rit sous cape un confrère journaliste.
Les chances des candidats
L’élection au Conseil fédéral peut être assez opaque, pour le commun des mortels. Une fois leurs poulains choisis par les partis, c’est l’Assemblée fédérale qui décide. Quels sont les véritables tenants et aboutissants d’une telle élection? Qu’est-ce qui peut faire la différence, entre deux candidats?
Carlo Sommaruga a bien voulu nous éclairer un peu: «Pour moi, les principaux enjeux sont l’expérience des candidats, et leurs capacités à créer des majorités. Puis il y a leur manière d’incarner publiquement le Parti socialiste — qui doit être solide.»
Nordmann et Allemann en queue de peloton
Une grande personnalité du parti, qui a souhaité conserver l’anonymat pour s’exprimer librement, analyse plus en détail. Pour lui, «c’est la bernoise Evi Allemann et le vaudois Roger Nordmann qui risquent le plus d’être largués», le 25 novembre. Car elle est bernoise, tout comme un conseiller fédéral déjà en place, Albert Rösti (ce qui pose d’évidents problèmes de représentativité). C'est par ailleurs aussi le cas de Matthias Aebischer.
Roger Nordmann est quant à lui latin, comme quatre des sept sages à l’heure actuelle. Ce qui fait grincer des dents les Alémaniques. Notre interlocuteur précise: «L’avenir politique de Nordmann au niveau national est terminé dans quatre ans, sauf s’il y avait un retrait improbable — pour des raisons de santé, par exemple — d’Elisabeth Baume-Schneider.»
Également questionnée sur les chances du seul candidat romand, la modératrice Maria Bernasconi abonde dans le même sens que son collègue: «Ça va être compliqué de maintenir trois Romands. Même si je trouve, tout comme Nordmann, que ce serait justifié, en réalité: puisque la grande majorité de l’administration fédérale est alémanique…»
Un jeune privilégié?
Qu’en est-il du sénateur zurichois Daniel Jositsch, qu’une «bourse électorale», élaborée par le média Watson et un expert de l’Université de Zurich, indiquait favori dans la course? L’éminent membre anonyme esquisse un sourire: «En tout cas, il n’est certainement pas le favori au sein du parti socialiste.»
Et le politicien d’enchaîner: «Daniel Jositsch a très peu de chances d’être sur le ticket. S’il est sur le ticket, il sera élu. Mais nous ne le mettrons pas dessus: les gens ne veulent pas de lui, à l’interne, car il a montré que son ambition personnelle passait avant le parti — et c’est très problématique.» Maria Bernasconi glisse quant à elle simplement qu’elle ne «pense pas» qu’il a plus de chances que d’autres.
Selon cette ancienne parlementaire, ce sont les plus jeunes des six qui risquent de s’attirer les faveurs du parti. À savoir Jon Pult, conseiller national grison qui n’a que 39 ans? Avec celui du Bâlois Beat Jans, son nom se murmure beaucoup à l’heure des pronostics.
Jeune ou moins jeune, il ne sera pas facile de passer après Alain Berset, figure très populaire. Carlo Sommaruga en est conscient: «C’était non seulement quelqu’un de solide, mais aussi quelqu’un qui a su dominer sous la Coupole. C’est vrai que le remplacer sera un défi. À écouter les candidats ce soir, il y en a qui seraient plus aptes que d’autres…» Lesquels? Le conseiller aux États ne se mouille pas: motus et bouche cousue. Réponse le 25 novembre.